La haine de l’autre.

« L’enfer, c’est les autres ». Bien, Sartre! -mais votre réponse n’est pas complète. Qui c’est, les autres, à part l’enfer? Canetti, vous avez levé la main? C’est ceux qui me survivront; celles et ceux, debout autour de moi, quand je serai couché, gisant, agonisant. « Vous me survivrez tous! » et donc l’autre, c’est ma mort dans les yeux qui me regardent, impassibles (« La mort viendra et elle aura tes yeux », c’est exactement le contraire), comme le mortel que je suis (et non pas l’aimé.e). Le voyeurisme, l’obscénité,  le sadisme ordinaire, c’est à dire le sadisme social, qui, en un clin d’œil, deviennent sadisme réel en actes, viol, torture, exécutions sommaires, ce n’est que la conjuration et, au pire, la contre-effectuation, de « ma » mortalité, contresignée par tous. Voilà ce qu’est la haine de l’autre. Un Père de l’Église d’Orient, un vieux Grec, avait déjà compris cela; j’ai oublié son nom, ça se retrouvera. Tant que l’être humain ne sera pas, d’une certaine manière, réconcilié avec sa propre mort, comme le souhaitait Rilke; non pas du tout avec la mort en général, ça, c’est aussi le fascisme, viva la muerte, mais réconcilié avec sa mort propre, comme on dit le corps propre, c’est à dire l’acceptant comme la sienne, et non pas figurée dans la présence d’autrui, l’histoire de l’humanité ira d’horreurs en horreurs et sera ce cauchemar dont j’essaie de m’éveiller (Joyce), ce qui toujours fut possible au travers de l’art, mais beaucoup moins aujourd’hui, semble-t-il, comme si ce chemin aussi allait s’amenuisant sous un ciel lourd de catastrophes à venir. Combien rafraîchissantes et consolantes toutefois les silhouettes s’amenuisant à l’horizon des Promeneurs, The Vagrants of Wicklow (Synge), des grands errants un peu schizos traçant leur ligne brisée, Robert Walser, Samuel Beckett, qui dit: les autres, ça n’existe pas, les autres, ça n’a jamais gêné personne. Ce n’est pas beaucoup mieux, comme perspective, mais on respire un peu; un peu de calme, dans le sein maternel, peut-être.