Anass ASSANOUSSI

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 octobre 2017

Anass ASSANOUSSI

Abonné·e de Mediapart

À propos de la Fitna...

La fitna, ou le risque de guerre civile est un argument souvent par les tenants de l'ordre établi pour que rien ne change, notamment au Maroc, face au mouvement de contestation sociale dans le Rif.

Anass ASSANOUSSI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Fitna est un terme en arabe, désignant un état dans laquelle une société est en proie à l'agitation, à des troubles graves, risquant de déboucher sur la guerre civile.

Depuis la naissance du mouvement de contestation sociale dans le Rif, il y a tout juste un an, après l'assassinat de Mohcine Fikri dans la ville d'Al hoceïma, on entend ça et là, on lit par-ci par-là que les manifestants, ou ceux qui soutiennent ne serait-ce que par l'opinion, la pensée, ces femmes, ces hommes, ces adolescents, ces enfants, ces personnes âgées dans leur quête de justice, ne chercheraient qu'à provoquer la fitna. Ceci en agitant le spectre de la situation de chaos, de guerre civile en Syrie, en Libye ou en Tunisie consécutive à ce que l'on a appelé les Printemps arabes, même si il faut rappeler sans cesse que l'Afrique du Nord ayant été arabisée, est de souche amazighe.

Cette alternative, moi ou le chaos brandi par tous les régimes arabes corrompus, discrédités depuis des décennies, trouve hélas un certain écho dans une large partie de ce que l'on appelle la rue arabe, et aussi au Maroc, puisque c'est la situation dans le Rif qui nous préoccupe.

Nous disons à celles et ceux qui ne voient que la main fantasmagorique de l'étranger, là où il n'y a que la conscience citoyenne qui se manifeste, à celles et ceux qui se font les portes-voix de la propagande du Makhzen, que nous vivons d'ores et déjà depuis des lustres dans un état de fitna. Les troubles que connaît le Rif ne sont que la conséquence du mépris de l'état envers cette région du nord historiquement rebelle et frondeuse, qui sait se battre chèrement pour sa liberté.

La fitna c'est lorsque même la devise d'un pays est visible sur ses montagnes, même la nuit, comme si le pays était marqué au fer comme du bétail, appartenant uniquement à ces dirigeants.

La fitna c'est quand on est obligé de recourir au pot-de-vin, au bakchich, rachwa pour n'importe quel acte administratif, dans la vie de tous les jours.

La fitna c'est quand ni la presse, ni la justice ne sont indépendantes.

La fitna, c'est lorsque l'on fait comprendre aux élèves des écoles publiques, quand elles existent, qu'ils ont intérêt à suivre les cours privés, payants, dispensés par des enseignants pour arrondir leurs piteuses fins de mois, si ces mêmes élèves veulent voir leurs notes afficher des visages satisfaisants, passer en classe supérieure, même si plus tard ils risquent d'alimenter les cohortes de chômeurs diplômés.

La fitna c'est quand on utilise la religion à des fins de propagande, condusiant à un terrorisme intellectuel.

La fitna c'est quand on empêche les Rifains, de langue amazighe, autochtones de cette terre, de pouvoir parler, écrire, dans leur propre langue, s'illustrer dans l'art, et s'exprimer librement.

La fitna c'est lorsque les Rifains continuent d'être traités comme des citoyens de seconde zone.

La fitna c'est quand des pans entiers du pays n'ont accès ni à l'eau potable, ni à l'électricité, ni à l'éducation, ni aux soins les plus élémentaires, dans le Rif ou dans l'Atlas par exemple.

La fitna c'est lorsque l'on jette l'opprobre sur des citoyens pacifiques, juste pour pouvoir continuer de se dire que le Maroc est une superbe destination touristique, que c'est un havre de paix, un oasis de sérénité, alors que ce n'est qu'un feu de paille, de la poudre aux yeux, car ce semblant de décor paradisiaque est obtenu au prix d'inégalités criantes entre la majorité des Marocains et une toute petite caste au sommet.

La fitna c'est lorsque le Maroc rivalise avec la Thaïlande, non pas dans le domaine des arts martiaux, mais sur le plan touristique, et ce pour d’écœurantes raisons.

La fitna c'est lorsque l'on fait du chantage au patriotisme, au chauvinisme stupide, notamment sur les réseaux sociaux...toujours ce légendaire courage que prodigue le clavier.

La fitna c'est de voir toute une jeunesse ne rêver que d'une seule chose: l'exil.

Si ce chantage à la guerre civile permet de maintenir les sociétés des pays musulmans, de la société marocaine, les Rifains dans cet état de désarroi, dans le désespoir, alors il est de notre devoir de nous lever de toute notre taille, de crier de toutes nos forces que nous saurons nous résoudre à accepter de tels agissements, à nous résigner à vivre dans l'injustice, l'oppression, l'humiliation. Les manifestants n'ont eu de cesse de manifester PACIFIQUEMENT pour leurs droits, quand ils ne se voient répondre qu'un langage de violence et de répression.

Pardonnez-les de ne pas avoir la décence de se taire après cette immonde tragédie, cet horrible préjudice.

Alors nous disons à toutes celles et ceux qui jouent volontiers les fiers-à-bras abrités par leurs écrans et leurs claviers, que rien ne saurait détourner les Rifains, et aussi les autre Marocains épris de justice dans leur quête de justice, leur lutte pour la justice sociale. Ces patriotes de pacotille pourront toujours se rabbatre par une hypothétique qualification de l'équipe du Maroc de football à la prochaine coupe du monde en Russie en 2018, validant l'adage que Juvénal sous l'empire Romain avait déjà mis en lumière en son temps: panem et circenses, à savoitr du pain et de jeux.

En tout cas les Rifains pacifiques montrent jour après jour depuis plus d'un an, qu'ils ont des ambitions hautement plus hautes pour les leurs...pour leur terre meurtrie mais belle.

Anass ASSANOUSSI

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.