En mai dernier, des collègues et moi-même invitions Jonas Pardo à venir parler de l'histoire de l'antisémitisme à trois classes de Terminale de notre lycée à Saint-Denis. Quelques mois avant, j'assistais à un conseil de discipline qui m'a marqué. Il était reproché à un élève d'avoir écrit des croix gammées sur une table. L'élève était accompagné d'un avocat. Les échanges furent houleux et d'une violence inouïe au point d'atteindre le point "mais j'ai un ami juif". Alors qu'être dans la salle me devenait insupportable, je me suis levé et j'ai demandé à sortir. Ce qui m'a été refusé : je risquais d'invalider le conseil de discipline. Pour la première fois de ma carrière, un élève m'a fait peur. Quelques semaines plus tard, j'ai remarqué qu'un élève de ma classe dessinait de petites croix gammées au milieu de ses exercices de mathématiques comme je pouvais faire des A anarchistes à son âge. Lorsque Jonas Pardo a demandé à la centaine d'élèves présent-e-s quels mots leur venaient en tête quand ils entendaient le mot Juif, il a répondu "l'argent".
Le plus loin que je me souvienne, les insultes racistes et xénophobes que j'entendais à l'école était "sale portos" et "fais pas ton feuj". Les enfants répètent ce qu'ils entendent à la maison. Il me parait plus que nécessaire d'intervenir sur la question de l'antisémitisme dans l'Education nationale auprès des élèves.
Et auprès de certain-e-s collègues syndicalistes qui se pensent être les chantres de l'antiracisme ? La question se pose.
Je m'investis dans un syndicat, SUD éducation 93, qui est traversé par des tensions. Les débats politiques n'y sont donc pas des lieux dits safe. Devrais-je intervenir au risque d'y laisser des plumes ?
Lors d'une assemblée générale suivant l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Macron, je me suis permis une remarque. J'ai demandé à ce que l'on fasse apparaître dans le communiqué que le RN est un parti raciste et antisémite. Mal m'en a pris. On m'a répondu que ce n'était pas possible, que nous en avions déjà parlé en Congrès. Sans plus d'argument. Ma proposition a été balayée d'un revers de main sans que je ne comprenne pourquoi. Je me suis demandé si j'étais le seul dans l'assemblée à savoir que le Front national a été fondé par d'anciens Waffen-SS. J'ai compris ensuite le sous-texte était que l'antisémitisme est un racisme comme les autres.
Pour la première fois, l'extrême droite était aux portes du pouvoir. Pour la première fois, je trouvais absurde l'entêtement du NPA-R à présenter des candidatures dans une campagne éclaire de 3 semaines. Pour la première fois, j'ai eu peur des résultats et j'ai participé au barrage républicain dans l'angoisse et la résignation. La tête basse, je suis allé voter LFI. Et je me suis même proposé pour voter par procuration pour une candidate... PS.
Le dimanche 8 juillet : une journée d'angoisse avant l'annonce des résultats.
A 20h : le soulagement. Puis très vite la colère : Mélenchon prend la parole le premier, il est encore et toujours persuadé qu'il jouera le rôle de sauveur en 2027.
Le lendemain, nous avons discuté en AG du communiqué du syndicat. J'ai fait remarquer que la parole antisémite se libérait dernièrement et que des organisations comme Golem et le RAAR dénoncent depuis de long mois des propos antisémites à gauche, notamment de Mélenchon et de certaines figures de la France Insoumise.
Une personne m'a répondu qu'il y avait également eu un acte antitsiganiste, qu'elle ne connaissait pas les positions de Golem mais que d'autres organisations comme l'Union juive pour la paix française (UJFP) portent une parole différente. Laquelle ? Je ne saurai pas. C'est la première fois que j'entendais le terme d'antitsiganisme. Je me suis revu à Berlin en février dernier visitant le Mémorial aux Roms européens assassinés pendant le nazisme puis celui des Juifs assassinés d'Europe. Pourquoi préciser que les tsiganes subissent aussi du racisme quand je dis que l'antisémitisme est présent dans notre société ? Aurais-je dû préciser que j'étais concerné pour que ma parole ait plus de valeur ? J'en doute.
J'ai quitté l'AG en colère avant la fin et voici ce qui apparait dans le communiqué :
« Cette période électorale précipitée a été marquée par une libération de la parole et des actes racistes (islamophobie, antitsiganisme, négrophobie, antisémitisme…) et LGBTphobes. »
Dans le même temps, j'apprenais que des membres de la commission antiraciste de l'Union syndicale Solidaires participent à une cabale contre Jonas Pardo l'accusant d'avoir des intérêts cachés à travers les formations qu'il dispense parmi les syndicats et partis de gauche. Ces intérêts seraient financiers mais aussi idéologiques : Jonas Pardo serait un agent "sioniste" qui aurait pour mission de diffuser le sionisme dans la gauche et serait rien de moins qu'un relai de Tsahal. Un vrai pack de l'antisémite primaire : le complot, l'argent et l'accusation de sionisme. Bingo !
« des actes racistes (islamophobie, antitsiganisme, négrophobie, antisémitisme…) »
Mais quels sont ces trois petits points qui suivent l'antisémitisme ? Les actes racistes anti-asiatiques ? Il y aurait d'autres racismes qu'il n'est pas nécessaire de nommer ? Et les actes xénophobes ? Sont-ils dans cette parenthèse ?
Certain-e-s militant-e-s de la cause antiraciste aiment à se cacher derrière leur antisionisme pour dénoncer en toute quiétude une prétendue instrumentalisation de l'antisémitisme par des organisations juives de gauche. Durant la guerre de Gaza de 2014, le NPA était le seul parti à appeler à rejoindre les manifestations pro-palestiniennes. J'avais alors demandé aux camarades pourquoi nos tracts ne dénonçaient pas le Hamas et sa politique. Je n'avais pas obtenu de réponse. Lorsque la manifestation bordelaise était passée près de la synagogue, des manifestant-e-s ont hué. Et je me suis demandé ce que je foutais là. Que des partis trotskistes ne militant qu'à travers le prisme de la lutte des classes ne soient pas capables d'appréhender l'antisémitisme, ça ne m'étonne pas. Une organisation comme Lutte ouvrière affirme que la lutte contre l'islamophobie est un piège et est favorable à l'interdiction du port du voile à l'école. Mais qu'un ensemble de militant-e-s syndicaux et syndicales cherchent à faire taire, à décrédibiliser toute personne qui s'exprime sur l'antisémitisme sur une ligne différente de la leur, c'est grave.
Les concerné-e-s doivent pouvoir parler d'antisémitisme sans être ramené-e-s à une pensée binaire de bas étage : tu es sioniste ou antisioniste, ne viens pas nous accuser d'antisémitisme, d'ailleurs des juif-ve-s sont d'accord avec nous.
La boucle est bouclée. Ils et elles ont des amis juifs qui disent que...