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Billet de blog 18 novembre 2024

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Trêve hivernale

Le récit d'une évaluation de minorité par le service départemental SAMNA de la Drôme.

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Aujourd'hui, je vais vous raconter une histoire qui s'est passée en février 2024 à Valence.

Disons que le jeune concerné s'appelle Daouda. Daouda arriva à Valence, préfecture de la Drôme, en février 2024 après un long et dangereux voyage. Daouda a 15 ans et pendant une semaine il dort à la rue ne sachant pas où trouver de l'aide. Il ne possède pas de téléphone. Très méfiant et ne comptant que sur lui-même (aptitude apprise dans sa vie antérieure?), les nuits à la rue s'enchainent. Une dame lui offre un pantalon plus chaud. La police municipale, qui, un jour, lui demande ses papiers et voyant qu'il ne possède aucun document, le laisse en plan sur le trottoir, sans lui donner le moindre conseil. Puis une femme lui indique un jour le chemin du SAMNA, le service départemental des mineurs non accompagnés qui, entre autre, met les enfants à l'abri afin d'évaluer leur minorité . En effet, Daouda va être mis à l'abri dans un appartement avec deux autres jeunes turcs, ce qui va lui permettre de se reposer, de se laver, manger et réduire son stress. Un travailleur social viendra le chercher pour des entretiens.

Tout se passe bien et deux jours plus tard, on vient le chercher pour ces fameux entretiens qui selon le ministère des solidarités doivent révéler :" un faisceau d'indices qui permettent d'évaluer si la personne est mineure ou majeure". Daouda est mené dans une pièce où il s'assied face à "une juge" comme il dit, qui apparement ne s'est pas présentée. Daouda n'a pas besoin de traducteur. Il répond alors très consciencieusement aux multiples questions sur son état civil, sur sa vie en Afrique, le pourquoi de son départ, par où est-il passé, comment et quand... Beaucoup de détails spacio-temporels que souvent les jeunes ne connaissent pas. A la question sur l'âge de sa mère, il ne sait pas répondre. Il ne sait pas répondre à deux autres questions, mais là, il faut une réponse "obligatoire", donc Daouda invente une réponse, il dit n'importe quoi.

Enfin, l'éducateur le raccompagne à l'appartement. Le jour des résultats arrive. Il est assis devant un bureau du SAMNA quand ses deux co-locataires sortent du bureau un sourire au lèvres : ils seront pris par l'aide sociale à l'enfance. C'est le tour de Daouda, il s'assied devant une autre femme, toujours pas de présentation. Elle lui demande de la regarder : "Vous comprenez...c'est compliqué...je n'ai pas le choix... vous avez beaucoup parlé avec ma collègue, vous étiez capable de répondre, donc, je vous lis le résultat de l'évaluationn:" Il s'avère que votre comportement, votre discours et votre apparence physique mettent en évidence une maturité incompatible avec la date de naissance que vous déclarez et indiquée sur les documents fournis, nous conduisant à exclure qu'ils se rapportent effectivement à vous" (même s'il n'y a pas de document fournis). La femme lui donne une liste d'adresses d'associations (restos du coeur, SOROSA, la croix rouge, le 115...), se lève et le renvoie sur le trottoir, en février. Daouda est sidéré!

Daouda va rencontrer un inconnu qui va le persuader de venir chez lui. il sera à l'abri pour 3 jours, avant de se rendre chez SOROSA (Sororité, Solidarité, Accueil) qui va le prendre en charge. C'est maintenant l'engrenage de procédures : récit de vie, attente, avocate, attente, audience, attente, délibéré et de nouveau appel s'il le faut. Une attente qui dure entre six mois et deux ans! Même si Daouda sera reconnu mineur ( je suis sûre qu'il a 16 ans maintenant, depuis octobre), comment un service départemental peut-il mettre à la rue un jeune en plein hiver? L'évaluation qui doit être faite par une équipe pluridisciplinaire d'après les textes officiels n'a t-elle pas été bâclée et décidée à l'avance? Et si les associations n'étaient pas là pour faire le travail de l'état? Encore plus de jeunes à la rue??

Deux associations s'occupent maintenant de Daouda. Nous lui donnons des cours, tous les jours. Il est très assidu, très sérieux. Pour le département, il n'existe pas, mais nous allons l'accompagner jusqu'à ce qu'il obtienne une formation!

Texte écrit par Amorier et Daouda

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