Ce 13 avril 2022, Samuel Beckett aurait cent-seize ans. Ça fait bizarre pour qui l’a connu et vit toujours; mais aussi, je l’espère, pour qui l’a lu. Dira-t-on qu’il est « actuel »? On l’a tant dit de tout et de n’importe quoi! Mais on le dira. Ou plutôt, qu’il est « virtuellement » en filigrane de beaucoup de choses que nous vivons aujourd’hui? Assurément. À celles et à ceux qui n’ont jamais attendu que la pièce EN ENTENDANT GODOT, on conseille la lecture de NOUVELLES, ET TEXTES POUR RIEN; et, aux plus courageux, celle de L’INNOMMABLE. Parmi l’œuvre tardif: COMPAGNIE; L’IMPROMPTU D’OHIO. Toute l’œuvre de Beckett a paru aux Éditions de Minuit, sous les auspices de Jérôme Lindon. Beckett recevait beaucoup de courrier. Dans les années 1960-70, de nombreuses lettres de parents: merci d’avoir sauvé ma fille, mon fils, du suicide. Ce n’est pas lui qui me l’a dit, c’est son traducteur allemand Elmar Tophoven, disparu huit mois avant lui, en 1989. Elmar était hospitalisé en Allemagne; Sam, dans sa maison de retraite, ne disposait que d’un téléphone public à pièces. Un jour, une seconde, vraiment, après que j’eus raccroché avec le premier, le second m’appelle; il me dit: André, tu as du mal à respirer, pourquoi? Il avait, à l’oreille, perçu mon émotion; car chacun n’appelait que pour prendre des nouvelles de l’autre. Ça me remet en mémoire cet autre trait de « Top»: invité par le chef d’une famille très pieuse à dire, à table, le bénédicité, Top annonce « une prière de Samuel Beckett», et articule ces mots: EST-CE QUE QUELQU’UN ME VOIT? C’est dans COMÉDIE, je crois. Comme ami, dans la vie, pour la vie, Beckett avait ce même talent de l’extrême et radicale simplicité qui, non seulement va droit au cœur, mais qui y demeure. Trente-trois ans, si je compte bien, après sa mort, son art de grand archer est inoubliable, ineffaçable, feu, flamme, lumière dans la nuit. Doué d’un tact humain extrêmement fin, homme de compassion pour tous les êtres, beaucoup plus proche de Bouddha qu’on ne pourrait le croire, il avait un charme fou, une fragilité bouleversante, et la force d’autres temps, d’autres mondes. « Sam n’est pas d’ici », me disait Cioran, et j’aimais Cioran de dire ça. C’est à la veille de son 80e anniversaire, et des événements organisés à Paris en son honneur pour l’occasion, que Beckett tire sa chaise, « je te laisse la banquette », s’installe, me regarde et lâche: « HÖCHST UNERWÜNSCHT, comme disait Freud »-Encore une vanne. Comme celle de Didi, ou de Gogo: «On fait ce qu’on peut. Et on a tort » (GODOT). « Où maintenant? Qui maintenant? Quand maintenant? »…
148 Billets
0 Édition
Billet de blog 13 avr. 2022
116
Ce n’est pas encore 121. Ni 421. Ni 421 420.