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Billet de blog 24 juillet 2025

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Marquées à vie mais résilientes : les femmes accusées de sorcellerie au Ghana

Au Ghana, la persistance des accusations de sorcellerie à l’encontre le plus souvent de femmes âgées, est génératrice de violations graves de leurs droits. Certaines, souvent menacées de mort ou agressées physiquement, doivent se réfugier dans des camps, où elle tentent de retrouver une vie normale.

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En levant les yeux, je pouvais apercevoir, au loin, l’arrière de certains toits en tôles mais nous devions encore traverser de hautes herbes pour les atteindre. L’endroit semblait isolé du reste de la commune. Lorsque nous sommes enfin arrivées à l’entrée du camp, nous avons vu le prêtre, assis à l’ombre d’un grand arbre, tandis que les femmes, assises en demi-cercle, nous attendaient avec impatience. Elles étaient 15, âgées de 60 à 90 ans. Toutes étaient souriantes. Quand nous leur avons expliqué la raison de notre visite, elles nous ont chaleureusement remerciées de prendre le temps de leur parler.  Pour une personne non avisée, cet endroit pouvait ressembler à un petit village avec une communauté soudée de femmes âgées. Ce qui ne transparaissait pas sur leurs visages, c’est que leurs communautés, voire leurs familles les avaient bannies jusqu’à cet endroit reculé, les accusant d’être des « sorcières ».

Au Ghana, la plupart des personnes accusées de sorcellerie, majoritairement des femmes âgées, se retrouvent dans l'un des quatre camps dirigés par des prêtres traditionnels dans les régions du Nord et du Nord-Est. Ceux qu’elles appelaient autrefois parents les traitent désormais comme des parias. Maris, frères, belles-familles et fils sont souvent à l’origine du drame. Les prétendues preuves retenues contre ces femmes sont dérisoires : un cauchemar, une maladie, l’accident d’un proche, la mort d’un voisin… Parfois, leurs accusateurs prétendent détenir des preuves provenant de voyants capables de déceler de mauvaises intentions. En réalité, ces femmes sont des boucs émissaires idéaux face à une dure réalité : la perte soudaine d’un être cher ou la frustration liée au manque de ressources.

Ce n’est pas un hasard si elles sont souvent perçues comme « trop vieilles » pour contribuer à la société, « trop prospères » ou encore « trop obstinées » pour correspondre à ce qui est attendu des femmes. Il en faut peu pour bouleverser leur vie et les bannir de leurs communautés ; être réhabilitées, cependant, est une tâche colossale. Une seule accusation devient une tache indélébile, les privant de foyer, de moyens de subsistance, de dignité… Elles sont ainsi marquées à vie.

Dans le pire des cas, les rumeurs accusatrices mènent au meurtre. Il y a cinq ans, le 23 juillet 2020, une vidéo montrant l’agression d’une femme de 90 ans à Kafaba, dans la région de Savannah, a circulé en ligne, soulevant un tollé dans tout le pays, ainsi qu’un appel au changement. On y voit deux femmes la fouetter et la frapper, tandis que des dizaines de personnes qu’elle connaissait depuis des années jubilent devant son châtiment. Cet épisode tragique n’est pas un cas isolé. Mais il a été déterminant pour la mobilisation contre les accusations de sorcellerie et leurs conséquences dramatiques. En juillet 2025, il n’existe toujours aucune loi criminalisant les accusations de sorcellerie malgré les efforts des activistes ghanéennes et ghanéens qui plaident pour l’adoption de cette loi nécessaire. 

Akua Denteh, la femme qu’on voit sur la vidéo, n’a pas survécu. Les deux femmes filmées en train de l’agresser ont été reconnues coupables d’homicide involontaire. Face au risque qu’on porte atteinte à leur vie, la plupart des femmes accusées de sorcellerie se résolvent à se rendre dans les seuls endroits qui les acceptent. Ces camps, qui existent depuis plusieurs décennies, ne sont pas des lieux de détention, mais elles n’ont d’autre choix que d’y rester.

La vie de Zeinabou* a volé en éclats lorsque sa co-épouse l’a accusée de sorcellerie. Son mari a cru à l’accusation et son père lui a dit qu’elle devait aller dans un camp. Dix ans plus tard, malade, elle a quitté le camp pour s’installer chez son fils, mais elle a de nouveau été accusée lors d’une messe. Aujourd’hui de retour au camp, à 90 ans, elle n’a plus aucun espoir pour l’avenir : « ce jour-là, ils m’ont laissée comme on laisse une chèvre attachée quelque part. »

Les femmes qui nous ont accueillies se trouvaient dans le camp de Kpatinga, dans la région du Nord, à plus de 500 km d’Accra, la capitale. Celles qui en ont encore la capacité travaillent pendant la saison des récoltes dans les champs des habitants de la commune, en échange de bassines de nourriture d’une quinzaine de kilos. Après les récoltes, elles glanent sur les champs ce que les cultivateurs ont laissé derrière eux ; certaines récupèrent des restes au marché. Celles qui ne peuvent plus faire des travaux pénibles dépendent entièrement de l’aide d’autres femmes ou de visiteurs.

Les conditions de vie dans le camp de Gnani, situé 70 km plus loin, sont similaires. C’est le plus grand camp du pays, abritant plus de 200 adultes accusés de sorcellerie, y compris des hommes. À notre arrivée, certaines femmes nous ont adressé la parole dans une langue que je ne connaissais pas. Mais j’ai compris, en voyant leurs gestes universels, qu’elles demandaient à manger.  Les femmes à Gnani, comme celles des autres camps, font aussi face au manque d’eau potable. Elles sont contraintes de marcher pendant des heures dans des zones montagneuses pour puiser de l’eau dans la rivière.

Un autre défi est l’accès aux services de santé. Beaucoup de femmes souffrent de maladies chroniques, mais certains médicaments dont elles ont besoin ne sont pas pris en charge par l’assurance nationale ou ne sont pas disponibles dans les centres de santé les plus proches des camps. Le soutien en matière de santé mentale est aussi très limité. Ces femmes portent le traumatisme des accusations, aggravé par les agressions verbales et physiques, le rejet par leurs familles, ainsi que les difficultés quotidiennes de la vie dans les camps. Une veuve a déclaré avoir envisagé de mettre fin à ses jours après que son beau-frère l’a accusée d’avoir tué son propre fils : « je voulais me suicider parce que l’accusation était trop lourde. C’était tellement douloureux pour moi. » Elle a renoncé à le faire grâce au soutien des autres femmes du camp. La solidarité entre ces femmes transparaît dans toutes leurs histoires.

Cinq ans après la mort d’Akua, plus de 500 personnes vivent encore dans ces camps. Alors que nous quittions celui de Kpatinga, les femmes chantaient et applaudissaient, nous souhaitant un bon retour. Si elles avaient un pouvoir magique, ce serait leur incroyable résilience face à une situation qui dépasse l’entendement. Malgré tout, elles ont besoin de soutien.

 Michèle Eken, chercheuse senior au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale

*Nom modifié pour préserver l’anonymat

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