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Billet de blog 31 mai 2022

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Janvier-février 2016 : la ville de Djizré subit un véritable massacre.

Faysal Sarıyıldız était le député de Şirnex en 2016 et présent à Djizré, au Kurdistan de Turquie lors des massacres. Il témoigne. Vous trouverez la traduction de ses interventions, réalisée par Tuna Altinel, en dessous de chaque vidéo.

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https://www.youtube.com/watch?v=atjhGrwN8qw

Chères amies, chers amis, ce sont nos sensibilités communes, humaines qui nous réunissent ici aujourd'hui, c'est très important. Aujourd'hui, ici, nous parlerons d'un crime contre l'humanité  commis dans une autre géographie, d'une pratique criminelle qui s'est soldée par un massacre. La date du jour où j'enregistre cette vidéo est le 10 février 2022. Il y a 6 ans, jour pour jour, nous avons écouté une voix qui est tombée dans à cette heure-ci dans les chaînes de télé. Le 10 février 2016, Derya Koç, qui avait été l'ex-co-présidente de l'organisation du HDP de Milas (note de la traduction: Milas est une ville au sud-ouest de la Turquie) était à Djizré. Elle disait exactement ceci: “Nous sommes 50 personnes à trouver un abri dans les sous-sols de ce bâtiment. Il y a peu, de l'essence a été versée sur nous. Nous avons pu emmener à l'étage supérieur celles et ceux qui ne sont pas blessé-e-s mais les 25 ami-e-s qui sont resté-e-s à l'étage inférieur sont en train d'être brûlé-e-s vif. S'il n'y pas d'intervention à l'instant, après eux ils vont nous tuer aussi”. À peine dix jours plus tards, les restes calcinés du corps de Derya Koç ont été rendus à sa famille.

          La période dont nous parlerons est donc tellement horrible. Cela s'appelle crime contre l'humanité. Nous pensons que même si le crime contre l'humanité était commis loin de nous, il devrait intéresser tout le monde qui vit sur la terre parce que personne n'est en sécurité dans un monde où les responsables des crimes contre l'humanité, qu'il s'agisse des acteurs politiques commanditaires ou de ceux qui commettent les crimes, qui tirent la gâchette, ne sont pas jugés. C'est une situation qui constitue une menace à la fois contre les valeurs humaines et contre la vie et le corps humains. Pour cette raison nous en reparlerons. Nous en avons déjà parlé à Lyon plusieurs fois suivant l'initiative d'amis universitaires. Ces amis ont été arrêtés quand ils sont allés en Turquie parce que l'État turc ne veut pas que ses crimes contre l'humanité soient affichés. D'ailleurs, les horreurs vécues pendant cette période dont nous parlons, ont toujours été brouillées. La désinformation a été utilisée. Or, la réalité était toute différente. Nous sommes en possession de documents d'ampleur inédite sur la réalité. De grandes preuves, des enregistrements, des photos, des vidéos existent. Malgré ceci, aucun moyen, aucune institution n'a été trouvée dans le monde qui peut juger les personnes responsables de cet horrible crime contre l'humanité. Mais nous continuerons d'en parler. Parce que c'est notre responsabilité. Parce que pendant la période dont nous parlons le couvre-feu a duré 79 jours et presqu'à chaque jour de cette période, un ou plusieurs crimes contre l'humanité ont été commis. Je propose de rappeler très brièvement cette période. Les amis juristes expliqueront peut-être d'où tout s'émane. D'autres ami-e-s aborderont d'autres aspects mais moi, je veux très brièvement partager avec vous ce qui a été vécu lors de cette période.

          Vers la fin de l'année 2015, l'État turc présidé par Erdoğan a déclaré des couvre-feux dans plus de 10 villes du Kurdistan. Pendant cette période, des centaines  de personnes ont été tuées, des centaines de milliers de personnes ont été forcées à quitter leurs territoires, des milliers de logements ont été détruits, des dizaines de milliers de personnes ont été emprisonné-e-s. Et le pouvoir politique présent a renforcé son pouvoir.

https://www.youtube.com/watch?v=KuFgHhWvxwU

        L'État turc et le pouvoir politique montrent comme prétextes de la destruction qu'ils ont commise les barricades dressées aux entrées des villes et les personnes armées. Or, c'est un grand mensonge, une grande falsification parce qu'en 2014, quand il n'y avait pas de barricades, lors de la période de Kobanê (note de la traduction: il s'agit de l'assaut du Daech, c'est à dire l'État islamique,  sur la ville de Kobanê au Rojava, le Kurdistan syrien, ville très proche de la frontière turque), en Turquie et au Kurdistan du nord (note de la traduction: le Kurdistan de Turquie) une énorme réaction s'est formée. Il y avait une grande réaction aux politiques d'Erdoğan qui protégeaient le Daech. L'état a constaté ceci, a réuni les responsables de sécurité des villes et des quartiers où les destructions auraient lieu plus tard, et a planifié l'anéantissement. Lors de cette période, en 2015, l'hebdomadaire Nokta a fait des publications. À partir de l'année 2014, l'état a consacré un budget conséquent à l'importation d'armes pour détruire les villes. Ces habitations ont été encerclées par des milliers de véhicules blindés. C'est de cette façon qu'on est arrivé à la fin de l'année 2015 et les couvre-feux ont commencé.

          Moi, je veux afficher certains crimes d'état, crimes contre l'humanité. Dans les deux ou trois jours qui ont précédé le 14 décembre 2015, la date à laquelle le couvre-feu a été déclaré, des sms ont été envoyés aux fonctionnaires d'état. Bien sûr, depuis deux semaines à peu près des déploiements militaires se poursuivaient. Des milliers de soldats ont été dépêchés, des milliers de blindés. Toutes les écoles ont été fermées. Les sms aux enseignant-e-s disaient “Quittez cet endroit”, “Retournez à vos villes d'origine, les enseignements sont interrompus”. Bien sûr, après ces sms, nous avons informé l'opinion publique que l'état voulait commettre un massacre dans l'impunité. À la fin, il s'est avéré que nous avions raison, c'est ce qui s'est passé après le départ des fonctionnaires.

          Djizré était une ville où nous avions eu 94% des voix dans les élections précédentes et la population entière était vue comme anéantissable. Il y avait des kurdes avec une conscience politique. Dès que le couvre-feu a commencé le 14 décembre, l'électricité et l'eau de la ville ont été coupées, les cuves d'eau sur les toits ont été fait exploser par les tireurs d'élite. À ce stade de début, 120 mille habitants vivaient dans la ville. Personne n'avait quitté sa maison. Comme tuer tout le monde coûterait cher à l'état, celui-ci s'est mis en tête d'en expulser le plus grand nombre de la ville et d'anéantir celles et ceux qui resteraient. C'est de cette manière que le couvre-feu a commencé. En effet, dans la première moitié des 79 jours de couvre-feu, presque chaque jour, une maison a été la cible d'un obus, presque chaque jour deux ou trois personnes ont perdu leurs vies, il y a eu une dizaine de blessé-e-s. En d'autres termes, à la date du 20 janvier 2016, le peuple n'était plus en l'état de rester dans la ville. Par exemple, lors de cette période, beaucoup de familles m'ont téléphoné parce que suite aux bombardements presque tout le monde avait troufé refuge dans les sous-sols. Les familles qui me téléphonaient me disaient: “Notre enfant a perdu la tête parce que l'immeuble est sans cesse frappé”. “Notre enfant est devenu muet, il ne peut plus parler”. D'autres disaient “notre fils s'est jeté dehors, il va mourir.” En effet, pendant cette période de graves dégâts psychologiques ont été vécus. De plus, après les couvre-feux, il y a eu beaucoup de suicides. Il y avait une tendance terrible vers la folie.

          Une nouvelle phase a commencé à partir du 20 janvier parce que comme une grande partie de la population avait quitté la ville et celles et ceux qui restaient étaient  des acteurs politiques (mieux de dire “politiquement engagé-e-s”?), la ville était plus densement bombardée. Des gens avaient trouvé refuge dans les sous-sols de trois immeubles. Parmi eux, il y avait des journalistes, activistes, féministes, artistes, membres d'associations, étudiant-e-s d'université. Dès qu'ils-elles s'y sont mis-e-s en abri, ils-elles nous ont informé. Immédiatement, nous avons donné leurs addresses à l'état mais l'état était déterminé à les anéantir. Il brouillait les informations en provencances de ces immeubles. Par exemple, l'état, ou Erdoğan lui-même lors de ses apparitions télévisées disait “on leur envoie des ambulances mais ils ne viennent pas”. Or, les ambulances servaient à transporter du carburant aux blindés. Elles apportaient la mort. Une vraie horreur se mettait en place. Par exemple, nous avons fourni les noms de 143 personnes aux trois différents endroits à l'état mais l'état a sans cesse renié. Or nous avions entendu les voix de ces gens-là. C'était une période tellement horrible.

          Tout a été détruit. À la fin de cette période, 288 personnes auront été tuées. Parmi eux, il y avait des bébés dans le ventre de leurs mères assassiné-e-s par balles. Il y avait des gens âgés de 80 ans, mais aussi des étudiant-e-s d'université. Malheureusement, ni le pouvoir politique qui a ordonné ce massacre horrible, ni les militaires, policiers, forces paramilitaires qui l'ont exécuté n'ont à ce jour été jugés.

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