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Billet de blog 14 novembre 2024

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Harris 2024: Anatomie d'une déroute électorale

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Donald Trump retournera à la Maison-Blanche en 2025, devenant ainsi le premier président de l’histoire des États-Unis à retrouver le pouvoir après avoir échoué lors de sa première tentative de réélection. Pour les démocrates, c'est un échec cuisant, incapables de s'imposer face à un candidat perçu comme raciste, misogyne, et jugé coupable par le Congrès des États-Unis d'avoir incité une insurrection.

À une semaine de ce scrutin historique, quelles leçons peut-on en tirer ? Comment la vice-présidente Kamala Harris, grande favorite des sondages il y a encore quelques mois, a-t-elle pu connaître une déroute électorale aussi marquée ? Voici quelques éléments de réponse.

Same same, but different?

Lorsque Kamala Harris est parachutée dans la campagne présidentielle le 21 juillet, après que le président Joe Biden a renoncé à un second mandat, elle hérite d'une campagne en manque d’idées et d’enthousiasme. Ce changement de candidat redonne un nouveau souffle aux démocrates, et les premières semaines sont prometteuses pour Harris, qui bénéficie d’un rebond dans les sondages.

Mais une fois cette vague d’enthousiasme passée, Harris peine à se démarquer suffisamment de Biden. Quelques mois avant d'annoncer son retrait de la course, les sondages indiquaient déjà que Biden était le président le plus impopulaire à ce stade de son mandat depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ainsi, à moins d’un mois de l’élection, lorsqu’une journaliste de l’émission très regardée The View lui demande si elle aurait agi différemment de Biden au cours des quatre dernières années, elle a là une occasion parfaite de marquer sa différence. Sa réponse ? « Rien ne me vient à l'esprit.”

Kamala Harris peine à se distinguer de Joe Biden lors de son passage sur The View © The Recount

Une réponse qui sera répétée en boucle sur les réseaux sociaux jusqu’au jour de l'élection et que beaucoup considèrent comme la plus grave erreur de communication de sa campagne.

It’s the economy, stupid

L'une des principales raisons du mécontentement des électeurs envers Biden est le coût de la vie élevé. Pourtant, les démocrates font la sourde oreille et se félicitent des indicateurs économiques qui montrent que les États-Unis sont en tête en matière de reprise économique post-COVID.

Les salaires moyens sont plus élevés qu'en 2019, même corrigés à l'inflation, qui a enfin diminué. Le chômage sous Biden a atteint ses niveaux les plus bas depuis 50 ans, et les marchés sont à leur plus haut niveau depuis le boom des années 1990.

Pourquoi alors deux tiers des électeurs estiment-ils que l’économie ne va pas bien ? L’explication pourrait résider dans la répartition des bénéfices de cette économie pourtant en bonne santé.

La tendance en 2024 s'est renversée par rapport à 2020 © Jeremy Slevin

Bien que les revenus des foyers modestes aient effectivement augmenté, les prix des aliments de base bon marché ont grimpé de manière disproportionnée par rapport à ceux des produits plus coûteux (les prix des oeufs entrée de gamme contre leur variante bio par exemple), un phénomène que l’économiste Alberto Cavallo a nommé la « cheapflation ». Ainsi, même si les prix moyens baissent, cette diminution ne se ressent pas de la même manière pour ceux qui consomment des produits moins chers. De plus, avec une hausse des loyers de plus de 25 % depuis la pandémie, la différence de pouvoir d'achat entre locataires et propriétaires s’est considérablement accrue.

Back to the basics

L’échec de la campagne de Harris à aborder la question économique s’inscrit dans un contexte plus large, où la base de son électorat s’est sentie délaissée par le parti démocrate. Elle a préféré courtiser les républicains « modérés » – allant même jusqu’à leur promettre des postes au gouvernement – plutôt que de s’appuyer sur le soutien de l'électorat de gauche, pilier traditional du parti démocrate.

Harris s’est ainsi félicitée du soutien de l’ancien vice-président Dick Cheney, un paria au sein de la gauche en raison de son rôle clé dans l’invasion illégale de l’Irak en 2003, et a même fait campagne avec sa fille, la sénatrice Liz Cheney.

Le journalise David Sirota ironise sur la stratégie démocrate © David Sirota

À cet accueil des figures du mouvement néo-conservateur au sein de la campagne démocrate s’ajoute le refus de Harris de se démarquer de la position de Biden sur la question du génocide palestinien. Cette stratégie reste difficilement compréhensible quand on examine les sondages dans certains des fameux « swing states » essentiels pour remporter la présidence.

En Pennsylvanie, Géorgie et Arizona, plus de 30 % des électeurs indépendants et démocrates se disaient plus enclins à voter pour un candidat qui cesserait l'envoi d’armes à Israël, contre moins de 10 % pour qui cela aurait un impact négatif.

Enfin, pour rallier les jeunes, un électorat clé pour le parti démocrate, défendre le fracking lors du débat présidentiel n’était probablement pas judicieux, d’autant que 86 % des jeunes et 96 % des jeunes démocrates se disent préoccupés par les effets du changement climatique.

Starting over?

Reste a voir si les démocrates sont en mesure de faire suffisamment d’introspection pour corriger leur trajectoire et rester compétitifs lors des prochaines élections lors du prochain grand rendez-vous avec les électeurs lors des législatives de mi-mandat en 2026. En attendant, Donald Trump aura pratiquement carte blanche pour mettre en place son programme avec un contrôle complet des pouvoirs exécutifs et législatifs, et une cour suprême à droite qui inclut trois juges qu’il a nommés durant son premier mandat.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.