
Le changement signife faire tout le contraire de ce qui s'est fait jusqu'à maintenant, c'est faire une autre politique. Pablo Iglesias
Le bal des élections est ouvert en Espagne avec les municipales et régionales en mai puis les générales en novembre. C'est Pablo Iglesias, le dirigeant du parti Podemos créé en Janvier 2014, qui inaugure la campagne avec son article Qu'est-ce que le changement ? publié dans le journal El Pais. Réforme du travail, de la sécurité sociale ou encore réforme de la fiscalité, Pablo Iglesias donne sa propre vision de ce qu'est le “changement”.
Terme séduisant le “changement” revient alors aussi bien lors des discussions de café que des manifestations ou encore des débats télévisés entre les différents candidats. A tel point que comme en France la promesse de changement signife à peu près tout et son contraire.
D'où vient alors cette idée de “changement” qui polarise le débat politique en Espagne, en quoi ce “changement” prôné par Podemos se distingue de l'offre politique traditionnelle sont autant de points qui méritent d'être traités.
Personnes sans maison, maisons sans personne
Notre itinéraire débute avec la crise de 2008. Pour l'Espagne cette crise signife avant tout un scandale immobilier capable de générer à la fois 3,5 millions de logements vacants sur l'ensemble du territoire et, faute de pouvoir payer leur dette ou loyer, l'expulsion de plus de 39 000 familles en 2013 selon la Banque Espagnole. Ajoutons à ce scandale celui de la pauvreté puisqu'on compte 2,3 millions d'enfants espagnols vivant sous le seuil de pauvreté selon l'UNICEF, sans oublier l'austérité avec ses coupes budgétaires dans les principaux services publiques.
« Il manque un parc, on le crée nous-mêmes »
La première étape de notre itinéraire se situe dans les rues de grandes villes espagnoles. Ici le changement prend un sens bien particulier, un participant du jardin autogéré “Esta es una plaza” (Madrid) résume l'opinion dans les mouvements sociaux espagnols :“Notre idée est simple, s'il manque un parc, on le crée nous-mêmes”. Face à l'augmentation des besoins les plus élémentaires et la diminution des services de base (santé, aides sociales, éducation) les espagnols se détournent des voies institutionnelles et construisent eux-mêmes la réponse à leur besoin.
De cette idée viennent les jardins collectifs et Centres Sociaux Autogérés comme le Patio Maravillas à Madrid, la Maison Invisible à Malaga ou le Can Battlo à Barcelone où l'on construit la vie du quartier avec des cours de danse, des fêtes ou encore une assistance juridique pour les travailleurs et les immigrés.
« Democracia real ya » ou le sursaut du 15 Mai 2011 espagnol
Des rues passons à présent aux places des villes qui ont été les témoins du mouvement du 15-M (pour le 15 Mai 2011 date de la première manifestation). Il s'agissait alors d'occuper la place centrale de chaque ville d'y camper, d'y manger, d'y débattre et d'y danser. Mouvement massif aussi bien par son nombre que par sa présence sur l'ensemble du territoire le 15-M parvient à faire du changement un idéal partagé par l'ensemble de la société civile.
Généralisé aux quatre coins du pays l'idéal de changement prend une autre apparence, il s'agit à présent de revendiquer une « démocratie réelle maintenant », en finir avec l'austérité et la corruption pour plus de démocratie.
Après avoir occupé les édifces vides ou les terrains vagues le citoyen espagnol décide d'occuper les places publiques. Le symbole est fort puisque par ces occupations ils cherchent à récupérer leur ville et la démocratie. En bref, il s'agit de faire de chaque place publique une Agora où citoyenneté rime avec pouvoir de prise de décision. Au pays de la spéculation immobilière, l'espace urbain est un enjeu pour le changement démocratique.
De la revendication populaire à l'organisation politique : Podemos, le parti du changement
Après avoir été un idéal des mouvements sociaux puis un cri d'indignés, le changement se transforme en ralliement politique incarné notamment par le récent parti Podemos. Les partis traditionnels et la presse sont aux aguets et parlent d'un « spectre Podemos ». Spectre capable en quelques mois d'obtenir 1,4 millions de voix aux élections européennes de 2014.
Succès fulgurant, ce nouveau parti interpelle avant tout par sa méthode. Le 31 Janvier dernier le leader du mouvement, Pablo Iglesias, convoque une marche pour le « changement », c'est là encore un succès. La très célèbre place de Madrid La Puerta del Sol, auparavant occupée par le 15-M, est prise par des dizaines de milliers de manifestants. Un membre de Podemos nous explique la clé de ce succès : On donne un concept et c'est aux gens de lui donner un sens. Pour les uns le changement c'est en fnir avec la corruption, pour d'autres c'est avant tout changer de modèle économique. Par cette méthode on active la participation citoyenne. On vous donne le cadre à vous de le remplir .
C'est un changement de méthode où le citoyen s'entend comme partie prenante du travail politique et non plus seulement comme électeur. Regardons les élections municipales à Madrid. Née d'une coalition d'individus de différents mouvements citoyens la liste citoyenne AhoraMadrid (“Madrid maintenant”) s'articule autour d'un même objectif : le changement pour les citoyens et par les citoyens. L'idée est simple, pour que la Mairie soit au service des citoyens elle doit être composée de citoyens sur un programme élaboré par les citoyens.
Illustrons cette méthode participative à travers l'itinéraire d'une proposition concrète : “la récupération des espaces vacants pour répondre aux besoins des habitants”. Elle est revendiquée aussi bien par les centres sociaux avec leur Manifeste ouvert pour les espaces urbains (manifeste encore en construction et auquel chacun peut participer) que par les mouvements sociaux comme le collectif Juventud Sin Futuro (“Jeunesse sans avenir”) qui élabore une “revendication des espaces publiques et socioculturels pour la jeunesse” parlant d'une “cession d'espaces publics autogérés pour la citoyenneté”. Ou enfn l'idée est défendue lors de réunions de quartier à Lavapiès et dans le quartier Las Letras (Madrid) d'“une récupération des logements vacants et un audit citoyen pour décider de leur usage”.
D'une revendication disséminée entre différents quartiers et différentes organisations on passe à un point du programme de Ahora Madrid. Par cette méthode la coalition parvient à traduire politiquement et unir les propositions issues de la société civile organisée ou non. Une fois le programme élaboré il s'agit de préparer la campagne, ici aussi la participation citoyenne est mise au centre. Du drapeau sur le balcon à l'élaboration de discours en passant par l'aide fnancière, c'est la citoyenneté dans son ensemble qui est mise à contribution. De son côté le cercle Podemos du quartier Carabanchel-Latina a dores et déjà ouvert un site où chaque habitant peut sélectionner le domaine qu'il maîtrise et qui l'intéresse pour participer à la campagne. Activer la participation citoyenne c'est aussi bien faire du citoyen un objectif démocratique qu'un acteur politique.
Le « vide conceptuel » ou le marketing en politique
Le succès de Podemos ne peut pas s'entendre au seul niveau de la participation citoyenne. N'oublions pas qu'il s'agit d'une organisation capable de générer une large adhésion de la population en seulement quelques mois. Afn d'obtenir cette capacité le parti a dû élaborer une
stratégie de marketing électoral.
Cette stratégie se fonde avant tout sur les textes du philosophe argentin Enersto Laclau et plus particulièrement sur l'idée du « vide conceptuel ». Si l'on reprend le cas du terme « changement » on comprend que l'on est confronté à un terme à la fois très usité et très peu défni. Le changement est revendiqué, arboré, invoqué sans que l'on sache réellement ce qu'il implique. Faiblesse politique dira-t-on ? C'est tout l'inverse, ce vide conceptuel est une force, une arme politique qui permet de regrouper une majorité d'individus sans soulever les questions qui fâchent et qui divisent. Quelque soit leur opinion, leur âge ou leur position social, chaque espagnol peut se reconnaître dans ce concept.
Un deuxième travail doit à présent s'opérer : faire de Podemos le parti de ce « changement » afn de parvenir à se faire le parti de la population, le parti de la majorité ou encore le parti de ceux d'en bas face à ceux d'en haut, la « caste ».
Cette stratégie a pourtant un coût politique. Le recours à des termes conceptuellement vides laisse la place à une réutilisation par d'autres partis qui tentent alors de canaliser le mécontentement. Succès politique, le terme changement a été repris par les grands partis espagnols ; le Parti Populaire (PP) appelle à « se joindre au changement », le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) revendique un « changement sûr » tandis que le nouveau parti de droite Ciudadanos (« Citoyens ») reprend directement à son compte le terme de « changement ». Cette généralisation montre dans un premier temps une force de Podemos qui parvient à imposer son langage aux partis traditionnels. Et dans un même temps cette généralisation du terme changement oblige à se différencier sur un autre terrain, sur le terrain du programme politique.
Or on touche ici encore à une faiblesse dans cette méthode de marketing politique utilisée par Podemos. Concept vide, le terme de changement ne nous renseigne guère sur les points de tensions dans la politique espagnole. Instauration de la République Espagnole ? Reconnaissance du droit d'autodétermination de la Catalogne ? Autant de silences qui se justifent par une nécessité électorale : il s'agit de rassembler une majorité afn de gagner les élections. C'est alors un jeu d'équilibre auquel se livre le mouvement, un terme trop précis réduit le champ d'adhésion mais à l'heure des prises de décisions les citoyens nécessitent un programme concret.
Cette réfexion est d'autant plus répandue dans le mouvement que les résultats aux élections régionales d'Andaloucie ont fait redescendre Podemos de ses nuages. Avec 15 sièges au parlement andalou, même si le nombres de voix obtenues est supérieur aux élections européennes de 2014, l'adhésion à Podemos ne permet pas pour l'heure de remporter les élections ni de devenir la première force d'opposition, objectif des dirigeants du parti pour l'année 2015.
Barcelone ou la « Révolution démocratique »
Est-il possible de concilier succès électoral et identité politique de gauche ? Le cas de Barcelone semble nous permettre de répondre positivement. En vue des prochaines élections municipales se constitue la liste Barcelona en Comù (« Barcelon en commun »), à la tête de cette liste on retrouve une autre fgure de la politique espagnole Ada Colau. Ses débuts se font avec la Plateforme des Affectés par l'Hypothèque (PAH), l'association qui dénonce les nombreuses expulsions dues aux hypothèques et en empêche certaines au moyen d'actions et de désobéissance civile.
Issu de ces mouvements sociaux Ada Colau reçoit selon les derniers sondages du journal la Vanguardia 25,3 % des intentions de vote pour les prochaines élections. Si le succès, le parcours et le programme d'Ada Colau est semblable à celui de Pablo Iglesias, la stratégie n'est pas exactement la même. Au « changement » revendiqué par Pablo Iglesias, Ada Colau préfère l'expression « révolution démocratique ». Si cette expression reste presque aussi conceptuellement vide que le changement, elle propose un ancrage d'avantage précis. Entendu comme « révolution » le changement se veut profond et d'une certaine radicalité, c'est l'idée que rien ne sera plus comme avant. Mais il s'agit tout de même d'un contexte électoral, le changement s'entend alors comme interne au système démocratique, c'est une révolution sans drapeau rouge ni soulèvement armé.
Nous avons alors ici un slogan tout aussi ample et inclusif, tout aussi rassurant – puisque le but et les moyens de cette révolution restent dans le cadre démocratique-. Et pourtant il ne peut pas être repris par les partis traditionnels, par le Parti Populaire ni par le Parti Socialiste. Le changement à Barcelone exprimé comme une « révolution démocratique » permet une large adhésion de la population tout en confrmant l'ancrage dans les principes et idéaux de la gauche.
« Le changement a commencé et est à présent irréversible »
Teresa Rodríguez
Le changement rassemble alors les espoirs et colères de la société espagnole. Un élément fait du changement en Espagne un phénomène singulier : la place du citoyen dans le débat et l'action politique. En incluant le citoyen dans l'action politique ces mouvements parviennent à remettre au centre des enjeux politiques les revendications et besoins de la population.
Il s'agit à présent d'attendre les élections afn de voir l'ampleur du changement dans la société espagnole. Mais comme le conclut la candidate Podemos récemment élue au parlement andalou Teresa Rodríguez : une chose est sûre, le changement est en marche.
En regardant l'Espagne il est diffcile de ne pas penser à la France. Le succès de Podemos semble avoir son échos en France où une alternative à la politique traditionnelle et aux frustrations brunes marines se fait de plus en plus nécessaire. Le 11 Avril dernier des réunions ont été organisées dans tout le pays sous la bannière d'un nouveau projet politique, les Chantiers d'Espoir. Appliquons alors à ce nouveau projet une récente devise espagnole :
Rendez-vous dans la rue.