Alors que ce double scrutin devait consacrer la fin de la transition politique entamée après le coup d’État du 30 août 2023, il s’est transformé en une démonstration désastreuse d’une démocratie en panne. Retour sans concession sur un fiasco électoral.

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Une organisation chaotique au service du statu quo
Le décor était pourtant posé pour une consultation capitale visant à légitimer les institutions de la nouvelle 5e République gabonaise. Plus de 900 000 électeurs étaient appelés à choisir leurs 145 députés, ainsi que plus de 3 000 conseillers locaux et municipaux, dans un climat officiellement apaisé, sous la supervision renforcée de près de 1 500 observateurs nationaux et internationaux.
Mais sur le terrain, c’est un autre spectacle qui s’est joué : bureaux de vote mal approvisionnés, listes électorales tronquées, absence de transparence, et surtout un mécanisme de procuration transformé en arme antidémocratique. Certains bureaux sont restés ouverts tard dans la nuit, accentuant les suspicions sur la gestion des votes. Une organisation bâclée où l’administration électorale a montré une incapacité manifeste à garantir un scrutin propre et équitable. Les risques anticipés de fraude ne sont pas seulement avérés, ils se sont matérialisés sous nos yeux. Ainsi, Mélodie Sembat, candidate UDB aux législatives -1ᵉʳ siège du département de l'Ivindo et Porte-parole de la présidence de la République, déclare : "les procès-verbaux officiels des villages de l'Ivindo établissent un suffrage de 1213 électeurs. Les 1590 voix évoquées par le Ministre de l'Intérieur relèvent d'une contre-vérité manifeste".
Des fraudes massives et un scrutin confisqué
Au cœur de la contestation figure l’usage massif et irrégulier des procurations, dénoncé par l’opposition et une partie de la société civile. Ce système, destiné à permettre à des électeurs absents de voter par mandataire, est devenu un levier de fraude généralisée. Des procurations distribuées en carnets entiers, des votes fictifs comptabilisés, y compris pour des personnes décédées, ont été révélés. L’Union Démocratique des Bâtisseurs (UDB), parti du président Brice Clotaire Oligui Nguema, semble s’en être largement servi pour gonfler artificiellement son score électoral. Au sujet des fraudes incontestables, l'ancien 1er Ministre de la Transition, Président du Parti Alliance Patriotique, Raymond Ndong Sima, a dit "Une victoire construite sur le mensonge ne préfigure rien de bon. Elle annonce des lendemains inquiétants, parce qu'elle repose sur de la fraude et la compétition déloyale."
En parallèle, les violences isolées dans certains bureaux, à Libreville et Ntoum notamment, les bagarres et les blocages témoignent d’un climat électoral délétère, éloigné de la sérénité promise. La société civile, déjà fragilisée, est montée au créneau pour alerter sur la gravité du scrutin confisqué par des pratiques opaques. À cet, le journaliste Fidèle AFANOU EDEMBE, In Chronique N° 107 - Un si long détour du 29/09/2025, déclare : "Les gabonais ont maintenant trois problèmes : le PDG, l'UDB et le système PDG-UDB. Notre Transition vient d'enfanter d'une hydre."
Cette réalité rejoint les critiques de l’absence d’affichage des listes électorales en province, des irrégularités dans la composition des bureaux de vote et un dépouillement qui s’opère sans la transparence exigée. Plutôt que de garantir une expression libre de la volonté populaire, ce scrutin a renforcé l’idée d’un engrenage électoral où le vote est manipulé et les institutions instrumentalisées.
Un résultat attendu mais illégitime
Les résultats provisoires publiés partiellement placent l’UDB en position dominante, devant le Parti Démocratique Gabonais (PDG) ancien parti état, mais désormais allié du nouveau pouvoir. Pourtant, cette victoire annoncée est emmurée dans le doute et la contestation. Plusieurs circonscriptions n'ont pas encore livré leurs chiffres officiels et des annulations partielles du scrutin sont envisagées dans certains arrondissements soumis à des irrégularités manifestes.
Quarante-huit heures après le vote, beaucoup craignent que ce score ne soit que le reflet d’un tripatouillage électoral. La crise de confiance dans la transparence du processus est telle que l’opposition parle d’un « hold-up électoral ». Même certains alliés du pouvoir réclament l’ouverture d’une enquête pour clarifier ces zones d’ombre. François Ondo Obiang, Ministre gabonais de la Réforme et des Relations avec les Institutions sous Oligui Nguema a souligné : "Un élu doit avoir la légitimité du peuple et "l'onction de Dieu" pour bien servir. Si on truque les résultats, on envoie au Parlement des personnes illégitimes qui ne pourront rien faire de bon… "
La légitimité des futurs élus est déjà entachée et remet en question la capacité des institutions à représenter réellement le peuple gabonais. Ce double scrutin, censé clore la transition politique et marquer un renouveau démocratique, est devenu un symbole d'un système enraciné dans la fraude et la manipulation.
Un coût électoral colossal pour un scrutin raté
Dans un pays de 2,5 millions d’habitants, l’État gabonais a déboursé la somme colossale de 32 milliards de francs CFA pour organiser ces deux élections, dont le second tour est prévu pour le 11 octobre 2025. Cet investissement élevé visait normalement à garantir un cadre électoral crédible et performant. C'est plutôt le contraire qui s'est produit.
Ce budget englobe les matériels de vote, les salaires des agents électoraux, la logistique, la formation, ainsi que la rémunération des observateurs nationaux et internationaux. Pourtant, malgré ce coût important, le résultat est un fiasco organisationnel sans nom, qui pose une question cruciale : où sont passés ces milliards dépensés, alors que la légitimité du processus est mise à mal ?
Cette facture électorale, dans un contexte économique tendu, soulève un débat brûlant sur les priorités budgétaires dans un Gabon où les défis sociaux et économiques sont majeurs. La population, confrontée aux problématiques de pauvreté, d’accès aux services publics et à l’emploi, assiste à un déploiement financier d’une ampleur jugée disproportionnée au regard des résultats.
Un avenir politique incertain et explosif
Ce scrutin catastrophique jette une ombre lourde sur l'avenir politique du Gabon. Les élections n’ont pas réussi à apaiser les tensions, au contraire, elles les exacerbent. La défiance envers la commission électorale, le ministère de l’Intérieur et les autorités de tutelle est à son comble.
Face à ce cafouillage et au chaos qui ont marqué le scrutin, de nombreuses voix se sont élevées, tant dans le pays qu’au sein de la diaspora gabonaise, pour exiger l’annulation pure et simple de ce scrutin. Elles mettent en garde que, faute de cette annulation, le Gabon qui venait de faire un bond en avant dans sa transition démocratique, fait aujourd’hui un retour en arrière dangereux. Le pays s’engage alors vers des difficultés majeures dont personne — ni Brice Clotaire Oligui Nguema, ni les militaires, ni même ses sympathisants — ne peut mesurer les conséquences à venir. Cette impasse électorale laisse planer un doute inquiétant sur l’avenir démocratique et la stabilité nationale. Face aux dénonciations de tous bords qui pleuvent depuis hier, Madame Estelle Ondo, ancienne ministre, candidate aux législatives et aux locaux au 2ᵉ arrondissement d'Oyem, dans le nord du pays, selon elle : "Le scrutin qui vient de se dérouler est entaché d'irrégularités massives et flagrantes qui portent atteinte à la transparence et à la crédibilité du processus électoral. Le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, doit agir et prendre les mesures qui s'imposent afin de préserver la paix sociale et la confiance du peuple dans les institutions." Et de finir son propos par "Nous appelons donc à l'annulation pure et simple de ce scrutin."
La médiation nationale et internationale devra s’imposer pour éviter que le Gabon ne sombre dans une crise politique durable, avec un gouvernement perçu comme illégitime et une opposition fracturée, mais mobilisée contre un système électoral verrouillé.
Le double scrutin législatif et local du 27 septembre 2025 restera dans l’histoire gabonaise comme l’échec d’une transition politique qui devait être marquée par la transparence et la démocratie. En étant miné par une fraude massive, une organisation chaotique et un climat politique délétère, ce scrutin a prouvé que le Gabon est loin du véritable renouveau aspiré par sa population. D'après Fridolin Mve Messa, Nommé au Sénat de la transition, secrétaire général du Syndicat de l'éducation nationale (Sena) et candidat du Parti Union Nationale (UN), 2ᵉ siège canton Mveze et Ntem 1 :" Ils ont fait pire que le PDG. Ils se baladent avec des carnets de procurations."
L’urgence est désormais à la restauration de la confiance électorale pour que le vote redevienne un puissant levier démocratique, facteur de paix sociale et de progrès, et non un instrument de domination de l’appareil politique sur le peuple.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | 29 septembre 2025