RUSSIE. Avocat pénaliste, spécialisé dans les cas liés à des activités « terroristes », membre de l’ONG russe de défense des droits humains Memorial, Rustam Matsev exerce dans le Caucase du Nord. En visite à Paris en février dernier pour y rencontrer des représentants du gouvernement français, il témoigne de la situation dans cette région de Russie. Article à retrouver dans le numéro d'avril de la Chronique, magazine mensuel d'Amnesty International France.
Difficile de croire en rencontrant Rustam Matsev, jeune homme d’une trentaine d’années à l’aspect plutôt frêle, qu’il puisse représenter une quelconque menace envers la Russie de Vladimir Poutine. Il ne faut pourtant pas se fier aux apparences. « Même le moustique peut affronter le lion », affirme en effet un proverbe caucasien, région dont il est originaire. Cette confrontation, Rustam l’a cependant voulue pacifique. Et, surtout, légale.
Avocat, il s’est spécialisé dans la défense de ceux accusés de « terrorisme, d’extrémisme et toutes actions connexes ». Il s’occupe aussi des affaires de « kidnapping, torture ou assassinats hors cadre judiciaire » et/ou « montées de toutes pièces » par des représentants du gouvernement russe, police, armée ou services secrets, dans le District fédéral du Caucase du Nord.
Une lourde tâche dans cette région du sud-ouest de la Russie grande comme un quart de la France et composée d’une demi-douzaine de républiques autonomes, Daghestan, Ingouchie, Kabardino-Balkarie, Karatchaïévo-Tcherkessie, Ossétie du Nord, Tchétchénie. Une région peuplée par une population en majorité musulmane qui, un siècle et demi après avoir été intégrée de force dans l’Empire tsariste, a toujours du mal à accepter la tutelle de Moscou, encore perçue comme une puissance colonisatrice.
« Depuis que les opérations militaires se sont terminées en République de Tchétchénie, le conflit est entré dans une phase plus latente, mais s’est étendu sur tout le territoire du Caucase Nord, constate Rustam. Notamment dans les républiques du Daghestan, de Kabardino-Balkarie et d’Ingouchie où des opérations “anti terroristes” sont régulièrement menées ». Arrestations sommaires, enlèvements, torture voire assassinats purs et simples, les policiers, souvent accompagnés dans ces interventions par des membres du FSB, l’ex-KGB, n’ont guère de scrupules. Ils s’affranchissent ainsi allègrement du cadre légal pour réduire au silence les opposants et les voix critiques, membres de groupes armés ou militants nationalistes, mais aussi écologistes ou journalistes.
Un véritable casse-tête pour les avocats locaux qui reconnaissent que le principal problème rencontré dans l’exercice de leur métier est d’ordre « systémique ». « Dans les zones de conflit, l’avocat n’a pas accès aux personnes arrêtées et incarcérées, déplore Rustam. Non seulement, on ne le laisse pas entrer en contact avec le prévenu, mais il arrive également souvent qu’on ne le prévienne même pas de son arrestation ni de son lieu de détention ».
Un manque d’information que le défenseur des droits de l’Homme explique : « Cela permet aux enquêteurs d’utiliser tous les moyens de coercition possibles afin d’obtenir les dépositions qu’ils souhaitent. Ce n’est qu’après les avoir obtenues que le droit de voir un avocat sera accordé ». Les moyens de coercition évoqués par Rustam sont hélas connus : menaces sur la famille, coups, asphyxie, chocs électriques… « Certains de ceux qui étaient passés par là, et quelques-uns étaient vraiment des durs à cuire, m’ont avoué que c’était horrible, intenable. Que l’on a l’impression que tout son corps, son cœur vont exploser », témoigne le jeune homme.
La complicité tacite dont feraient preuve certains membres du Barreau n’arrange rien. « Pour légaliser un faux témoignage obtenu sous la torture, une affaire montée de toutes pièces, il faut bien que quelqu’un collabore, car, selon la loi russe, toute personne soumise à un interrogatoire a le droit d’avoir un avocat, précise Rustam. Certains confrères qui veulent rester en bons termes avec les autorités sont donc prêts à signer des procès-verbaux après des dépositions obtenues de cette manière. Et ceux-là sont hélas plus nombreux que ceux qui veulent exercer leur métier en respectant certains principes ».
Quant aux autres, ils sont constamment sous pression. « Nous sommes surveillés, nos téléphones sont sur écoute, nous sommes suivis lors de nos moindres déplacements et les menaces qui nous sont adressées le sont en général directement. Entre quatre yeux », détaille l’avocat qui avoue avoir été ainsi lui-même directement menacé de mort par un haut gradé de la police.
« Bien sûr que j’ai peur. Je suis un être humain comme les autres, admet avec franchise cet homme marié, père de deux enfants. J’ai peur pour moi, pour ma famille. Mais si nous ne faisons rien, si nous ne disons rien, si nous n’osons pas, rien ne changera. Et personne ne saura ce qui se passe dans cette région ».
Patrick Chesnet
Photo : Rustam Matsev en visite à Paris en février 2014 pour y rencontrer des représentants du gouvernement français. © Patrick Chesnet