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Une mascarade démocratique
Le rideau tombe enfin sur la comédie démocratique gabonaise. Avec l'adoption de la loi du 17 juin 2025 sur les partis politiques, Brice Clotaire Oligui Nguema vient de porter le coup de grâce au pluralisme politique dans ce pays d'Afrique centrale. Sous le vernis trompeur de la "modernisation", le président organise méthodiquement l'étouffement de toute opposition et l'instauration d'un régime de parti unique déguisé.
Cette législation scélérate impose un seuil hallucinant de 12 000 adhérents munis d'un Numéro d'Identification Personnel pour exister légalement. Dans un pays de moins de trois millions d'habitants où l'administration peine à délivrer des actes d'état civil dans les zones reculées, cette exigence constitue un véritable piège à cons pour éliminer toute formation gênante. Ajoutons-y l'obligation d'une présence provinciale, de congrès réguliers, d'une transparence financière draconienne et d'une participation forcée à deux scrutins consécutifs : le cocktail parfait pour asphyxier la démocratie.
Enterrement des partis historiques
Les fossoyeurs de la démocratie gabonaise peuvent se frotter les mains. Cette réforme sonne le glas des formations qui ont construit le multipartisme depuis 1990. Le Parti gabonais du progrès (PGP), le Centre démocrate pour la jeunesse (CDJ), le Mouvement de redressement national (Morena) : tous ces partis historiques vont crever la gueule ouverte, non pas battus dans les urnes, mais exécutés administrativement par des bureaucrates zélés.
L'ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze a beau dénoncer cette "domestication du pluralisme", ses cris d'alarme résonnent dans le vide. Car c'est bien d'un assassinat prémédité qu'il s'agit. Oligui Nguema et sa clique ont savamment orchestré cette purge pour éliminer toute velléité d'opposition. Les petites formations régionales, les mouvements citoyens, les voix dissidentes : tous sacrifiés sur l'autel de la "rationalisation" politique.
Cette épuration massive va bien au-delà d'un simple toilettage institutionnel. Elle vise à uniformiser la pensée politique, à éliminer toute critique, toute alternative, tout contre-pouvoir. Le multipartisme gabonais devient une coquille vide, une façade démocratique pour touristes et bailleurs de fonds occidentaux naïfs.
Le parti présidentiel en gestation
Pendant que les partis historiques agonisent, Oligui Nguema peaufine tranquillement son instrument de domination politique. Son futur parti, dont le lancement prévu le 28 juin a été reporté au 5 juillet par pur calcul stratégique, bénéficie de tous les passe-droits imaginables. Réseau du Rassemblement des bâtisseurs, ressources étatiques détournées, soutien de l'administration : cette formation née dans les ors de la République disposera de tous les atouts pour écraser la concurrence fantoche qui lui sera opposée.
Cette création n'est pas le fruit du hasard, mais l'aboutissement d'une stratégie machiavélique. Oligui Nguema a d'abord fait adopter une loi sur mesure pour éliminer ses rivaux potentiels, puis s'apprête à créer son outil de domination dans un paysage dévasté. C'est du grand art dans le genre manipulation institutionnelle !
Le cynisme atteint des sommets quand le président ose parler d'une formation "inclusive considérant toutes les sensibilités". En réalité, ce parti servira de poubelle dorée pour recycler les anciens barons du PDG et neutraliser les élites susceptibles de faire de l'ombre. Un "PDG bis" en quelque sorte, avec les mêmes méthodes de contrôle et de verrouillage du pouvoir.
L'objectif est limpide : créer un monstre politique capable d'écraser durablement toute opposition dans un paysage artificiellement réduit à trois ou quatre formations domestiquées. Le financement public, distribué selon le "poids électoral", achèvera de consolider cette hégémonie en privant les formations survivantes des moyens de leur indépendance.
Une modernisation démocratique !
Les thuriféraires du régime osent comparer cette mascarade au bipartisme américain pour justifier leur forfaiture. Quelle insulte à l'intelligence ! Aux États-Unis, le bipartisme résulte de deux siècles d'évolution naturelle, pas d'un coup de force législatif. Les formations alternatives peuvent y émerger librement à chaque élection, sans avoir à franchir des obstacles administratifs kafkaïens. Et surtout, les contre-pouvoirs institutionnels (Congrès, Cour suprême, États fédérés) fonctionnent, contrairement au système présidentiel gabonais où tout le pouvoir se concentre dans les mains d'un seul homme.
Cette comparaison nauséabonde révèle l'imposture de ceux qui prétendent "moderniser" la démocratie gabonaise. En réalité, ils organisent sa liquidation pure et simple. Car comment qualifier autrement un système où l'existence même des partis politiques dépend du bon vouloir de l'administration ? Où la survie des formations dépend de leur capacité à mobiliser des milliers d'adhérents dans un délai ridiculement court ? Où la participation politique devient un privilège réservé aux puissants ?
Les législatives de septembre 2025 ne seront qu'une pantalonnade électorale destinée à légitimer cette confiscation du pouvoir. Dans un paysage politique laminé, avec une opposition décimée et des formations survivantes sous perfusion étatique, quel suspense peut-il subsister ? Quelle représentativité peuvent revendiquer des élus issus d'une compétition truquée dès le départ ?
Le Gabon d'Oligui Nguema s'enfonce inexorablement dans l'autoritarisme, maquillé en modernisation démocratique. Cette dérive annonce des lendemains sombres pour un pays qui méritait mieux que cette sinistre comédie politique. Mais peut-être est-ce le prix à payer quand on confie les clés de la démocratie à ceux qui n'y croient pas.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME, journaliste indépendante
Le 25 juin 2025