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Billet de blog 7 mai 2023

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Avec le temps, va, tout s’en va… : retour sur la pandémie

Professeur émérite au CHU de la Pitié Salpêtrière, auteur de « L’hôpital nous a sauvé, sauvons-le ! » aux éditions Odile Jacob, André Grimaldi dresse un bilan critique de la stratégie française de lutte contre la pandémie de la Covid19.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La pandémie est finie, reste l’endémie avec dans notre pays trente morts par jour. Au début de la pandémie, le Président avait martelé  : « nous sommes en guerre ». 

Mais cette guerre, nous étions sûrs de la gagner dès le premier jour puisque la Covid19 est une maladie bénigne pour ceux qu’elle ne tue pas. Nous avons donc, comme prévu, « gagné » la guerre. Au prix toutefois de 160 000 morts officiels en France, sept millions dans le monde (en réalité plus de vingt millions d’après l’OMS), inégalement répartis selon les pays et les territoires et selon les facteurs de vulnérabilité médicaux et sociaux.

Nous avons réussi l’exploit de ne tirer aucun bilan collectif et de ne pas en avoir dit le moindre mot lors de la campagne présidentielle. Ce silence laisse la voie libre aux divers complotistes expliquant que l’on a créé le virus pour pouvoir vendre des vaccins inefficaces (et le « on » sous-entend au choix Big Pharma ou la Chine ou les juifs… – énième preuve que l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres). Il est en réalité possible que le SARS-CoV-2 se soit échappé d’un labo et que l’animal intermédiaire ne soit ni le pangolin ni le chien viverrin, mais le laborantin !

Plus banalement, se développe une sorte de révision partant de la situation actuelle pour conclure qu’on en a fait beaucoup trop pour finalement pas grand-chose. « Tout ça pour ça ! » Et de conclure « tester-tracer-isoler, c’est inapplicable en France » : « La stratégie zéro virus, c’est bon pour les dictatures totalitaires, pas pour une démocratie ».

 Un bilan critique devrait distinguer quatre étapes relevant chacune d’une stratégie adaptée, même si la gestion de chaque étape est en partie dépendante de la gestion des étapes précédentes. Encore faut-il d’abord porter un jugement global eu égard à deux objectifs politiques : 1. éviter que les Covid graves submergent le système de santé et les morgues et 2. éviter que le report des soins indispensables pour des patients non-Covid (cancers débutants, pontages coronariens, greffes d’organe…) ne soit responsable d’une perte de chance pour ces derniers. Globalement, on a à peu près réussi à atteindre le premier objectif et on a à peu près échoué à atteindre le second (mais cet échec moins visible médiatiquement comportait moins de risque politique).

1ère étape de la pandémie, sans test ni vaccin.

 On avait alors le choix entre deux stratégies : soit rechercher l’immunité collective en laissant circuler le virus, comme l’a essayé initialement l’Angleterre et comme l’a réalisé le Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro ; soit chercher à bloquer la circulation du virus d’abord par un confinement collectif strict limité dans le temps, puis par des mesures barrières individuelles prolongées. Il est inutile de revenir ici sur le mensonge sur les masques dont nous étions dépourvus en raison de l’application du dogme « Pas de stock, du flux ! ». C’est d’ailleurs peut être la seule leçon qui sera retenue.

2ème étape de la pandémie, avec des tests mais pas de vaccin.

 La stratégie qui s’impose est celle dite du « zéro virus » grâce à la trilogie répétée par l’OMS « tester- tracer-isoler » qui permet de reprendre une activité économique et une vie sociale. C’est celle que nous avons essayé d’appliquer mais très mal, de façon bureaucratique sans s’appuyer sur la mobilisation de volontaires pour aider à sa mise en pratique, et avec une totale anarchie d’usage des tests laissé au bon vouloir de chacun (voir les livres d’Eric Caumes, de Gilles Pialoux et de Renaud Piarroux).

 Conséquence : des couvre-feux prolongés, des fermetures de lieux collectifs (notamment de culture) et des confinements plus ou moins stricts. Au lieu de reconnaître notre échec et d’essayer d’en tirer les leçons, nos dirigeants politiques ont préféré féliciter les Français et refuser la soi-disant « dictature sanitaire », en inventant le slogan inédit « vivre avec le virus » (et avec 400 morts par jour, chiffre auquel on s’est d’ailleurs très vite habitué).

 Certains, constatant que 80% des morts avaient plus de 70 ans, avaient proposé d’isoler les « vieux » (dans de très grands appartements pour ceux qui le pouvaient ou pour les moins favorisés dans des hôtels réquisitionnés) en laissant les moins de 70 ans vivre leur vie au prix d’environ 25 000 morts… ( et un peu moins si on avait isolé également les personnes plus jeunes mais à risque en raison d’une obésité, d’une grossesse, d’une insuffisance  respiratoire ou cardiaque ou d’une immunodépression). Quoi qu’il en soit, aucune leçon n’a été tirée de notre échec qui se reproduira donc lors de la prochaine pandémie.

3ème étape de la pandémie, avec tests et vaccins.

 On se rappelle du début laborieux ménageant autant que possible les syndicats de médecins libéraux canal historique, opposés initialement aux vaccinodromes et réticents à une délégation de la vaccination aux pharmaciens. Surtout, le Président a choisi de politiser à l’extrême l’obligation vaccinale des soignants et le pass-sanitaire, en liant ces décisions à son programme politique et à sa personne, au lieu de chercher un consensus national derrière une politique de santé publique indépendante de la politique partidaire. D’autant que l’affaire des masques avait rompu la confiance vis-à-vis de la parole politique.

 On a alors assisté à des syllogismes désespérants : « Si vous êtes contre Macron, contre le report de l’âge de départ en retraite et contre la réforme du chômage, alors vous êtes contre le pass-sanitaire » ; « si vous êtes contre les big pharma, alors vous êtes contre l’obligation vaccinale des soignants ». On a entendu des personnalités (personnellement vaccinées) défendre la liberté de chacun et chacune de refuser le vaccin ou la liberté de choisir son vaccin alors même que 80% des patients ayant une forme grave de Covid en réanimation étaient non vaccinés et obligeaient les hôpitaux à déclencher des plans blancs. En somme, une confusion entre la défense des libertés individuelles et du tout à l’ego.

 Souvent les mêmes critiquaient les vaccins ou jetaient la suspicion sur d’éventuels effets secondaires lointains inconnus, au point de mettre en doute le rapport bénéfice-risque du vaccin. Il fut pour le moins surprenant de voir que des responsables de gauche ne firent rien pour convaincre « ceux d’en bas » de se soigner aussi bien que « ceux d’en haut ». Que les médecins (ni suicidaires ni spécialement courageux) soient très massivement vaccinés, plus que les infirmières qui elles-mêmes l’étaient plus que les aides-soignantes, elles-mêmes plus que les agents hospitaliers ne freina pas ce qu’il faut bien appeler un opportunisme électoral, d’autant que la brutalité répressive du pouvoir et l’insulte délibérée du Président promettant « d’emmerder les non-vaccinés » permirent à chacun de retrouver son camp.

La 4ème phase est celle d’Omicron et de ses variants.

 Ils sont à la fois très contagieux et beaucoup moins graves en raison d’une immunité collective acquise par le vaccin et par les nombreuses infections spontanées. La stratégie du « tester-tracer-isoler » n’avait plus de sens et n’était plus praticable (ce dont s’aperçut avec retard le ministre de l’éducation nationale JM Blanquer et, beaucoup plus tardivement encore, les dirigeants chinois avec les conséquences que l’on a vu lors de l’arrêt brutal de la stratégie zéro virus sur une population insuffisamment vaccinée). Ces conséquences dramatiques n’ont pas ébranlé nos vaccino-critiques. Étant entendu que ces vaccino-critiques refusent d’être qualifiés d’« antivax » et se présentent seulement comme des résistants courageux à la vaccination forcée. Moralité :  nous n’étions pas prêts, nous ne le sommes pas, et nous ne le serons pas.

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