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Le 17 novembre dernier, on apprenait que la Cour Européenne de Justice rendait un avis favorable au retrait du PKK de la liste des organisations terroristes établie par l’Union Européenne et les États Unis d’Amérique. Il s'agit là d'une avancée très importante dans la lutte contre la répression du mouvement kurde. De quoi s’agit-il ?
QU’EST-CE QUE LE P.K.K. ?
Le PKK est le nom du Parti des Travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, en turc). Ce parti a été fondé le 28 novembre 1978 par Abdula Öcalan et quelques-uns de ses camarades.
Au début des années 70, Öcalan (né en 1949) est militant de l’un des très nombreux groupes de l’extrême gauche radicale turque (souvent en rivalité violente entre elles !), le DDKO (Foyers Culturels Révolutionnaires de l’Est). Il s’engage toujours plus en action pour la cause kurde, ce qui l’amène à participer à la fondation du PKK en novembre 1978. Il en sera vite un dirigeant, puis le principal (2ème congrès, 1982).
En 1978, dès sa création, le PKK publie un manifeste au nom explicite : « la voie de la Révolution au Kurdistan ». C’est là un programme de « libération nationale » du Kurdistan, d’inspiration clairement marxiste, conçue comme une lutte contre « l’occupation impérialiste » du Kurdistan par la Turquie. Le but est alors d’arriver à la création d’un Kurdistan indépendant et socialiste par la lutte armée. A la lutte contre la Turquie, le programme ajoute un combat radical contre les « féodaux » kurdes issus des différentes tribus. Le mouvement prendra de plus en plus une coloration maoïste, sans aller cependant jusqu’au culte de Mao.
Selon cette ligne, le PKK commence en 1984 une guerre de guérilla contre les forces armées turques et en 1990, il contrôle de nombreux districts, formant dans l’est du pays une « zone libérée ». Les années suivantes seront terribles d’affrontements violents, l’armée turque mettant au point une tactique de contre-guerilla de la plus grande férocité, d’autant plus qu’en 1980 elle a pris le pouvoir (coup d’État du général Evren) et impose au pays un nationalisme strict ne reconnaissant en Turquie aucun autre peuple que turc. Plus de 4000 villages sont rasés, il y a près de 45 000 morts.
La guérilla du PKK arrive à ses limites et plusieurs fois il demandera un cessez-le-feu (1993, 1995,1998), toujours refusé par la Turquie.
Il faut ici noter que l’avis de la Cour Européenne de Justice énonce que les preuves apportées par les États demandant le maintien de la catégorisation du PKK comme organisation terroriste « portent sur des faits ayant eu lieu entre les années 1990 et le début des années 2000 ». Et pour cause…
LE TOURNANT APRÈS 1998
En 1998, Öcalan est arrêté (au Kenya où il s’était réfugié après avoir fui la Syrie qui l’avait d’abord accueilli avant de renouer avec la Turquie !). C’est le début d’une transformation importante pour Öcalan, et par la suite du PKK qu’il continue de diriger depuis la prison où il est toujours aujourd’hui à l’isolement (sa condamnation a mort ayant été commuée en prison à vie). En 1999, lors de son procès, il déclare que la lutte armée a été une erreur. Le PKK en annonce la fin.
En prison, il opère un retour critique sur la stratégie de la lutte armée qui a finalement conduit le PKK à l’échec. Et (scénario classique pour tous les révolutionnaires de tous les temps !), il enrichit sa formation théorique par de nombreuses lectures, notamment celle de l’éco-libertaire américain Murray Bookchin qui (entre autres) propose une nouvelle organisation sociale pour les sociétés humaines.
Cette évolution personnelle l’amène à engager le PKK dans une vision théorique totalement différente de celle du schéma marxiste -léniniste où il s’était enfermé. Et donc dans une pratique également différente.
Sur le plan stratégique, le PKK RENONCE A L’INDEPENDANCE DU KURDISTAN. Il se prononce pour des États fédéraux qui en finirait avec la prégnance des États-nations. Il ne plaide plus pour une lutte de libération nationale visant une prise du pouvoir et mais pour un approfondissement de la démocratie et une autonomie politique et culturelle au sein des États existants. Ceci vaut pour la Turquie, mais aussi pour la Syrie où son « parti frère », le PYD (Parti de l’Union Démocratique) se prononce pour faire du Rojava une « Fédération Démocratique de la Syrie du Nord et de la Syrie un État fédéral.
En 2005, Öcalan a fait adopter par le 9ème Congrès du PKK la stratégie du « Confédéralisme démocratique » (inspirée des théories libertaires de M. Bookchin). Pour la résumer schématiquement, il s’agit une organisation démocratique « par le bas » de la société qui s’auto-gère et s’auto-organise dès le stade communal (ou de quartiers dans les villes), chaque échelon envoyant des delegué.e.s à l’échelon supérieur. Cette auto-organisation étant valable sur toutes les dimensions : locale, culturelle (ethnique, religieuse), sociale (femmes, jeunes), etc… C’est dans les grandes lignes le projet social qui est mis en œuvre dans le Rojava aujourd’hui, dans des conditions que la guerre rend évidemment beaucoup plus difficiles. Néanmoins, l'inscription et le maintien du PKK sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et l'Europe en 2002 va servir de justification à la perpétuation de la répression contre l'ensemble du mouvement kurde.
En 2003, Erdogan était devenu premier ministre. Soucieux de marginaliser une armée qu’il estime trop puissante, il reconnaît dans un premier temps « un problème kurde en Turquie » (discours de 2005 à Diyarbakir « capitale » du Kurdistan de Turquie) et des négociations commencent. Mais en 2015, le HDP (parti qui défend -entre autres causes- la cause Kurde) obtient 80 députés aux législatives (3ème parti du pays) et Erdogan rompt les discussions et la répression anti kurde reprend de plus belle. Dans sa répression systématique contre toute forme d'opposition (presse, ONG, partis d'opposition au premier rang desquels se situe le HDP, etc.), Erdogan utilisera alors sans cesse l'accusation de « terrorisme » ou « complicité de terrorisme » légitimant son action au regard de l'inscription du PKK sur la liste des organisations « terroristes ».
ALORS QUE DIT LA COUR EUROPÉENNE DE JUSTICE ?
La Cour européenne de justice énonce que le PKK a été placé sur la liste des organisations terroristes par les États Unis et l’Union Européenne (les évènements du 11 septembre 2001 servant de prétexte) en 2002. Que les « preuves » avancées par ces États portent sur des faits datant d’entre 1990 et 2000 et que donc IL N’EXISTE PAS D’ ÉLÉMENTS SUFFISANTS POUR PLACER LE PKK SUR LA LISTES DES ORGANISATIONS TERRORISTES JUSQU’EN 2017.
MAIS la Turquie, pourtant membre du Conseil de l'Europe, refuse de reconnaître cette décision. Pourquoi ? Avoir un PKK classé comme « terroriste » lui est d’une efficacité redoutable pour le maintien de la dictature et sa légitimation au niveau international : il suffit de convaincre que tout accusé est en lien avec une organisation « proche du PKK » pour le dénoncer lui-même comme « terroriste » et donc le condamner à de lourdes peines !
Jusqu'à présent les États de l'Union Européenne ont lâchement avalé la couleuvre, sous la menace d’Erdogan de laisser sortir les réfugiés que la Turquie a recueillis depuis le début de la guerre en Syrie. Ce que la réception d’Erdogan par Macron le 11 novembre a « brillamment » confirmé (probablement pour célébrer le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » énoncé après la première guerre !). Il nous faut maintenant exiger des États de l'Union Européenne qu'ils appliquent la décision de la Cour Européenne en sortant le PKK de la liste des organisation terroristes, pour ne plus fournir de caution à la dictature de Erdogan dans sa répression.
NOUS LE DEMANDONS AVEC LA COUR EUROPÉENNE DE JUSTICE : IL FAUT SORTIR LE PKK DE LA LISTE DES ORGANISATIONS TERRORISTES !