il n’y a pas de guerre
il n’y a pas de paix
il n’y en a jamais eu
il y a des territoires obscurs
ciels blancs
oueds secs de sang ancien
cités de métal et d’asphalte
où veillent exténués
assassins mercenaires soldats
putains écarquillées
pages fiévreux
apprentis studieux
du métier d’homme sordide
apprentis du triste métier d’artisan du destin
il y a des coupes cassées
tiges tranchantes
pétales putrides
aiglons de marbre
taches de sperme des taches de sang
des crosses de chrome et d’argent abîmées
sur des crânes de prisonniers récalcitrants
à la table d’honneur où se prolongera
jusqu’à la fin des temps
le festin
il y a là sans ratures des décrets pris dans l’ivresse
des plumes de volaille dans les encriers
dans la nuit des bagues de pacotille qui scintillent
aux doigts des nouveaux maîtres
du passé
et de l’avenir
les serviteurs du jour eux
caressent
à leurs moments perdus
des horloges rouillées
qui donnent l’heure de partir
il y a
du soir au matin
la lente puanteur des corps
des anciens amants
dormant entre verveine et rosiers
et les tendres dépouilles
de traducteurs assermentés
des vérités ultimes et des calendriers
poussiéreux persans grecs arabes chinois
il y a
les os sans sépulture
de scribes et de colporteurs
indifférents au déroulement de l’histoire
désormais
les ossements mêlés
d’hommes de femmes et d’enfants impubères
bassins fémurs mâchoires phalanges
instruments désormais inutiles
de ce qui a
pourtant
un nom
que chantent les poètes
les exilés les forçats
aussi bien que les derniers des meurtriers
il y a
l’horizon gâché par le premier mot
la première parole
le premier hurlement
venu du fond de soi
la douleur du mutisme et du bégaiement
la douleur articulée à la douleur de soi
la douleur fichée dans la douleur
le labour des corps par le soc de l’envie
le travail indigne
le travail grotesque de l’envie
dans la folie de l’effusion générale
la prédation des biens
l’asservissement des corps
car nul ici ne croit en autre chose
en l’âme par exemple
en l’esprit
il y a
pas loin d’ici
dans de belles bâtisses ottomanes
des couloirs sombres des corridors
la détresse
la solitude
les ombres
des condamnés
il y a d’éternels conciliabules
dans l’infinité des lieux propices
au crime général
des listes funestes
tant de comptes
à régler
phrases en linceuls
mots de camphre et de miel
virgules de poison
toujours triomphe
la même logique
il faut détruire Carthage
il faut détruire Alger
Baghdâd Damas
Cordoue Tanger
Ispahan Samarkand
Hiroshima Nagasaki
il faut détruire Dresde
et Londres et Varsovie
brûler Valparaiso Lisbonne
Guelma et Constantine
Wounded Knee et la Palestine
il faut réduire en cendres
la moindre tentative
de treille ensoleillée
la moindre esquisse de balcon
de jardin de fontaine
la moindre ébauche
de tapisserie de manuscrit
de guitare de mandoline
il faut briser
les jarres d’huile
les jarres d’orge et de grains magiques
il faut brûler les oliviers les figuiers les amandiers
les palmeraies
et tout leur bétail
il faut estropier leurs chevaux
violer leurs femmes leurs enfants
faire ce qui vous plaît et ce qui vous répugne
il faut sans cesse attiser le feu de la discorde
entre ce qui reste d’eux
il faut trancher au sabre
et par la loi
les liens de la chair et du sang
et toutes les loyautés
il faut brûler leur mémoire
les archives les parchemins les traités
les bijoux rituels
les breloques
il faut noyer dans le sang
les rebelles et la rébellion
l’idée même de la révolte
il faut tuer les révolutionnaires
et la révolution
il faut extirper des parcelles de terre fertile
les racines des rêves
les germes des fleurs et des fruits
les fragments de respiration
il faut noircir le ciel
il faut semer la peur
pousser au désespoir
il faut détruire Carthage
et puis l’eau
et puis la terre
et puis l’air
et puis la douce lumière
des yeux de cette femme sombre
qui m’a donné
un instant
envie de croire
et d’espérer
il faut détruire
détruire
détruire constamment
le monde entier
il n’y a ni vérité ni mensonge
ni désir ni rage ni pardon
mais des linges humides de sang virginal
noirci
des paupières ouvertes
au couteau
des paroles qui éclosent en carnage
il y a le chaos et la confusion
il y a bien
parfois
la peine
des perles de lumière
sur le front d’un enfant
mais
il n’y a pas de salut
il n’y a pas de joie
il n’y a pas de guerre
il n’y a pas de paix
il n’y en a jamais eu
Amin Khan