SUR LES QUAIS, NOUS NE DANSERONS PAS
Non.
Pas aujourd’hui.
Pas quand les bateaux vomissent des corps bien nourris
tandis qu’à l’autre bout de la mer
les gorges d’enfants se ferment sous la poussière.
Ils viennent,
avec leurs sandales blanches,
leurs peaux grasses d’écrans et de silence,
ils viennent lécher nos plages
avec les yeux secs de ceux qui n’ont rien vu —
rien entendu —
rien dit —
rien su.
Mais nous savons, nous.
Chaque pierre du Pirée, chaque marche de Delphes,
chaque olive séchée au soleil noir d’Athènes
porte en elle la mémoire du cri,
le poids des bottes,
les rafles,
les camps,
les colonels,
les gorges brûlées à force de ne pas parler.
Alors non.
Nous ne danserons pas.
Nous ne briserons pas les assiettes
pour honorer les spectres
des crimes en croisière.
Car les corps brûlent encore
à l’autre bout de la Méditerranée,
et leurs cendres ne sont pas des sables de luxe.
Ils sont là, dans nos narines,
dans nos ventres,
dans nos rêves lacérés
par les drones, les tanks, les voix couvertes
qui appellent cela défense.
Je crache
sur cette défense qui dévore des enfants.
Je crache
sur les salons flottants de ceux
qui naviguent au-dessus du sang
en commandant un deuxième cocktail.
Non !
Les îles se soulèvent.
Elles hurlent, les vieilles femmes de Mykonos,
elles hurlent en silence, les morts de Kalavryta,
elles refusent qu’on s’amuse
sur le dos d’un génocide.
Et si vous venez,
vous ne trouverez pas nos sourires,
mais nos pierres,
nos cris,
notre refus
de servir le vin à ceux qui ferment les yeux
quand l’histoire saigne sous leurs semelles.