Note introductive d'André Bitton, pour le CRPA.
Voir un dosssier complet sur cette décision et ses suites sur le site du CRPA : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/220
Trouvez ci-dessous, une première lecture juridique de la décision du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012, sur la QPC de notre association sur 4 articles de la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, faite par M. Jean-Marc Panfili, sous l'angle de la validation paradoxale à laquelle le Conseil constitutionnel s'est livré des "programmes de soins". Cette validation contient en fait les germes d'une polémique qui ne pourra qu'être incessante sur l'application de l'article L 3211-2-1 sur les programmes de soins, tels que le Conseil les valide, c'est à dire sans possibilité de contraindre les patients tant aux soins obligatoires en ambulatoire qu'aux hospitalisations à temps partiel sous soins obligatoires, sauf à ré-hospitaliser ces patients, à temps complet sous contrainte, et donc à leur rouvrir l'accès au JLD avant le 15ème jour, avec les voies de recours liées à cet accès au juge.
Je trouve cette analyse juridique de M. Jean Marc Panfili, d'autant plus pertinente qu'elle relève que désormais, l'administration centrale et l'exécutif sont en difficulté, et ne peuvent plus sortir en l'état le projet de décret sur les soins contraints ambulatoires et à domicile qui a été soumis à la concertation syndicale le 10 janvier dernier. Projet de décret qui était particulièrement attentatoire aux libertés individuelles des patients sous programmes de soins en dehors de l'hospitalisation sans consentement à temps complet. Je rappelle à tous que le CRPA avait indiqué publiquement quant à ce projet de décret du 10 janvier 2012 que s'il était publié au J.O. nous l'attaquerions en nullité au Conseil d' Etat, avec éventuellement greffée sur notre requête une question prioritaire de constitutionnalité. La décision du Conseil constitutionnel du 20 avril dernier nous semble clore cette question. Voir à ce sujet, notre article sur le site du CRPA : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/199 /
Bonne lecture à tous.
Jean-Marc PANFILI.
Cadre supérieur de santé, et chargé de cours en droit à la faculté de Toulouse Capitole.
Spécialisé en droit de la santé[1]
6 Mai 2012
Les programmes de soins sans consentement ambulatoires. Un dispositif particulièrement incertain source d’insécurité juridique.
Une première définition des soins sans consentement contraints pendant l’hospitalisation…
Dans la décision du 26 novembre 2010, les sages avaient abordé l’administration forcée de soins pour les personnes hospitalisées sans leur consentement et avaient jugé «[…] qu’une personne atteinte de troubles mentaux qui soit rendent impossible son consentement alors que son état impose une surveillance constante […] soit font que cette personne compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l’ordre public, ne peut s’opposer aux soins médicaux que ces troubles requièrent. » Cependant les sages précisaient que « […] les garanties encadrant l’hospitalisation sans consentement permettent que l’avis de la personne sur son traitement soit pris en considération […] » Notons que rien dans la loi ou le règlement ne précise cette « prise en considération » de l’avis du patient. Cette formulation du juge constitutionnel laisse donc une large marge d’interprétation. Pour autant, les sages ont considéré que dans ces conditions, « […] le législateur a pris des mesures assurant, entre la protection de la santé et la protection de l’ordre public, d’une part, et la liberté personnelle, […] d’autre part, une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée. »
Une deuxième définition de soins sans consentement ambulatoires non contraints mais obligatoires…
Comme nous venons de le voir, le Conseil n’avait statué que sur l’impossibilité pour une personne hospitalisée sans son consentement de refuser le soin après avoir vu « son avis pris en considération »…. Mais le 20 avril les sages ont précisé leur position sur le régime soins imposés dans le cadre d’une prise en charge ambulatoire selon l’article L. 3211-2-1 du CSP. Le juge constitutionnel a retenu que des personnes peuvent être soumises à « […] une obligation de soins psychiatriques pouvant comporter […] des séjours en établissement […] » Mais dans le même temps le Conseil a décidé que les dispositions de l'article L. 3211-2-1 n'autorisent pas l'exécution d'une telle obligation sous la contrainte. Il précise même que ces personnes « […] ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive […] » Enfin, précision importante, ces personnes ne sauraient « […] être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins […] » Les sages ont aussi jugé utile de préciser qu’ « […] aucune mesure de contrainte […] ne peut être mise en œuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète[...] » Ainsi, dans sa décision du 20 avril 2012, le juge constitutionnel, suivant l’argumentation du Gouvernement, a considéré que en dehors de l’hospitalisation complète, les soins administrés par la contrainte et les séjours temporaires en établissement imposés par la force n’étaient pas conforme à l’esprit et à la lettre de la réforme. Cette obligation de soins, selon les termes du Conseil constitutionnel « a été conçue pour passer outre l’incapacité du malade à consentir à un protocole de soins, mais non pour briser par la force son éventuel refus de s’y soumettre[2]. » Les sages se sont référés, à ce propos, aux travaux parlementaires, précisant que le régime des soins psychiatriques ambulatoires permet une obligation de soins mais ne permet pas une administration de soins par la contrainte. Ainsi, si la personne ne coopère pas avec le service de soins pour suivre le traitement, se rendre ou demeurer dans l’établissement, il est possible que soit proposé un passage en hospitalisation complète qui permettra alors l’administration de soins contraints. Le patient bénéficiant alors du régime de protection systématique par le juge. Finalement, dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a modifié la terminologie en transformant le soin sans consentement en obligation de soins. Il a de plus jugé que, suite à sa définition, l’obligation de soins ne constitue pas une privation de la liberté individuelle. Donc pour le juge constitutionnel, cette obligation implique seulement une restriction apportée à la liberté personnelle. Ces soins ambulatoires, en dehors de l’hospitalisation complète, sans consentement mais sans contrainte physique, ne nécessitent donc pas les mêmes garanties que les soins contraints en hospitalisation complète. Le Conseil constitutionnel a jugé en définitive que cette obligation repose sur une conciliation entre la protection de la santé et la protection de l’ordre public et la liberté personnelle. Cette conciliation étant équilibrée, l’article L.3211-2-1 du CSP a été considéré conforme à la Constitution. Cependant sans prononcer de censure, les sages viennent d’adopter une définition de principe du dispositif de soins sans consentement ambulatoires. Sauf revirement ultérieur des sages, c’est cette définition qu’il convient de retenir. En effet, selon l’article 62 de la Constitution « […] Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ».
Des solutions contradictoires sources d’insécurité juridique…
L’éclairage des sages excluant la contrainte, permet de solutionner les problèmes potentiels d’atteinte à la vie privée des patients ainsi que les risques professionnels consécutifs à l’intervention au domicile des patients. Mais dans le même temps il ouvre un large champ d’incertitude notamment dans la période précédent la ré hospitalisation si elle s’avère nécessaire. En effet, si l’on remet en perspective concrète cette dernière interprétation plusieurs problèmes se posent. Il faudra d’abord se rendre compte de l’état clinique du patient en soins sans consentement ambulatoire, avant de décider une ré hospitalisation. Ceci paraît difficile si le patient ne se rend pas à ses rendez-vous pour pouvoir bénéficier d’un examen médical ou s’il refuse de recevoir les soignants à son domicile. En supposant cette étape franchie, il s’agira ensuite de transporter le patient à l’hôpital pour une hospitalisation complète ce qui suppose une contrainte de fait, puisqu’il n’est pas d’accord. Dans ce cas, selon d’autres dispositions législatives, cette mission d’acheminement du patient de l’extérieur, voire de son domicile, vers l’établissement doit reposer sur une convention. Selon l’article L.3222-1-2 du CSP issu de la loi du 5 juillet, ces conventions prévoient « les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre les décisions par lesquelles le directeur de l'établissement d'accueil ou le représentant de l'Etat modifie la forme de la prise en charge de ces personnes en procédant à leur hospitalisation complète […] » Nouveau problème, en contradiction avec l’interprétation des sages, l’article L.3222-1-1 précise quant à lui que « Les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques […] peuvent être transportées à l'établissement de santé d'accueil sans leur consentement et lorsque cela est strictement nécessaire, par des moyens adaptés à l'état de la personne. » Cet article se situe en contradiction flagrante avec le considérant du 20 avril précisant que « ces personnes ne sauraient « […] être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement. » De plus, obstacle supplémentaire, « […] le transport ne peut avoir lieu qu'après l'établissement du premier des deux certificats médicaux et la rédaction de la demande de soins […] » ou « qu'après l'établissement du certificat médical prévu […] en cas de risque pour l’intégrité du malade. » Ainsi, à l’encontre de la décision des sages, les dispositions non soumises encore au contrôle de constitutionnalité, prévoient bien le transport sans consentement mais seulement après un premier certificat médical. En outre, selon l’article L.3222-1-1 A, « […] l'agence régionale de santé organise un dispositif de réponse aux urgences psychiatriques en relation avec les services d'aide médicale urgente, les services départementaux d'incendie et de secours, les services de la police nationale, les unités de la gendarmerie nationale, les établissements […] » Ce dispositif a pour objet de faire assurer aux personnes atteintes de troubles mentaux, en quelque endroit qu'elles se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état et, le cas échéant, de faire assurer leur transport vers un établissement de santé […] » Enfin le projet de décret diffusé brièvement début 2012, particulièrement décrié, envisageait dans son article R.3222-13 le transport du patient, « […] du lieu où il se trouve vers l’établissement de santé, par l’équipe soignante éventuellement escortée par les forces de police ou de gendarmerie[…] » Ce projet prévoyait aussi « […] l’accès au domicile du patient par l’équipe soignante. » et « En cas de refus réitéré du patient de laisser le libre accès à son domicile, et après que l’équipe soignante a tenté d’obtenir l’assentiment du patient d’accéder à son domicile, le recours aux forces de l’ordre. » Les décrets d’application ne sont toujours pas parus pour éventuellement éclairer les acteurs et vont sans doute se faire attendre. Il est probable que l’exécutif soit d’ailleurs en difficulté car le Conseil constitutionnel, en répondant le 20 avril 2012 a répondu à une question ponctuelle et donné une définition des soins ambulatoires, mais en même temps, il a ouvert la voie à une réaction en chaîne avec d’autres recours potentiels pour excès de pouvoir assortis de nouvelles QPC relatives à la loi du 5 juillet.
Conclusions provisoires…
En résumé, pour exercer une telle contrainte en cas de refus du patient de suivre le programme de soins, celui-ci devrait être réintégré en hospitalisation sans consentement à temps complet.
Reste enfin à définir les modalités de passage des soins obligatoires non contraints à l’hospitalisation complète contrainte si nécessaire. A l’évidence ce dispositif contient des exigences manifestement contradictoires. Potentiellement, il est aujourd’hui source de dysfonctionnements graves et d’insécurité juridique. Il semble que l’on soit devant plusieurs régimes de soins sans consentement dont certains seraient contraints et d’autres obligatoires suite à cette décision des sages. De plus le patient ne saurait être contraint en contradiction avec d’autres dispositions législatives n’ayant pas été examinées par le juge constitutionnel. En définitive, le constat général vient finalement valider la position des détracteurs du dispositif qui ont dénoncé l’élaboration du texte du 5 juillet considérant que les soins ambulatoires ne sont réalisables que sur le principe du consentement dans le cadre des modalités relatives aux soins libres. En effet rappelons qu’à la base, la conciliation entre l’absence de consentement et les soins ambulatoires est considérée comme irréaliste pour nombre de praticiens. C’est en particulier le cas du patient dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public, dont l’état permettrait, dans le même temps, des soins ambulatoires non consentis sans qu’il y soit contraint, mais qualifiés d’obligatoires…
[1] Doctorant. Chargé de cours en droit de la santé. Faculté de sciences juridiques et politiques. Université Toulouse 1 Capitole. Faculté de Médecine Toulouse Rangueil.
[2] Décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012. Commentaire.