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Billet de blog 1 octobre 2014

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Entretien avec Laurent Gaudé, écrivain engagé

Prix Goncourt, Prix Goncourt des lycéens, Prix des libraires, Prix Jean-Giono… En l’espace de quelques romans, il est devenu l’un des écrivains les plus récompensés. Mais Laurent Gaudé est aussi (et, peut être, surtout) un homme de conviction. Il s’engage auprès d’Amnesty International pour dénoncer la torture.

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Prix Goncourt, Prix Goncourt des lycéens, Prix des libraires, Prix Jean-Giono… En l’espace de quelques romans, il est devenu l’un des écrivains les plus récompensés. Mais Laurent Gaudé est aussi (et, peut être, surtout) un homme de conviction. Il s’engage auprès d’Amnesty International pour dénoncer la torture.

Laurent Gaudé (c) Corbis

Racontez nous votre histoire avec Amnesty International ?

C’est moi qui ai fait la démarche d’entrer en contact avec l’association. J’ai envoyé un petit mail, disant que, si Amnesty avait besoin de moi, j’étais disponible pour certains sujets, notamment les réfugiés et Guantánamo. Dans notre monde actuel, troublé et plein de convulsions, on a absolument besoin de vigilance, d’un droit de regard. Et c’est ce que fait Amnesty. Moi, après l’écriture d’Eldorado [son roman sur des immigrés arrivant à Lampedusa ndrl], cela me semblait important de m’investir… Ce ne pouvait pas être juste un sujet de livre, un dossier qu’on referme. Il fallait que tout ce travail, cette documentation, cette sensibilisation servent à quelque chose. Il fallait que JE serve à quelque chose, que je continue à accompagner cette problématique.

Comment avez-vous décidé d’écrire Eldorado ?

C’était un sujet qui me touchait. A l’époque, en 2005, on en entendait déjà beaucoup parler… mais toujours avec les mêmes mots, le même format, journalistique,  court et formel. Ce n’est pas une critique, c’était le rôle des médias de traiter ce sujet de cette façon. Mais je me suis dit que ce thème était tellement important qu’il méritait un temps plus long et un ton plus empathique.

Alors j’ai commencé à creuser, à lire sur le sujet, découper des articles… J’ai trouvé cela passionnant, parce que cette problématique est un carrefour de multiples thèmes : l’identité, le sentiment d’appartenance, les voyages, les rencontres, l’attachement à un pays, le désir – quand on parle de départ, on parle forcément de désir –, la violence, la déchirure… Et depuis l’écriture de mon roman, ce thème ne me quitte plus. Comme je n’allais pas réécrire Eldorado, je voulais agir autrement !

Que pensez-vous de la politique actuelle en matière d’asile ?

Il y a d’abord un questionnement concret, technique… Comment l’Europe le traite-t-elle ? Je la trouve frileuse et souvent incohérente : on parle d’une politique européenne en la matière avec Frontex, mais en réalité, on laisse les États les plus exposés, comme l’Italie aujourd’hui, l’Espagne, auparavant, se débrouiller. Il faudrait une véritable pensée européenne unie en la matière. Il y a ensuite un combat idéologique. Et c’est là que l’auteur que je suis a un rôle. Incidemment, il se construit dans la tête d’un certain nombre de citoyens que l’Europe est une île que les autres convoitent, que nous ne pourrons pas accueillir tout le monde et qu’il faudra construire des murs pour nous protéger. Et je n’ai pas envie de vivre dans une forteresse.

D’autant plus que cette vision est fausse ! Je suis allé à Noël dernier pendant une semaine dans un camp de réfugiés syriens dans le Kurdistan irakien. C’était un moment absolument bouleversant, qui m’accompagnera pour la fin de mes jours. Et je peux vous assurer que sur tous les réfugiés que j’ai rencontrés, pas un ne m’a dit : « Mon rêve est d’aller en Europe ». Leur rêve est évidemment de rentrer dans leur village, pas s’installer dans un pays lointain, où ils ne connaissent personne et dont ils ne parlent pas la langue.

Que pensez-vous de la position de la France ?

Je la trouve vertigineuse ! Il faut se rendre compte des liens historiques de notre pays avec la Syrie. J’y suis allé bien avant la guerre. Je me souviens que, au musée de Damas, les écriteaux étaient à la fois en arabe et en français ! La Syrie faisait partie de notre zone d’influence. Et là, nous sommes d’une frivolité navrante… Il y a plusieurs millions de réfugiés syriens dans le monde et le gouvernement français a l’air fier de proposer d’en accueillir quelques centaines supplémentaires…Il faut comparer avec la capacité d’accueil des autres pays. Nous sommes loin derrière l’Allemagne ou la Suède. C’est aussi une question de stratégie. Quand on veut créer un peu d’influence dans le monde, il ne faut pas être là uniquement dans les périodes de bonheur : si aujourd’hui nous savons être présents aux côtés des Syriens, nous pourrons avoir une influence plus tard.

Aujourd’hui, vous continuez à travailler sur le thème de l’immigration…

Oui, je viens d’écrire le livret d’un opéra cirque intitulé Daral Shagal. C’est une compagnie de cirque belge, la compagnie Feria Musica, qui avait lu Eldorado et qui est venue me trouver pour me demander d’écrire un livret. On y suit les destins croisés de Nadra et son père, en route vers un nouveau monde, et d’un émigré sur le retour. Il y est question de frontière, de déchirure et de perte d’identité notamment. Les premières représentations auront lieu à Limoges les 25 et 26 septembre prochains.

Pensez-vous que c’est le « rôle » des écrivains, et des artistes en général, de s’engager ?

Je n’utiliserais pas le mot « rôle » parce que cela sous-entend qu’il faut le faire. Non, je suis juste dans une période de ma vie où j’ai envie de le faire. Cela me semble cohérent avec mon écriture. Être allé en Irak par exemple a vraiment été formidable. Cela justifie tout le reste.

Aujourd’hui, vous avez décidé de vous engager auprès d’Amnesty dans la dernière campagne contre la torture…

Ce n’est pas un thème que j’ai abordé dans un roman. J’ai été sensibilisé à la problématique de la torture après avoir croisé le centre Primo Levi, qui m’avait contacté après Eldorado. Et, bien sûr, il y a eu le problème de Guantánamo…

À quoi cela sert-il de protester de la torture dans un pays démocratique ?

On pourrait croire que c’est consensuel d’être contre la torture en France ou dans un pays démocratique, mais pas tant que ça… Il y a des passerelles entre torture et démocratie. Guantánamo en est la preuve. Même les vieilles démocraties valident la torture. C’est de la schizophrénie. Guantánamo est la preuve que les États-Unis sont conscients que c’est mal d’avoir recours à la torture : ils ne le font pas sur leur sol mais sur un territoire qui n’est pas le leur… Mais nous n’avons pas de leçon à donner. Ça a été notre cas en Algérie. Ou celui de l’Angleterre sous Thatcher, avec les prisonniers irlandais. Sans oublier les accords passés entre la CIA et certains pays européens, notamment la Pologne et la Roumanie, en matière de sous-traitance de la torture. Il faut être extrêmement vigilant, la frontière peut être poreuse.

Mais que répondez-vous aux personnes qui vous assurent que la torture est nécessaire pour obtenir des informations ?

Je citerai un de mes collègues, Jérôme Ferrari dans son livre « Où j’ai laissé mon âme », qui traite de la torture en Algérie. Il est philosophe de formation et selon lui, « il n’y a pas d’autres moyens que de faire de la torture un impératif catégorique ». Ça ne se discute pas. Car, dès qu’on bascule sur la question d’efficacité, on est sur une pente dangereuse, celle de la dénaturation. En cas de torture, il y a deux personnes qui perdent leur nature d’être humain : celui qui est torturé et celui qui torture. Et ce qui est vrai pour les individus est vrai pour les nations. Il faut être intransigeant.

Que pensez-vous de ces films ou séries télévisées, comme 24h chrono par exemple, qui glorifient en quelque sorte le recours à la torture ?

Actuellement, nous vivons dans un monde où l’idéologie dominante, qui nous vient essentiellement de l’administration Bush, divise le monde en deux parties : les démocraties et le monde musulman. Les fictions auxquelles vous pensez sont issues de cette idéologie. Je n’y adhère évidemment pas. Lorsque la fiction s’empare de la torture, elle ne peut que souligner son efficacité. Il y a évidemment d’autres aspects à la torture : le fait que cela crée des vocations d’ennemi et durcisse les blocs. Mais ce n’est pas montrable dans une fiction : c’est un cheminement psychologique qui prend du temps, il faudrait un film de six heures pour l’illustrer, cela est moins immédiat que le fait d’obtenir des informations. Mais il est important de garder sa capacité d’indignation en la matière. Il m’arrive de penser aux acteurs de western des années 1950 : je suis persuadé que si on leur montrait nos héros d’aujourd’hui, ils seraient choqués. C’est comme pour la mafia : la fiction s’en est emparée, parfois pour en faire des chefs d’œuvre. À chaque fois, les mafieux sont présentés comme des êtres charismatiques et attrayants. Pourtant, si vous les voyiez en vrai, ils sont loin de ça. J’ai écrit un texte sur les juges Falcone et Borsellino, des juges antimafia qui ont été assassinés. Ce sont eux les vrais héros de l’histoire. Quant au salopard qui les a assassinés, je ne veux même pas citer son nom. Il ne faut pas lui donner cet honneur. Je trouve que c’est de la responsabilité des auteurs de fiction, il faut qu’ils réfléchissent lorsqu’ils créent leurs héros.

Avez-vous l’intention d’en faire le thème d’un prochain roman ?

A priori non, le sujet est trop difficile, cela m’impressionnerait trop. En revanche, j’aimerais écrire quelque chose sur le centre Primo Levi, sur le fait d’accoucher les victimes des mots, sur l’émergence de la parole pour se soigner. Bref d’étudier et raconter les liens entre les victimes et leurs soignants.

Propos recueillis par Virginie Plaut

Biographie

1972 Naissance dans le 14ème arrondissement de Paris

1998 DEA de lettres modernes

1999 Écriture de sa première pièce de théâtre Combat de possédés

2002 Prix Goncourt des lycéens et prix des libraires pour La Mort du roi Tsongor, son deuxième roman

2004 Prix Goncourt et prix Jean-Giono pour Le Soleil des Scorta

2006 Eldorado

2008 Voyage en terres inconnues

2012 Pour un seul cortège

2014 Écriture du livret de l’opéra cirque Daral Shaga

Sommaire complet de La Chronique du mois d'octobre 2014

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