Je me flatte de…

Assis à la cuisine et tirant sur ma clope, je pense aux dernières volontés du marquis de Sade. Il voulait être enterré à l’écart, en un lieu ignoré, sous un arbre. « Je me flatte », dit-il, « d’être effacé de la mémoire des hommes », je cite de mémoire, c’est peut-être un autre verbe. Vœu pieux. Il savait bien qu’il en avait ÉCRIT assez (et non pas FAIT; à part l’empoisonnement accidentel de Rose Keller à la cantharide, pas grand chose à lui reprocher EN ACTE, sauf erreur, qu’un plus savant corrigera) - pour y demeurer, dans la mémoire - mais celle de qui, au juste? Certes pas de ceux qui ne l’ont pas lu. Les conférences de Noirceuil, par exemple, ou du pape Pie, leurs raisonnements implacables (auxquels je trouve un parfum spinoziste; mais je suis le seul de cet avis), sont politiquement plus instructifs que n’importe quoi d’autre sur les rayons de la bibliothèque; les pyramides instables de gens se pénétrant de diverses manières, beaucoup moins, c’est un fait. Il en a écrit plus incisé, plus linéogravé, Donatien, que quiconque; et pourtant IL SE FLATTE…la tournure qu’il emploie, ordinaire, DANS LE MONDE, me touche bien davantage que le propos lui-même. Se flatter de retourner au néant, « mot vertigineux » (« Michelet »; « Hugo »).  -  Sade, qui a beaucoup agité l’intelligentsia française il y a un demi-siècle et plus, de la fin de la Seconde guerre jusqu’aux années 1980, n’intéresse plus grand monde, maintenant qu’il y a des sadiques à tous les coins de rue, au sens vulgaire de l’adjectif et courant des substantifs, et, vraisemblablement, à la tête de plus d’un État, et que la seule culture vraiment universelle est la pornographie. Conversement, plus personne n’a plus à se flatter de rien. Que l’oubli immédiat guette chacun de nous, ce n’est pas précisément une nouveauté. Ce qui est plus frais et plus fringant, c’est d’être oublié de son vivant. Et les grands écrivains d’un passé encore chaud sous la cendre n’ont tout simplement jamais existé; c’est qu’ils eurent le grand tort de faire tout autre chose que ce qui marche, place aux jeunes et à leurs lamentables secrets de famille, tous semblables, puisque structurés comme une famille, ou d’alcôve, structurés comme ce que vous voudrez, ça revient au même, c’est à dire, en principe, à l’autre, mais justement pas, c’est toute l’astuce: au même. Palpitant. Quel ennui. L’oubli est profond; mais le zapping est plat comme une limande. Que l’homme n’est donc qu’un balai. Zappeur zappé.