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Billet de blog 18 février 2021

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CIZRE, HISTOIRE D'UN MASSACRE

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Rappel des faits

Cizre, 106 000 habitants (126 000 pour le district urbain) est une vielle ville au Sud Est de la Turquie, au bord du Tigre, proche de la frontière syrienne. C’est une ville « historique » du Kurdistan de Turquie, une ville qui a toujours soutenu, depuis des décennies, les « mouvements de libération » kurdes.

En novembre 2002, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, parti islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan) remporte les élections. Fort de ce succès et de l’évolution stratégique du mouvement kurde, des négociations s’engagent, entrecoupées de périodes de fortes tensions. En janvier 2013, un « processus de paix » est mis en discussion.

Mais en juillet 2015, Erdogan et son gouvernement mettent brutalement fin à ce processus. Une des raisons en est le succès du HDP (Parti Démocratique des Peuples, issu du mouvement politique kurde qui a repris dans son programme les revendications sociales et démocratiques de tous les peuples de Turquie.) aux élections municipales dans la plupart des grandes villes du Kurdistan. Aux élections législatives de juin 2015, il arrive en troisième position En 2014, il remporte. Erdogan et son parti perdent pour la première fois la majorité absolue.

Des attentats, non clarifiés à ce jour, servent de prétexte à la Turquie pour mettre fin au processus de paix déjà en panne. Elle prétend engager une guerre contre le « terrorisme », mais la cible principale est le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) ainsi que ses alliés en Syrie du Nord, qui ont arrêté les troupes de Daech à Kobané au Rojava (ou maintenant Fédération Démocratique de la Syrie du Nord). Les Kurdes y construisent une expérience politique et sociale d’auto- organisation des populations originale ; cette avancée des Kurdes vers un état fédéral est interprétée comme un séparatisme par Erdogan qui n’a jamais abandonné la vision traditionnelle du nationalisme turc dominateur.

Au mois d'août 2015, de nombreuses villes du Kurdistan de Turquie, dont Cizre, proclament une « autonomie démocratique », inadmissible pour l'état turc et Recep Tayyip Erdoğan qui a changé son discours de paix pour celui d'un guerrier nationaliste. Ces villes sont encerclées et bombardées par l’armée et les forces « spéciales » turques qui emploient les grands moyens (artillerie lourde, chars d’assaut) contre des combattants kurdes.

C'est la politique de la terre brûlée contre un soulèvement urbain amateur des jeunes des quartiers en résistance. Dans chaque ville en guerre l'état suit la même stratégie. Un couvre-feu est annoncé pour une date très, voire trop proche et les habitants sont sommés de quitter le quartier ou la ville. Ceux et celles qui resteront seront considéré.e.s comme « terroristes » et en conséquence traité.e.s comme tel, ce qui signifie être éventuellement abattu.e.s sans jugement. Cizre en subira plusieurs couvre-feux, de plus en plus violents, et à chaque fois sans foi ni loi.

Le 14 décembre 2015 à 23 heures, un dernier couvre-feu est imposé aux habitants de plusieurs quartiers de Cizre. Il restera en vigueur jusqu’au 3 mars 2016. C'est un vrai siège qui va se dérouler dans des conditions terribles. Le député HDP du district de Şırnak dont Cizre fait partie, Faysal reste dans la ville, et en tient le récit sur son compte Twitter.

Pendant des mois, les habitants, sont privés d’eau (d’où les problèmes d’hygiène invraisemblables), d’électricité et de ravitaillement (qui ne peut arriver qu’au compte-goutte). Le tout sous les bombardements incessants : l’hôpital est partiellement détruit et les ambulances qui y arrivent sont constamment victimes des tirs des snipers turcs.

A partir du 5 janvier 2016, des messages des forces turques diffusés par les haut-parleurs menacent même de gazer les habitants qui ne quitteront pas les quartiers assiégés ! Il s’agit effectivement, pour Erdogan, en plus d’écraser le mouvement kurde, d’obtenir un résultat supplémentaire : faire partir la population kurde de chez elle pour, à terme, la remplacer par une autre (en l’occurrence de réfugiés syriens) et y rendre les « indigènes » minoritaires.

Le froid, la faim, le manque d’hygiène, l’absence de soins et de médecine frappent durement. On apprend courant janvier que de nombreux habitants sont bloqués dans les caves et sous-sols de trois immeubles (rue Bostancı, rue Narin et rue Akdeniz). Radio France Internationale en fait état le 1er février 2016. Les députés du HDP, Faysal Sarıyıldız, Selahattin Demirtaş (co-président du HDP à l'époque, en prison), Meral Danış Beştaş (co-présidente du groupe parlementaire), İdris Baluken (membre des négociations de paix, en prison pour une peine de plus de 15 ans) essaient de négocier, avec le gouvernement, l’évacuation de ces personnes. Ces discussions se font par téléphone et sont retransmises en direct par les haut-parleurs pour que la population soit tenue au courant en permanence (vous entendrez certains de ces enregistrements dans le documentaire) : en vain ! Les snipers des forces turques empêchent la sortie de quiconque de ces caves et sous- sols, y compris en ambulance.

Début février, les immeubles dans lesquels se trouvent les réfugiés sont en flamme suite aux bombardements. Le 8 février, les grands médias turcs (dont la plupart sont normalisés par Erdogan) annoncent la mort de 30 à 60 « terroristes » lors de la destruction d’un « centre de commandement du PKK ». Faysal Sarıyıldız dénonce alors un « mensonge d’État ».

Fin février, le gouvernement turc annonce la fin des opérations militaires. Mais le siège est encore maintenu, le temps de faire disparaitre les gravats et de disperser les corps. La zone est rasée. Aucune enquête des autorités turques ne sera menée. Les expertises des autorités médico- légales sur les cadavres calcinés retrouvés concluront à des « causes non identifiées », des décès par des « armes non répertoriées ».

Le bilan (non officiel évidemment) conclura à 251 morts « militaires » pendant le siège (Kurdes et soldats turcs) et 175 morts dans les caves, dont 150 cadavres calcinés. La Présidente de la Fondation Turque pour les Droits de l’Homme, Şebnem Korur Fincancı, conclura à une « intention génocidaire ».

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