En novembre 2014, le jeune parti de Pablo Iglesias est officiellement créé. Statuts et élections internes terminés, le parti entre dans l'arène électorale gagnant des villes comme Madrid, Barcelone et Cadiz ainsi que de nombreux postes dans les différentes régions du pays. C'est à présent le gouvernement que Podemos vise avec les élections générales du 20 décembre prochain. Rendez-vous à Lavapiés, au contact des membres de Podemos (1/3). L'enjeu est de taille, pour tenter de le comprendre nous prenons rendez-vous avec ceux qui font le Podemos de tous les jours : des membres d'un « cercle » Podemos, une assemblée locale du parti...
Nous voilà à Lavapiés, quartier du Sud de Madrid. Ce choix n'a rien d'anodin, venir à Lavapiés n'est jamais anodin. On y foule une longue tradition de lutte sociale et politique. Pour certains, passer à Lavapiés c'est aussi faire un pèlerinage aux origines de Podemos. De la désormais fermée librairie la « Marabunta » où s'est ficelé le projet Podemos au théâtre “del barrio” où l'idée d'un parti-mouvement s'est présentée, une balade dans le quartier s’apparenterait presque à une fouille archéologique sur la naissance de ce nouveau mouvement politique.
Dans cette fouille on découvre des éléments apparemment secondaires qui ne sont pas pris en compte dans le traitement habituel qui est fait de Podemos. Spécialistes politiques ou journalistes, malgré les différentes conclusions qu'ils peuvent proposer, se retrouvent tous sur une même approche : Podemos serait l'oeuvre de quelques génies politiques - le leader Pablo Iglesias, son ami Juan Carlos Monedero et le numéro deux Iñigo Errejon – qui, tout en gardant un pied dans leur fac, seraient parvenus à réaliser dans la pratique leurs recherches académiques. Si l'on suit cette perspective on arrive à la conclusion qu'un parti fonctionnerait selon une direction omnipotente suivie d'une base inerte. La seule étude de la direction suffirait à comprendre le tout. Lorsqu'on fouille un peu à Lavapiés on découvre une autre façade du parti. Une façade moins médiatique, celle de ces personnes qui font le Podemos du quotidien, le Podemos des rues et places espagnoles.
Je pense que la grande force de Podemos est d'avoir su donner de l'espoir et l'idée que changer est possible
C'est un samedi comme les autres, malgré la fatigue des lendemains madrilènes nous sommes plus d'une quinzaine à assister à la « classe d'Histoire Sociale » convoquée à l'initiative de membres du cercle de Lavapiés. Aujourd'hui on commentera un texte de Xavier Domenech, L'Hégémonie. Durant le débat certains citeront du Marx tandis que d'autres commenteront avec leurs propres mots. Une fois la séance d'Histoire Sociale terminée on se retrouve tous pour prendre une bière. Nous discutons tout d'abord avec Isabel. Âgée d'une cinquantaine d'années, cette fille de militants du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) a déserté le parti peu avant la présidence de Zapatero en 2004. Son entrée à Podemos a été très rapide :« J'y suis depuis janvier 2014- nous raconte-t-elle- pour moi c'était quelque chose de nouveau, de frais. Ils parlent le même langage que nous, les gens normaux. C'est ce qui a permis que l'on s'identifie très rapidement à ce mouvement et qu'on ait envie d'y participer. J'ai milité plusieurs années au PSOE, je me suis fatiguée de leurs méthodes, de leur discours, de leur politique. Je pense que la grande force de Podemos est d'avoir su donner de l'espoir et l'idée que changer est possible. »
L'engouement est certain mais n'est pas naïf. Lorsqu'on lui parle de l'influence médiatique des leaders comme Pablo Iglesias elle rétorque : « Avoir des dirigeants aussi médiatiques aide beaucoup, mais ça ne fait pas tout. Il ne s'agit pas de suivre le chef les yeux fermés. La classe d'histoire sociale que nous faisons sert justement à ça. Oui, nous avons des dirigeants préparés, mais cela ne nous exempte pas de la nécessité de nous préparer nous-mêmes. Cette idée ne vient pas d'en haut, mais du 15M ». Le « 15M » est le mouvement des « indignés » qui a débuté le 15 Mai 2011 en Espagne, il est considéré par certains comme l'origine de Podemos. Au centre de ce mouvement d'indignation urbaine se trouvait la revendication d'un modèle de démocratie horizontale et participative (toutes les décisions étaient prises en commun lors d'assemblées).
Toujours prête à aider lors d'actions dans la rues, Isabel émet pourtant des doutes quant à la stratégie adoptée en haut, dans ce qu'on appelle ici « la cúpula » (la sphère de direction du parti) : « L'accent est porté sur les gens les plus pauvres, mais il existe une grande partie de la population qui a beaucoup moins de problèmes. Qu'est-ce qu'on fait avec eux ? Aujourd'hui on cherche à répondre à des besoins basiques (logement, emploi,etc.) et c'est très bien. Mais on est en train d'oublier ça, il faut aller plus loin dans la société ». Il se fait tard, Isabel préfère rentrer.

On voyait dans ce parti la traduction politique du mouvement social du 15M, on voyait la possibilité d'entrer dans les institutions et les changer de l'intérieur.
Nous croisons Arantxa une jeune chercheuse en biologie qui a débuté à militer avec le 15M. Depuis l'Assemblée de Vistalegre (en Novembre 2014), où les statuts du parti ont été approuvés, Arantxa n'a cessé de s'éloigner de la ligne « officielle » de Podemos. À l'initiative du projet de classe d'Histoire Sociale, elle reste malgré tout très active au sein du cercle de Lavapiés. Arantxa a fait une sorte de pari avec l'histoire : si la direction s'éloigne du projet initial du 15M alors c'est sur les bases du parti qu'il faut espérer un changement.
« J'ai commencé mon implication politique avec le 15M dans la ville de Léon. Là-bas on a développé de nombreux projets comme la récupération d'espacesinutilisés pour en faire des Centres Sociaux Autogérés oul'autoformation par des Classes d'Histoire Sociale». Point de départ social, le 15M joue un rôle politique ambiguë dans la construction du mouvement Podemos. Tandis que la cúpula y fait de moins en moins référence, certains, dont Arantxa, gardent ce mouvement comme fil directeur : « Au début c'est ce qui a animé tant de gens à entrer dans Podemos.Ils voyaient dans ce parti la traduction politique du mouvement social du 15M, on voyait la possibilité d'entrer dans les institutions et les changer de l'intérieur. Ensuite c'est parti à la dérive. Depuis les élections européennes la cúpula a vu qu'il était possible de gagner les élections, à partir de là la stratégie s'est orientée vers une logique davantage électoraliste à travers un discours beaucoup plus « light », plus consensuel. Mais avec ça on perdait beaucoup de gens qui étaient venus au début. »
A peine créé le parti a dû se doter d'une armature bureaucratique afin de pouvoir se présenter aux élections. Pendant de longs mois l'ensemble du parti était concentré sur la définition des statuts du parti. Le manque de temps justifiait jusque-là les écarts face au projet horizontal du 15M. Le retour sur cet idéal semble central pour Arantxa. « Nous devons retrouver cet espoir et cet enthousiasme du début. Cela signifie laisser faire les cercles, ne pas chercher à tout contrôler. Tout d'abord parce qu'on ne veut pas être un parti comme tous les autres et ensuite parce que ce genre de stratégie est contre-productive. Nous voulons générer des débordements politiques, pas tout contrôler. » Fidèle héritière du 15M, Arantxa est adepte d'une sorte de « do it yourself » politique. Il ne s'agit pas seulement de revendiquer auprès de la direction un changement mais bien plutôt de le construire directement. C'est là le rôle de la classe d'Histoire Sociale qu'elle a initiée, l'objectif étant de s'insérer dans la sphère sociale par une pédagogie transversale: « La pédagogie doit se faire aussi bien depuis la direction pour les bases qu'à l'extérieur de Podemos. Avec l'audience qu'a la cúpula ils pourraient être davantage pédagogiques dans leurs discours. Davantage pédagogique ça signifie aller plus loin, ne pas nous parler comme à des imbéciles avec des « concepts vides », il faut radicaliser le discours, le doter de plus de contenus. Ce travail à déjà commencé avec le 15M, on a mis sur la table tout une série de mesures à contre-courant, beaucoup plus radicales que ce que dit Podemos aujourd'hui. Notre travail à présent doit s'orienter sur une pédagogie à tous les niveaux.»
Ce n'est pas que j'ai choisi Podemos face à d'autres mouvements pour quelque chose de spécial, c'est plutôt lui qui est venu à moi.
A côté d'Arantxa on retrouve Maria qui suit la discussion depuis le début. D'accord sur l'analyse d'Arantxa, cette jeune psychologue offre une expérience différente face à l'organisation. « Je m'en suis toujours fichée de la politique. Nous raconte-t-elle. J'ai grandi dans les années 1990. En tant que bonne “grunge” qui vivait dans un quartier ouvrier, mon attitude a toujours été celle du désenchantement, penser qu'il n'y avait pas d'espace pour la lutte. Lorsqu'a surgit le 15M la logique s'est inversée. Malheureusement, je n'ai pas pu y participer réellement, car j'étais dans un moment de ma vie assez compliqué. Lorsqu'ils ont quitté Sol (place emblématique du mouvement des indignés, ndlr) ceux qui n'ont pas pu y participer, nous sommes restés avec l'envie d'un changement politique. Lorsque j'ai entendu parler Pablo Iglesias dans une émission j'ai halluciné. C'était la première fois que je voyais quelqu'un à la télé répondre aux saloperies qu'ils disent tous là-bas. J'ai vu qu'ils faisaient une présentation à Rivas, j'y suis allée puis je me suis inscrite. A la suite d'un rendez-vous pris par mail nous avons constitué le cercle de Lavapiés. »
Présente à toutes les assemblées et actions du cercle et candidate dans des élections internes du parti Maria est passée du rejet de la politique à l'activisme dans Podemos. « On s'était bouffé le discours du “on ne peut pas”, et du coup on ne voyait pas l'utilité de s'organiser. Lorsque tu n'as personne autour de toi d'organisé, c'est comme si ce monde n'existait pas. J'ai choisi Podemos parce que d'un coup il existait une possibilité de s'organiser sans avoir à être anarchiste, communiste ou quelque chose comme ça. C'était comme une plateforme qui ouvrait la possibilité de participer sans avoir à donner beaucoup d'explications ou justifications du pourquoi avant tu n'étais pas là ni non plus d'être un spécialiste en politique et en histoire. On n'avait pas peur de venir aux présentations. Je n'avais jamais vu aucun autre mouvement faire ça (si ça se trouve ils le faisaient, mais on ne le savait pas !). Pour autant ce n'est pas que j'ai choisi Podemos face à d'autres mouvements pour quelque chose de spécial, c'est plutôt lui qui est venu à moi. »
Comme beaucoup dans les cercles de Podemos, Maria est très positive lorsqu'elle parle des débuts du parti et des avancées qu'il a généré. C'est quant au développement qu'il a pris que les doutes se font de plus en plus prenants. « Il y a eu beaucoup de moments très émouvants dans toute cette expérience politique mais aussi beaucoup de déception et de frustration face la dérive qu'a pris Podemos. Je pense qu'avec l'espoir qu'ils génèrent s'ils cassent tout, le risque de générer trente ans de démobilisation est énorme. De mon côté, je suis entrée dans Izquierda Anticapitalista (Gauche Anticapitaliste, associée au Nouveau Parti Anticapitaliste en France, ndlr) et je participe aussi à Ahora Madrid, du coup ma participation dans le cercle est de plus en plus faible. Je crois de moins en moins que les cercles aient une réelle fonction dans le parti, malgré l'enthousiasme du début on s'est transformé en organes d'affichage électoral. ».
Il est déjà un peu plus tard, seuls quelques irréductibles restent encore à discuter. La discussion au rythme de la soirée est devenue de moins en moins politique. On parle à présent d'organiser un week-end de randonné à la montagne. Dans les cercles de Podemos la polémique politique n'est qu'un volet d'une communauté sociale qui se construit. C'est là peut-être toute la difficulté de ce mouvement, rien n'est encore définitif, tout est encore possible. S'il est une machine politique formidable, Podemos n'en reste pas moins un mouvement politique capable de fédérer la gauche traditionnelle avec le mouvement social du 15M, les activistes de toujours et les néophytes de la politique. Derrière la façade médiatique des dirigeants se débat un mouvement de cercles qui défendent d'autres « Podemos ». La campagne électorale du mouvement loin de gommer les différentes opinions devra composer avec une base hétérogène. Dans un prochain article nous reviendrons sur ces différents courants qui forment la nébuleuse « Podemos ».