La Turquie vit aujourd’hui sous un régime dont la répression est une des armes privilégiées. Ce système de gouvernement est à replacer dans le cadre de la visée politique de Recep Tayyip Erdoğan qui est d’aller le plus loin possible dans la restauration de ce que fut l’Empire Ottoman. Il s’appuie pour ce faire sur un courant fort répandu dans l’opinion turque qui est celui du nationalisme pan-turc (dans la droite ligne de ce que fut le kémalisme, du nom du fondateur de la République après la première guerre mondiale, Mustapha Kémal). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les aventures militaires d’Erdoğan, ébauchées contre la Grèce en mer Egée, effectives contre l’Arménie au côté de l’Azerbaïdjan récemment, ou de façon récurrente par l’envoi de troupes en Lybie. Et bien évidemment contre le Rojava. Par ailleurs, il joue à fond la carte de l’islamisme en se proclamant en quelque sorte nouveau « commandeur des croyants », s’adjugeant les deux casquettes de Sultan et de Calife…
C’est dans ce contexte que l’on peut situer sa politique anti kurde (dont il faut remarquer que, s’il en est actuellement le promoteur principal, il n’en est pas le seul partisan, soutenu qu’il est notamment par son allié le parti MHP, mouvement ultra nationaliste d’extrême droite).
Politique qu’il déploie contre les Kurdes du Rojava, ou en Irak.
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Mais politique mise en œuvre avec férocité en Turquie même. Erdoğan a profité du coup d’Etat de 2016 pour mettre au pas dans son pays toute velléité d’opposition par une politique de répression qui perdure aujourd’hui. Les vagues de répression successives ont frappé tous les secteurs de la population : journalistes indépendant.es refusant d’être à la solde du pouvoir, avocat.es, militaires, syndicalistes, juges, militantes et militants LGBT, enseignant.es et étudiant.es. En 2020 ce sont encore 79 journalistes (majoritairement kurdes) qui ont été arrêté.es en Turquie et au moins 24 d’entre eux/elles ont rejoint leurs collègues déjà emprisonné.es. Le Sultan ne supporte aucune presse indépendante… Les Kurdes sont un objet particulier de la répression, notamment les élus municipaux où députés du HDP (Parti Démocratique des peuples) qui, entre autres revendications, soutient la cause kurde. La plupart des maires de ce parti ont été destitués sous l’accusation récurrente de « terrorisme » (sans la moindre preuve, faut-il le préciser dans des dossiers montés de toutes pièces) et remplacés par des délégués nommés par le gouvernement. En décembre dernier, quatre députés de ce parti se sont vu signifier la levée de leur immunité parlementaire et placé en jugement. Plus significatif encore : le 21 décembre, Leyla Güven, députée (évidemment destituée !) du HDP qui avait déjà été emprisonnée de décembre 2009 à juin 2014 puis avait mené une grève de la faim de deux mois et demi, a de nouveau été condamnée à 22 ans et trois mois de prison. Il est à noter que ces arrestations se produisent après un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’homme ordonnant la libération de l’ancien co-président du HDP, Selahattin Demirtaş détenu depuis plus de quatre ans sur la base de l’accusation non fondée (mais récurrente dans toutes ces affaires !) de terrorisme.
Peine perdue comme le montre le fait que le 26 février la Présidence ait demandé au Parlement la levée de l’immunité parlementaire de 25 nouveau députés (21 du HDP, 1 du DBP (Parti Démocratique des Régions, allié au HDP) et 3 du CHP (Parti Républicain populaire, fondé en 1923 par Mustafa Kémal).
Début février, c’est par la voix de Peter Stano, son porte-parole pour les affaires étrangères, que l’Union Européenne s’est dite « gravement préoccupée par la pression continue exercée contre le HDP, qui s’est matérialisée récemment par des arrestations, des remplacements de maires élus, ce qui semble traduire des procédures judiciaires à motivation politique et la tentative de levée des immunités parlementaires des membres de la Grande Assemblée Nationale ». Et de conclure : « la Turquie doit sauvegarder (…) le respect des droits de l’homme et de l’État de droit ainsi que la liberté d’association politique ». On ne saurait mieux dire. Reste à attendre de réelles sanctions de l’UE. propre à faire reculer le Sultan !
Dans un contexte intérieur marqué par une sérieuse dégradation économique (les turcs ont perdu 41 % de leur pouvoir d’achat ces dernières années. Un dollar en 2010 équivalait à 1,5 livre turque ; aujourd’hui le billet vert vaut 7,33 livres !), Erdoğan accentue sa politique répressive. Au 1er janvier, il a décidé de mettre au pas l’université Boğaziçi (université du Bosphore). Située sur la rive européenne du détroit, cette prestigieuse Université d’État est réputée pour la défense de la démocratie en son sein et le respect de la multiculturalité, dont profitent en particulier, mais pas uniquement, les étudiantes et étudiants kurdes. Elle s’est vu imposer la nomination par Erdoğan d’un nouveau recteur membre de l’AKP (son parti islamo-conservateur). Dans le cadre de ce qu’il appelle une « réforme totale de l’enseignement », c’est-à-dire une mise au pas du système éducatif (6000 enseignants ont déjà été radiés depuis 2016) le dictateur, sur 27 des derniers recteurs promus, en a nommés 20 par décret (alors qu’ils devraient être cooptés par leurs pairs) tous membres de l’AKP. Face à cette volonté de bâillonner ce qui est pour les islamistes un centre de « la pensée occidentale », étudiant.es et professeur.es ont exprimé leur refus par des pétitions et manifestations, manifestations qui se poursuivent aujourd’hui et qui même gagnent un nombre croissant d’Universités. Elles illustrent une mobilisation croissante de la jeunesse turque contre le dictateur et son gouvernement malgré la répression féroce des manifestations et le nombre croissant des arrestations (plus de 600 à ce jour !) ! De très nombreux professeurs des universités se solidarisent avec leurs étudiant.es alors que le chef du MHP (parti de l’extrême droite nationaliste allié d’Erdogan) compare les étudiants contestataires à « des serpents venimeux à qui il convient d’écraser la tête » …
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Aujourd’hui, plus que jamais, les Kurdes, en Turquie et dans les trois autres pays entre lesquels ils ont été divisés par les accords mettant fin à la première guerre mondiale, ont besoin de la solidarité internationale.