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Billet de blog 27 novembre 2015

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Un futur mieux qu'avant

Les attentats du 13 novembre 2015 commis à Paris par Daech nous ont terrorisés. Mais ils ne nous condamnent pas à la peur; ils nous appellent à résister, à faire front tous ensemble et tous les jours.

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Les attentats terroristes commis par Daech à Paris ont eu l’effet de nous rappeler la réalité d’une menace que l’on savait exister depuis au moins le début de l’année mais avec laquelle on arrivait à vivre. Malgré les avertissements des autorités, malgré l’attentat du musée du Bardo du 18 mars, malgré l’attentat de Sousse du 26 juin, malgré les héros dans le Thalys du 21 août, malgré Palmyre, malgré des tentatives d’attentats à l’intérieur de notre territoire, on arrivait à vivre depuis janvier. On menait nos quotidiens à nouveau presque comme avant : on travaillait, on allait dans les musées, on prenait des trains, on se promenait le long des plages, on buvait des cafés et on allait même voir des concerts et danser certains vendredi soirs.

Aujourd’hui, deux semaines après les attentats, il y a des mots qui sont réapparus que l’on ne voulait pas voir réapparaître: attaques, victimes, groupes, peur, armes, guerre, morts. Réapparus et martelés de toute part : carnage, apocalypse, effroi, sang, psychose, mort. Ils sont là et ils décrivent une réalité concrète, quelque chose d’irréellement réel qui s’est produit un soir de week-end de novembre, en France, à Paris. Ils sont réapparus à la radio, à la télévision, dans les discours politiques, dans les débats, les polémiques, au téléphone, sur internet, ils sont réapparus partout. Partout. A tel point partout que c’est aujourd’hui difficile de vivre cet événement autrement que comme un choc dramatique qui nous sidère, nous effraie et nous énerve, comme un choc qui nous attriste et nous donne le sentiment d’être impuissant face à lui. Tout cela alors que nous ressentons au même lieu que nous ressentons cette douleur sans nom, l’obligation de réagir, de faire quelque chose à la fois contre et pour: de résister.

Disons-le clairement et sans ambiguïtés : il est possible et nécessaire de penser cet événement, de le saisir, de l’interroger et de le situer. Le penser comme il est : effet de causes multiples, causes multiples elles-mêmes effets de causes multiples. Le saisir comme il nous saisit, comme on attrape le bras de celui qui nous prend à la gorge et nous met contre le mur. Interroger son sens et le situer dans l’Histoire –et nous situer dans l’Histoire.

Cela va de soi, un tel effort n’est pas exclusif d’actions policières et militaires auxquelles un état d’urgence unanimement décidé et un temps de guerre légitimement décrété nous obligent : c’est un effort complémentaire. Un effort collectif, que nous avons tous à mener quotidiennement et concrètement, sur le chemin du travail, dans les transports, les boulangeries, dans les villes et les campagnes, les églises, les mosquées, les synagogues et jusque sur les terrasses des cafés. A mener partout et par tous : occuper l’espace citoyennement comme les joueurs de football occupent tous tout leur rectangle vert. « On joue en équipe, et notre équipe, c’est l’équipe de France » a écrit Christine Angot ce 19 novembre. Voilà : c’est un effort collectif citoyen de citoyens de haut niveau. Car nous sommes en démocratie, ce qui implique que le pouvoir politique est entre nos mains et qu’il l’est tout le temps. Les élections sont des moments importants de l’exercice de la citoyenneté mais entre elles il n’y a pas d’espaces vides, comme il pourrait y avoir des publicités à la télévision. Dans l’isoloir nous décidons d’élire nos représentants et par là nous leur donnons un mandat mais nous ne sommes pas des citoyens seulement dans l’isoloir, nous sommes des citoyens tout le temps.

Le Président de la République, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès du lundi 16 novembre, a relevé l’effort de lucidité, à produire tout autant sur l’événement que sur nous-mêmes et sur l’avenir, parmi les principaux efforts à fournir ces temps-ci et il a eu raison. Car c’est cet effort qui nous permettra de discerner non pas le camp de l’axe du Bien et le camp de l’axe du Mal, ni même seulement le Bien du Mal, mais bien le camp des forces destructrices et le camp de la Vie. Parce qu’il s’agit de ça : d’un côté tout ce qui tourne autour de ces attentats, et de l’autre tout ce qui relève de la Vie. Ce discernement est la première étape de la lutte acharnée que nous devons tous désormais mener : connaître l’existence de deux côtés, savoir qu’on a des alliés et des ennemis et pouvoir les reconnaître effectivement, donc savoir où se placer et ce que ça implique pratiquement.

Que l’on ait perdu ou non des proches, on a tous perdu quelque chose en commun : l’illusion qui s’était recréée que la démocratie et la paix se décrètent ou ne sont que des mots. La démocratie s’exerce tous les jours et la paix se vit et se conquiert. Aujourd’hui nous savons que nous en sommes là, à devoir reconquérir notre paix. A devoir le faire démocratiquement et avec notre meilleure arme, la plus belle de toute, l’union.

Dans des situations historiques différentes d’aujourd’hui l’on a déjà vu des peuples s’unir, et s’unir vraiment pour faire front ensemble, même contre des ennemis plus forts ou invisibles. Ces situations historiques doivent nous servir de références pour penser notre nouvelle situation et nos nouvelles responsabilités que cet événement a mises à jour. Nous savons que c’est cette union qui est la condition d’un succès collectif en même temps que l’on sait depuis les 10 et 11 janvier 2015 qu’elle ne s’acquiert pas définitivement mais se conquiert quotidiennement et collectivement. Nous ne devons pas oublier non plus qu’en temps de guerre elle peut aussi servir d’alibi à des gouvernements incompétents pour la détourner de son objectif ou pour justifier la réalisation d’une fin par tous les moyens. Ainsi, l’union comme moyen d’affirmer nos valeurs républicaines a ses conditions, et nous devrons veiller vigilamment à leur réalisation.

L’enjeu actuel de la reconquête démocratique et collective, c’est-à-dire de la reconquête citoyenne de la paix est nouveau en tant qu’il a surgi dramatiquement et nous a saisi en nous causant une douleur sans nom. Cette reconquête a ses conditions, mais notre attachement à la France et l’Amour qui nous lie tous et qui fait que nous faisons société commune nous permettra de les réaliser plus facilement qu’on s’en inquiète

Lucidité, union, et persévérance. Persévérance sur la ligne de janvier, qui est devenue une ligne de front. Une fois que les camps ont été identifiés, une fois que la nécessité de l’union est posée, nous n’oublierons plus de tenir cette ligne tous les jours. Au-delà des tragédies passées et présentes ou plutôt : avec le souvenir des tragédies passées et présentes, pour faire en sorte qu’elles ne se reproduisent plus -et inventer un futur qui nous appartient –un futur mieux qu’avant.  

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