Quelques grands événements auront marqué mon existence, Tchernobyl en 1986, la chute du mur de Berlin en 1989, le 11 septembre 2001 et la crise du coronavirus en 2020. Chacun de ces événements étaient par nature imprévisibles pourtant ces événements ont toujours produit sur moi une impression de déjà vu, un peu comme si la fiction devenait réalité, comme si je jouais le figurant de mes derniers instants dans le remake de la « Tour Infernale » ou encore comme le héros errant dans une ville fantôme dévastée par « Résident Evil ». La catastrophe, puisque c’est de cela qu’il est question, est la chose la plus imprévisible qui soit mais c’est aussi la plus inévitable, les Grecs de l’antiquité avaient raison l’histoire humaine est définitivement tragique.
La crise du coronavirus aura été un événement singulier, en effet le monde atteignait un tel stade d’accélération techno-économique-néolibérale qu’il nous entraînait dans une détérioration des conditions d’existence si grave que la simple perpétuation de la vie s’en trouvait menacée. En réalité le coronavirus fut une catastrophe salutaire, pour une fois le chaos ne fut pas le signe de notre fin mais bien au contraire celui d’un commencement.
Le premier effet fut l’effet « ralentissement », un ralentissement général qui se traduisit par un bien être immédiat, l’air devint plus pur, le nuits plus longues, on mangea moins de nourriture de mauvaise qualité, on observa le retour du silence et de la tranquillité, on redécouvrit dans les villes le chants des oiseaux, le bruit des feuillages secoués par le vent dans les arbres, jusqu’au nuits étoilées qui devinrent plus brillantes.
Et pourtant malgré ce ralentissement il n’y eu pas de pénurie ou de difficultés particulières au niveau des grands réseaux de distribution (énergie, eau, nourriture, propreté, communications), on constata qu’on pouvait garantir l’ensemble des services et des unités de production essentielles avec à peine 10 % des actifs en position de travailler, nous étions pas loin de vérifier l’utopie du livre « Travailler deux heures par jour » de Adret.
Lors des premiers jours de confinement, le réflexe fut de se précipiter sur les plateformes de diffusion vidéo et les jeux en ligne, d’autres optèrent pour le ménage, le bricolage mais rapidement ces divertissements et activités assez superficielles et par conséquent insuffisamment « occupantes », laissèrent la place à d’autres plus conséquentes comme la lecture ou les pratiques artistiques.
Avec la lenteur et le temps disponible, le besoin de s’investir dans des occupation plus intenses se fit plus pressant, tout le monde lisait ou s’informait, en ligne ou dans les livres, les longs moments de conversations alimentaient inévitablement une montée en puissance de la conscience, on réfléchissait dans les chaumières, on réfléchissait beaucoup et pas uniquement sur les virus.
Fin juin avec l’arrivée des beaux jours le virus se dissipa puis le confinement fut enfin levé, laissant derrière lui, quelques dizaines de milliers de morts en France et des centaines de milliers dans le monde.
Il était devenu clair qu’il y aurait un avant et un après, la crise climatique et les dérives sanitaires qui nous avait conduit à cette situation de désordre social et économique sans précédent sonna le glas de « l’économie de marché », en effet un très grande majorité de concitoyens prirent conscience de la morbidité de l’idéal de compétition et de performance permanentes propre à notre civilisation, ils en mesurèrent la toxicité factuelle au niveau physique et psychologique, ils comprirent enfin qu’il n’y avait qu’un seul monde possible, le monde du vivant et que le vivant est incompatible avec le monde du profit.
Nul besoin de sortir les guillotines, ni d’appeler aux insurrections armées, la révolution s’effectua sans douleur, sans verser de sang, la révolution se fit dans les esprits. La vision de ces galeries commerçantes désertes, de ces rues sans circulation suffit à changer notre perspective, le renforcement de nos relations avec nos proches, notre inclinaison naturelle à la solidarité fit le reste.
La crise du coronavirus fut le signe qui annonça les trente années de reconversion sociales, culturelles et économiques qui suivirent, que l’on nomma par la suite les « trente fameuses»
Emmanuel Todd avait avec justesse, pressenti le dépérissement inéluctable de nos élites, l’entre soi, l’auto-reproduction de classe qui excluait les éléments les plus brillants des couches sociales populaires armait ces mêmes couches d’éléments non seulement brillants mais surtout révolutionnaires en toute matière, scientifique, politique ou culturelle. Il ne manquait plus que l’occasion qui fait le larron, et dès lors nous vîmes émerger ou se renforcer d’innombrables initiatives collectives qui finirent par rendre les grands médias, les puissantes institutions financières et les grands ordres dominants totalement inaudibles et inopérants.
En effet grâce aux nombreux mouvements sociaux qui s’étaient produits avant la crise du coronavirus et à internet, un maillage politique et social populaire s’était déployé dans toutes les nations, les solidarités locales souvent municipales, les coalitions d’activistes en tout genre, les gilets jaunes et autres zadistes s’étaient tout d’abord coalisés dans la rue pour ensuite constituer des formes d’organisations parallèles aux organisations officielles, si bien qu’il y eu une cascade de victoires électorales un peu partout dans le monde, voyant arriver au pouvoir des coalitions démocratiques et des tirages au sort de conventions citoyennes.
Le monde vit alors fleurir de multiples constitutions authentiquement démocratiques et bien que la propriété privé ne disparut pas, les biens communs et les droits du vivant devinrent impératifs et imprescriptibles. Progressivement la coopération pris le dessus sur la concurrence et les « libres marchés » se réduisirent à des petits marchés bio le dimanche sur la place du village. « L’économie raisonnable » remplaça « l’économie de marché » tout simplement parce que les outils numériques s’adaptaient mieux aux circuits-courts de consommation, à la production locale et aux financements participatifs, tout comme wikipédia avait détrôné le pouvoir des sachants, la nouvelle économie raisonnable et contributive remplaça progressivement le capitalisme financier, pour une fois c’était vraiment la demande qui déterminait l’offre. Bien entendu on effaça les dettes.
Les états-nations ne disparurent pas puisque certains services publics étaient nécessaires à la viabilité des superstructures, de la santé, de l’éducation et de la justice mais leurs opérations furent désormais assujetti à la transparence en temps réel et au contrôle souverain de la population. La diversité sociale dans les parlements et les institutions engendra une plus grande diversité culturelle dans le monde, l’Esperanto 2.0 fut adoptée comme langue internationale à la place de l’anglais (créant une véritable égalité entre tous les citoyens du monde). Le travail libre et le travail consacré d’utilité collective (socialisé) furent reconnus au même niveau, il n’y eu plus de propriétaires des moyens de production autres que les producteurs eux mêmes.
On produisit beaucoup moins puisqu’on passait davantage de temps à célébrer des événements collectifs et à pratiquer des activités artistiques, mais on s’ennuya beaucoup moins aussi. La joie de s’accomplir remplaça le plaisir de posséder, le partage devint notre véritable richesse.
Enfin vers 2050 avec le ralentissement de l’activité industrielle toxique, le changement climatique montra même les premiers signes d'un retour total à la normale. L’éducation, la culture, la joie et la paresse rendirent enfin le monde tout simplement vivable à nouveau. Toutes les peines ne disparurent pas, l’humanité a bien des défauts, mais plus jamais elle n’eut celui d’oublier son « humanité ».