Aymeric Elluin témoigne du difficile travail plaidoyer pour garantir un traité crédible qui améliore la sécurité de la population dans le monde. Chargé de la campagne Armes et Impunité en France, il fait partie de la délégation d'Amnesty International qui suit les négociations du traité international sur le commerce des armes aux Nations unies à New York .
J-3 avant la fin des négociations pour l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes qui doit mettre un terme à la litanie des morts inutiles du fait d’un commerce des armes non régulé au plan international.
Hier matin, les membres de notre délégation étaient nerveux et épuisés. Nous avons passé le week-end à analyser le nouveau projet de traité présenté par le président de la conférence -Peter Woolcott - ce vendredi. L’ensemble des ONG, comme Amnesty International, a multiplié les réunions de réflexion et d’élaboration de stratégie pour les jours à venir.
Durant le week-end, nous avons eu de nombreux contacts avec les délégués étatiques pour entendre leur réaction au projet sur la table et connaître leur stratégie d’action. J’ai ainsi une réunion avec mes collègues et l’ensemble des membres de la délégation française afin de connaître leur position. Parmi les points positifs à retenir, la France fait partie de ces pays qui poussent pour que le champ d’application du traité couvre le plus grand type d’armes.
Pour y parvenir, tout se joue comme très souvent à la promotion de quelques mots clés dans telle ou telle disposition du traité. C’est à un véritable exercice de commentaire de texte que chacun s’emploie, un peu comme si vous travailliez sur un document « Word » en utilisant le suivi des modifications. L’enjeu est de taille il faut dire, et c’est qui explique notre tension : le nouveau projet de traité comporte encore de sérieuses insuffisances qu’il convient de combler.
Mais avant, il n’est pas inutile de rappeler que la raison principale du traité, tel que pensé par Amnesty International et ses partenaires, est de prévenir les atrocités commises au moyen d’une large gamme d’armes classiques. Or, si le nouveau texte permettrait d’interdire tout transfert d’armes à destination de pays connus pour les utiliser pour commettre les pires crimes du droit international au sens du Statut de Rome fondant la Cour pénale internationale, il laisse de côté toute une série d’autres crimes.
Ainsi le traité ne s’appliquerait pas aux situations de conflits armés non internationaux car il n’interdirait pas les transferts destinés à faciliter les exécutions sommaires et arbitraires, les disparitions forcées ou les actes de torture commis dans ce type de situation. Il ne s’appliquerait pas non plus à ces crimes lorsqu’ils interviendraient dans le cadre d'un attaque généralisée ou systématique contre une population civile spécifique.
Enfin, « last but not least », si l’Etat exportateur devait juger que le transfert envisagé contribue à la paix et à la sécurité et ce, malgré l’existence d’un réel danger que les armes soient utilisées pour des crimes de guerre ou des violations flagrantes des droits humains, il pourrait tout de même procéder au transfert. Ainsi, le droit international des droits de l’Homme auquel il n’est pas possible de déroger selon les normes établies se voit pourtant bafoué et relégué au rang de normes secondaires et relatives.
Ce n’est pas pour en arriver là qu’Amnesty International se bat depuis près de 20 ans. Si notre organisation est consciente des compromis nécessaires à réaliser pour faire avancer la négociation, aucun d’entre eux ne saurait remettre en cause le droit international bien établi. A ce stade-là si l’on se concentre sur ce seul aspect du nouveau texte, le traité est loin d’être suffisant et ne saurait pleinement protéger les populations civiles.
En vérité, tous nos regards sont portés vers la Maison Blanche qui détient une partie des clés de la négociation. En tant que premier exportateur d’armes au monde, les Etats-Unis sont les premiers réfractaires au principe d’un traité sur le commerce des armes qui remette en cause leur capacité à agir unilatéralement. Et ce, alors même que leur sécurité nationale est questionnée en permanence par la prolifération des armes dont ils sont à l’origine que ce soit en Libye, en Irak, au Yémen…

Les militants d'Amnesty International mobilisés en marge de la conférence ©AI
Les Etats-Unis prennent en otage la communauté internationale et des millions de personnes dans le monde qui aspirent à ne pas être massacrées du fait de l’incapacité de pays indigents à garantir leur sécurité.
Nous parlons de 1500 morts par jour du fait de la violence armée.
Un peu partout dans le monde, les sections nationales n’ont plus que quelques heures pour tenter de faire pression sur les Etats-Unis pour cette dernière ligne droite avant la fin de la conférence.
C’est pourquoi la section américaine d’Amnesty International a organisé un événement vendredi dernier devant la maison présidentielle pour inciter Barack Obama à faire preuve de flexibilité et de courage politiqueen consentant via un traité à un abandon de souveraineté qui n’aura que très peu d’impact sur les Etats-Unis. Car c’est bien une marque de faiblesse que de renoncer à améliorer la sécurité internationale et la protection des droits humains.
Monsieur le Président des Etats-Unis d’Amériques ce sont des millions de vie qui dépendent de vous, ne nous décevez pas et saisissez cette opportunité historique de contribuer au respect des droits humains et de la sécurité internationale.
Vidéo en anglais enregistrée à la conférence des Nations unies à New York, le 25 mars. Brian Wood et Alberto Estevez de la délégation d'Amnesty International partagent leurs impressions sur la conférence alors que les négociations entrent dans leur 4ème jour : http://youtu.be/8Livd9Cx7_k