La France est en train de glisser. Non pas vers un avenir incertain, mais vers un cauchemar maquillé en solution : un monde d’algorithmes gouvernants, de discours sécuritaires hurlés sur fond de musique électorale martiale, de médias achetés, d’universités muselées, de syndicats insultés, de minorités sacrifiées, de femmes reléguées et de jeunes rendus invisibles. Ce n’est pas un accident. C’est le projet politique de la réaction, et il avance.
À droite, plus rien ne tient debout, sauf l’envie d’ordre et de revanche. La droite française – qu’elle soit "républicaine", "modérée", "libérale" ou désormais "identitaire" – n’a plus rien à proposer. Elle recycle les slogans de Thatcher, les angoisses de Maurras, les schémas de Google. Elle rêve d’une France réduite à une entreprise, où les citoyens sont des clients, les pauvres des variables d’ajustement, les étrangers des menaces statistiques, et les femmes des ventres à surveiller. Elle admire Trump, Orban, Meloni, et bientôt Milei – autant de figures du capitalisme autoritaire, de la démocratie vidée de sa substance, de l’État utilisé contre le peuple.
Mais ce qu’elle appelle "efficacité", il faut le nommer pour ce qu’il est. Ce n’est pas l’efficacité du soin, de la justice ou de la réparation. C’est celle de la destruction du droit du travail, de la gestion algorithmique des chômeurs, du contrôle social automatisé des banlieues, de l’extraction des données personnelles comme nouvelle rente d’État. Quand elle parle "réformes", elle veut dire privatisations. Quand elle parle "modernisation", elle veut dire licenciements. Quand elle parle "ordre", elle veut dire surveillance. Et quand elle parle "laïcité", elle veut dire racisme sous cache-sexe républicain.
Ceux qui dénoncent la médiocratie touchent parfois juste, mais ils se trompent de cible. Ce ne sont pas les normes collectives qui tuent la singularité, c’est la logique marchande. C’est le capitalisme qui uniformise, qui neutralise, qui rend toute différence suspecte sauf celle qui se vend. C’est lui qui impose la conformité : pas morale, mais comportementale, productive, rentable. Et derrière la "médiocratie", il y a une élite hyper-richissime, hyper-connectée, ultra-invisible, qui paye moins d’impôts que ses femmes de ménage, mais qui dicte les politiques publiques.
Ce système ne tient pas debout sans hiérarchies. Ce n’est pas un hasard si l’extrême droite s’acharne sur les femmes, les immigrés, les personnes racisées, les trans, les musulmans. Ce n’est pas une crispation culturelle. C’est un besoin structurel de l’économie politique du capitalisme en crise. Les femmes sont utiles tant qu’elles soignent gratuitement, élèvent gratuitement, compatissent gratuitement. Les immigrés sont utiles tant qu’ils nettoient, livrent, produisent, meurent en silence. Les racisé·es sont utiles tant qu’ils restent dociles, divisés, désespérés. La réaction a besoin de cibles. Le capitalisme a besoin de classes sacrifiables. Le racisme et le sexisme sont des fonctions. Pas des accidents.
Et pendant ce temps, le climat s’effondre. L’écologie de droite n’existe pas. Elle est une contradiction dans les termes. On ne sauve pas la planète avec des CRS, des drones, et des centrales à charbon. On ne sauve pas les espèces avec des appels à la natalité blanche et des pesticides subventionnés. On ne sauve pas les forêts avec Amazon Web Services et des zones d’artificialisation massive. Le capitalisme vert est une blague cynique. Il ne sauvera que ceux qui peuvent s’acheter un bunker. La seule écologie possible est anticapitaliste, féministe, décoloniale. Elle repose sur la rupture avec la logique d’exploitation, de croissance infinie, de pillage des Suds, de dépossession du vivant.
Face à tout cela, il est temps de dire clairement ce que nous voulons. Une démocratie réelle, fondée sur la conflictualité, la redistribution, l’autogouvernement. Une économie de la solidarité, du soin, de la réparation, et non de la croissance, de l’accumulation et du désastre. Un État au service des faibles, pas des actionnaires. Un numérique open, régulé, commun, souverain, pas un système de contrôle social marchand. Une France plurielle, métissée, féministe, radicalement antiraciste. Un horizon écosocialiste, ancré dans les luttes du réel, pas dans les fantasmes d’efficience.
Trump n’est pas un accident. C’est le visage du capitalisme quand il cesse de faire semblant d’être civilisé. L’extrême droite n’est pas une anomalie. C’est le projet naturel d’un système arrivé à bout de souffle, prêt à sacrifier tout ce qui ne rapporte pas. En France, nous avons une chance : celle de refuser la pente fatale. Mais il faut un réveil. Un sursaut. Une rupture. Ce texte n’est pas un appel au dialogue. C’est une déclaration de guerre idéologique, culturelle, écologique, sociale, féministe. Nous ne négocierons pas avec les fauteurs d’ordre. Nous ne nous adapterons pas à la logique mortifère. Nous ne gouvernerons pas avec les managers de la crise. Nous ne chercherons pas l’apaisement avec les fabricants d’exclusion.
Il est encore temps de tout repenser. Il est tard, mais il n’est pas trop tard. Nous sommes en colère. Et notre colère est politique.
Et maintenant, il faut le dire sans détour : il faudra voter. À chaque élection. Municipale, présidentielle, syndicale, associative. Même si ce n’est pas l’idéal. Même si ce n’est pas parfait. Même si c’est juste pour bloquer le pire. Car s’abstenir est aujourd’hui un privilège. Un luxe bourgeois que les plus précaires ne peuvent plus se permettre. Le fascisme ne demande pas votre pureté théorique. Il se contente de votre silence. Il est temps d’arrêter d’attendre l’hypothétique mouvement parfait. Il est temps de faire bloc, pas pour tout réformer, mais pour empêcher l’effondrement. Pour défendre ce qu’il reste, et préparer la suite.
Une République sociale, écologique, féministe, antiraciste. Ou rien.