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Billet de blog 11 décembre 2018

Anabelle Prune

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Ana, Pierre et les loups. . Merci, à ceux qui nous ont soutenu.

Le Tribunal administratif n’a pas jugé qu’Ana devait immédiatement être réintégrée dans sa mission de recherche et d’enseignement. Elle avait obtenu ce contrat doctoral qui lui assurait les conditions matérielles et affectives pour commencer une recherche précieuse ; elle l’a perdu.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Peut être qu’un tribunal administratif reste moins sensible aux conditions matérielles et immatérielles qui permettent de faire des recherches en SHS aujourd’hui. Peut-être, l’époque aidant, le lien entre les sciences humaines et sociales et la vitalité de la démocratie; le lien entre l’esprit critique et la démocratie ont il été noyés dans le spectacle et la langue de bois, au point que ces fonctions n'apparaissent plus du tout comme des liens vitaux  ? Ou serait- ce qu'est devenue totalement invisible l’incompatibilité entre la marchandisation de l’esprit et son exercice critique ?

Cette décision concernant Ana a des conséquences graves pour elle, mais aussi pour nous. Elle entérine une incompréhension de ce qui fait la valeur même d'une recherche et de la raison de son financement par les impôts au titre de services publics gratuit. Faire de la recherche exige du temps, le concours sélectif est une manière d’accorder -au mérite- ce temps à quelques-uns. Principe républicain, contestable sans doute. Inégalitaire par effet pervers. À la différence d’aujourd’hui, où l’inégalité par l’argent se déclare comme principe d’une politique universitaire se réclamant de « l’accueil » des étudiants étrangers.

Le temps de la recherche n’est fructueux que soustrait à la logique du temps du marché, du temps de l’argent. Les résultats, "les produits" c'est autre choses, et matériels ou immatériels, nous savons tous comment les transformer en marchandises. Cette différence disparaît.

Chercher comme enseigner, c’est convoquer un temps spécial. Le temps d’étudier et apprendre, temps mystérieux, fluide, continu, en tous les cas libre du temps forcé que l'on maîtrise. Ana n’aura plus les moyens de ce temps libre. La décision du T.A la replonge dans une insécurité matérielle. Elle n'apprendra pas la langue Quetchua, ne séjournera pas auprès de ces femmes pour recueillir leurs témoignages. On peut penser que bien d’excellents thésards se débrouillent et ne sont pas financés ; c’est malheureusement la réalité. On peut aussi espérer que leur nombre n’ait pas à s’augmenter de cette façon.

Il y avait pour nous urgence à ce qu’Ana soit maintenue dans son contrat doctoral ; le tribunal n’en a pas jugé de même. Nous vous remercions d’avoir compris cela, et d’avoir soutenu notre action. Désormais, seul le jugement de fonds pourra rectifier cette situation. Cela prendra du temps et de l’énergie qui détourneront Ana de l’exercice à temps plein de l’activité qui la rend heureuse. Pour Pierre, lesté également d’un B2, l’université a semble-t-il été plus compréhensive. Nous nous en réjouissons.

Mais au-delà de ces deux chercheurs, il demeure des inquiétudes sur les rouages de la gouvernementalité des universités françaises ; sur les décisions des tutelles qui envisagent l’augmentation des frais d’inscriptions pour les “chercheurs étrangers non communautaires”. À l’image des procédés de l’université qui ont visé Ana, c’est la vocation de l’Université qui se trouve malmenée par la discrimination sur critères géographiques, « communautaires/non communautaires ». Management brutal du personnel, et sélection des candidats non par le mérite mais par l'argent et la nationalité, en dépit des quelques bourses supplémentaires; ces mesurs valident un peu plus l’évolution néolibérale de notre institution publique. Elle entérine la transformation des acteurs de la recherche et de l’enseignement en prestataires de services marchands.Elle trahit les missions de l'Université. Il est grand temps pour nous maintenant de refuser d’en être les fossoyeurs.

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