Parmi les lieux des livres de Guido Ceronetti toujours très beaux, un bref et lumineux passage est, -le vieux style! - resté fiché dans ma cervelle (se promène) comme un coin, entendez une pièce, de fer, de bois, de pierre précieuse sur le chemin; il y est question de « celles qui ont le signe » et qui, même parvenues au grand âge, l’ont toujours, « étoile au front » qu’on retrouve jusque dans la paume d’une main ridée - et donc, ce signe est secret, c’est un mystère, et nulle ne sait comment il est, pas même celle qui le porte. Le plus vieux texte littéraire égyptien - qu’il y a seulement cent ans on disait encore connu -, (car traduit en anglais, du côté d’Oxford), intitulé la Sagesse de Ptahotep, (ancien environ de cinq millénaires, chiffre rond), nous avertit, pour son compte, que, le signe, il est très avisé de le chercher dans le creux de la main de la plus humble servante. De tout cela je déduis qu’une telle affaire étant fort mal assurée, la propension en découle pour l’humain de se couvrir de signes soi-même, de la tête aux pieds, amulettes, ça s’appelle, «apotropaïques », dans la parlure des anthropologues. Très bien. Je continue. Comme Molloy, j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour les petits objets transportables en bois, et amovibles, et c’est ainsi que, à la fin des seventies, rue Gay-Lussac, à Paris, je dénichai chez un bourlingueur d’époque Katmandou On the Road, devenu broc orientaliste à prix doux, un assortiment d’amulettes afghanes taillées au couteau en plein bloc (et patinées par Father Time), chacune, pour vous les figurer, de la taille d’un demi-paquet de cigarettes (même si, hélas toujours fumeur, je présume que vous ne passez pas votre temps à couper par le milieu vos paquets de clopes) - je dirais: de style Kafiristan. J’y trouve l’eidolon: de mosquées (deux), de cachets-cloches (trois), des organes de la génération dans le goût des cavernes (1 féminin 1 masculin et ils s’encastrent), et puis de ce que je voyais comme la croix ansée égyptienne, mais pleine, pas évidée. Eh bien pas du tout, et pourtant si, aussi bien. Car voici que dans le capharnaüm refait surface aussi une bague acquise beaucoup plus tard et cette fois à Montpellier auprès d’une dame, bourlingueuse de la même fournée antiquaire, bague à cabochon d’ambre récente voire de «résine », (matériau humble ou de récupération), qu’elle avait négociée en personne, mais pourquoi je vous raconte tout ça, c’est palpitant, dans un groupe isolé de nomades du désert, en Afrique, où en Afrique et dans quel désert elle me le précisa, j’oubliai, la géographie n’est pas mon fort. Ce qui me plut c’est qu’elle était allée elle-même au contact. Comme Bernard le broc de Katmandou Gay-Lussac. Sur l’anneau d’ « argent » de très faible titre, il y a un signe qui d’un signe a toute l’évidence, mais c’est quoi? et soudaine illumination, je vois, c’est « le signe de Tanit » - indubitablement. Ça crève les yeux mais ça m’a pris vingt ans. Tanit est une déesse phénicienne devenue typiquement carthaginoise, il y aurait beaucoup à dire, wieles wär’ zu sagen, je ne m’étends pas, aber ich muss abbrechen, - Hölderlin. Le « signe de Tanit » est un triangle isocèle, avec une balancelle sur sa pointe, et une boucle, tout petits bras, petite tête, figure humaine primitive, dessin d’enfant. Donc notez on retrouve ça aujourd’hui au cœur de l’Afrique noire, il ne s’agissait point de Berbères. Veuillez noter aussi que l’amulette afghane de bois c’est exactement ça aussi. Sacrée aire de répartition! - improbable. Il me reste une chose à vous confier: ces amulettes de bois étaient destinées au bétail. Il nous est loisible, à nous, d’oublier que, mutatis mutandis, un bœuf, un cheval, un âne, un chameau, méritent autant et plus la protection de la divinité qu’une femme ou qu’un homme.
Billet de blog 20 novembre 2025
Le signe que c’est lui
immémorial qui se Délie.
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