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Billet de blog 8 mai 2023

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Le droit à l'avortement en France : un combat qui vient juste de commencer

La constitutionnalisation du droit à l'IVG est menacé, à la fois par la modification du texte par le Sénat majoritairement conservateur, et par les politiques natalistes promues par l'extrême droite. Alors qu'une pénurie des pilules abortives est déjà alarmante, le combat pour le droit à disposer de son corps vient tout juste de commencer.

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Le droit à l’avortement en France revient dans le débat public, à la fois sous l’influence des politiques natalistes promues par l’extrême droite qui tendent à le supprimer, et par les féministes qui veulent inscrire ce droit dans la Constitution, à condition qu’il soit accompagné de moyens financiers et humains qui permettraient un égal accès à l’IVG.

L’accès à l’IVG, reconnu par la loi Veil de 1975, a offert une sécurité et une protection pour recourir à ce soin. Cependant, la suppression de l’arrêt Roe vs Wade aux Etats-Unis a relancé le débat d’une constitutionnalisation de l’IVG en France, alors entériné sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, malgré la proposition de loi constitutionnelle initiée par la France insoumise. 

Cette constitutionnalisation offrirait une garantie nécessaire, puisque si l’IVG reste régie par une loi, le législateur pourra la supprimer assez facilement. 

Dès lors, la proposition de loi constitutionnelle, approuvée par l’Assemblée nationale était : « la loi garantir l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». 

Ce texte est une réelle avancée, notamment parce qu’elle oblige indirectement l’Etat à entreprendre des politiques publiques qui facilite le recours à l’IVG.

Cependant, le Sénat majoritairement conservateur et réticent au droit à disposer de son corps, a modifié le texte, qui perd désormais tout son sens : « la loi détermine les conditions dans laquelle s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

La modification du texte par le Sénat porte atteinte à l’accès à l’IVG : (i) parce qu’elle remplace le « droit » par « liberté ». Le droit censé être garanti par l’Etat, est plus précis et requiert a minima des dispositifs qui permettent d’exercer ce droit. A l’inverse, la liberté peut connaître des restrictions, notamment pour motif d’ordre public par exemple. Lors de la crise sanitaire, la liberté d’aller et venir a été restreinte au motif de la protection de santé publique. On peut aisément imaginer que les parlementaires et gouvernements contre l’IVG pourrait utiliser cette subtilité qui distingue droit et liberté.

La modification du texte par le Sénat a aussi une dimension transphobe. (ii) le fait de préciser que c’est pour les femmes exclut les hommes trans qui peuvent disposer d’un utérus. Ils ne seront dès lors pas protégés par cette mesure, dont l’intention a été explicitement affirmée par Aurore Bergé. De plus, à partir de quel âge sommes-nous considérées femme ? Cette précision risque de ne pas non plus protéger les personnes mineures.

La modification du texte par le Sénat risque aussi d’accentuer les positions des conservateurs et fascistes (iii) en disant que les conditions d’accès à l’IVG seront précisées par la loi, cela signifie que c’est le législateur qui décide. La gauche n’étant pas majoritaire au Parlement, on peut imaginer un scénario qui aboutirait à des conditions encore plus restrictives et limitées pour freiner l’accès à l’IVG.

La modification du texte par le Sénat entretient le sentiment de honte. (iv) en remplaçant le terme « IVG » par « mettre fin à sa grossesse », le Sénat remplace le terme médical « IVG » qui se réfère à un soin, en utilisant une expression qui renverrait à une pratique floue, entretenant la culpabilité. 

Pourtant, c’est celle modification de texte qui semble être prise en compte par Emmanuel Macron, qui a souligné ce terme de liberté lors de la cérémonie d’hommage à Gisèle Halima.

Quelles sont les conséquences de l’absence d’un réel droit à l’avortement ? 

Tout d’abord, les manques de moyens - humains et financiers - entretiennent les inégalités qui entourent l’accès à l’IVG. 

L’information, l’accompagnement et la prise en charge diffèrent selon des critères inégaux - applicables à toutes les politiques publiques - c’est-à-dire selon les zones géographiques, les revenus, l’origine sociale, la mobilité, l’âge, la religion, la couleur de peau, la classe sociale, le gabarit etc.

Ces inégalités sont entretenues par le manque de financement qui pèse sur les associations qui alertent régulièrement sur les conditions d’accès à l’IVG. De plus, dans un contexte où les hôpitaux publics sont en train de s’écrouler faute de moyens, et dans des déserts médicaux toujours plus flagrants, l’IVG devient le soin oublié, lorsque les professionnels doivent hiérarchiser leurs priorités. Enfin, la formation des professionnels de santé n’est sûrement pas adéquate aux enjeux sociaux et économiques qui entourent l’IVG. 

Malgré l’allongement du délai passant de 12 à 14 semaines par la loi du 2 mars 2022, l’absence de moyens ne permet pas dans certaines zones, notamment dans le Nord, de recourir à l’IVG dans ce cadre de délai supplémentaire. 

L’absence d’un réel droit à l’avortement se traduit aussi par la double clause de conscience dont bénéficient les professionnels de santé, qui entretient la honte des personnes qui y ont recours.

En effet, une première clause de conscience, applicable aux professionnels de santé, permet de refuser de pratiquer un soin en raison de leurs convictions personnelles, sauf en cas d’urgence vitale. Cependant, une deuxième clause de conscience, spécifique à l’IVG cette-fois, dispose qu’ « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratique une IVG et aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical n’est tenu d’y concourir ». Les parlementaires ont refusé de supprimer cette disposition par la loi du 2 mars 2022, qui peut entretenir une culpabilité si une personne se voit refuser l'accès à l'IVG pour ce motif. 

De plus aujourd’hui, il y a un vrai problème de santé publique : la pénurie des pilules abortives.

Malgré les appels réguliers des associations, en l’absence de considération par le gouvernement, il n’y a plus de pilules abortives à Lille ou dans d’autres villes d’Ile-de-France. Les raisons qui lient capitalisme et indifférence du droit à disposer de son corps, aboutissent à des entraves supplémentaires qui alimentent les craintes et le stress injustifiés des personnes ayant recours à l’IVG. L’IVG n’est pas une fatalité, ce n’est pas un leur ; cependant, ça le devient si des entraves permanentes interviennent dans le parcours de soin.

La pénurie des pilules abortives est alarmante, considérant que 76% des IVG sont par voie médicamenteuse. Si Olivier Véran parle de « tensions », il s’agit en réalité d’une pénurie, dans les zones les plus peuplées et aux disparités fortes, notamment le Nord, Ile-de-France et Occitannie. Puisque c’est un enjeu de santé publique, le Planning Familial, le collectif Avortement en Europe, les femmes décident, et l’Observatoire de la transparence des médicaments appellent à l’instauration d’un état d’urgence sanitaire sur ce sujet. Signez la pétition, c’est urgent. Pétition "Pénurie de pilules abortives : l'Etat doit agir".

Pour aller plus loin, un collectif appelle aussi à la création d’un congé « sans perte de salaire, ni honte » pour un recours à l’IVG. Appel à la création d'un congé "IVG".

Toujours est-il que la honte et la culpabilité sont inadmissibles pour un droit à disposer de son corps. A l’aune du fascisme et de la promotion des politiques natalistes, le droit à l’IVG en France est menacé. 

Il est donc urgent d’introduire le droit à l’IVG dans la Constitution, à condition qu’il s’accompagne de politiques publiques fortes.

Le remboursement de frais de transports, l’augmentation des subventions, le renforcement de la formation des professionnels de santé, la suppression de la double clause de conscience, un accompagnement inclusif seraient la moindre des choses. Aujourd’hui, il y a toujours 2000 personnes qui vont avorter à l’étranger. Un relai institutionnel est urgent, tout ne doit pas venir de la société civile, surtout pour un droit fondamental. 

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