Andrea C. Berger

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Billet de blog 1 novembre 2025

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Madagascar : Quand la psychologie façonne la légitimité apparente

MADAGASCAR : COUP D’ÉTAT ET PERCEPTION COLLECTIVE : QUAND LA PSYCHOLOGIE ET LES RESEAUX SOCIAUX FAÇONNENT LA LEGITIMITE APPARENTE

Andrea C. Berger

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Durant mon séjour de cette année 2025 à Madagascar en pleine crise politique, j’avais en mémoire les manifestations de 2002 et de 2009 (dont les images sont vérifiables dans les archives) et je me suis également documentée pour trouver les photos de 1972 et de 1991. Si pour ces 4 crises politiques, qui ont toujours eu un passage au niveau de l’avenue de l’indépendance, la place du 13 mai, la foule allait parfois de la gare centrale jusqu’à la place dite Ralaimongo voire plus loin jusqu’à l’Eglise cathédrale protestante ; pour cette année 2025 la foule n’avait rien à voir avec ces 4 crises, la partie centrale autour du jet d’eau de l’Hotel de ville était remplie, le dépassement vers les deux autres parties suivantes de l’avenue commençait à être difficile. Et pourtant, les manifestations des 4 autres crises ont duré des mois et des mois, celle-ci a à peine durée 3 semaines, la prise en mains par les militaires a duré 4 jours.

Ce qui m’a fait penser à d’autres éléments psychologiques à approfondir, probablement liés à l’existence des réseaux sociaux. J’ai donc consulté un collègue chercheur de la faculté de psychologie pour éclaircir mes idées.

Dans certaines crises politiques, un coup d’État, bien qu’illégal et anticonstitutionnel, peut être perçu comme légitime par un segment influent de la population, tandis que le reste de la population reste silencieux ou passif. Cette réalité n’est pas seulement politique : elle s’explique par des mécanismes psychologiques et sociaux puissants, amplifiés aujourd’hui par les réseaux sociaux.

La psychologie derrière l’adhésion au coup d’État : pensée de groupe et uniformité

Lorsque des individus appartiennent à un groupe fortement uni, le désir de cohésion et d’harmonie prime souvent sur la raison critique. Ce phénomène, appelé pensée de groupe, conduit à :

  • Diaboliser le dirigeant victime du coup d’État, le présentant comme responsable de tous les maux.
  • Exalter les auteurs du coup comme sauveurs ou héros.
  • Exclure toute opinion divergente, qui devient dangereuse pour l’appartenance au groupe.

Cette dynamique crée un cercle auto-renforçant : plus le groupe s’unit autour d’une vision, plus ses membres sont convaincus de sa légitimité.

Biais de confirmation et filtre attentionnel

Le biais de confirmation, renforcé par le système d’activation réticulaire (SAR), joue un rôle central : il oriente l’attention des individus vers les informations qui confirment leurs croyances et filtre les éléments contraires.

  • Les actions du dirigeant sont interprétées comme fautives.
  • Les actes des auteurs du coup sont perçus comme nécessaires.
  • Tout désaccord ou preuve contradictoire est ignoré ou déformé pour s’intégrer à la narrative du groupe.

Ainsi, la perception collective devient fortement polarisée, indépendamment des faits réels.

Le rôle du silence et du conformisme

La majorité silencieuse adopte souvent un laisser-faire par peur, indifférence ou rationalisation. Plusieurs facteurs entrent en jeu :

  • Conformisme social : s’opposer publiquement peut être perçu comme dangereux ou inutile.
  • Dissonance cognitive : rationalisation interne pour réduire l’inconfort psychologique.
  • Indifférence ou découragement : sentiment que sa voix n’a pas d’impact.

Le résultat est une illusion de soutien massif pour un mouvement qui n’est en réalité représentatif que d’une partie de la population.

L’amplification par les réseaux sociaux

Aujourd’hui, les réseaux sociaux intensifient ces dynamiques psychologiques :

  • Les algorithmes favorisent le biais de confirmation, en montrant aux utilisateurs des contenus alignés sur leurs opinions.
  • Les groupes en ligne créent des bulles informationnelles, renforçant la pensée de groupe et la polarisation.
  • Les images, messages et hashtags viraux contribuent à diaboliser l’adversaire et exalter les auteurs du coup, donnant l’impression que cette vision est partagée par tous.

En conséquence, un événement politique peut rapidement être perçu comme légitime ou populaire, même lorsqu’il ne l’est pas dans la réalité.

Influence culturelle et psychologique à Madagascar

À Madagascar, certaines caractéristiques culturelles peuvent renforcer ces dynamiques. La société valorise le respect de l’autorité et de la hiérarchie, ainsi que la cohésion communautaire et le consensus, ce qui peut accentuer le conformisme social et la pensée de groupe. L’expérience historique de crises politiques répétées a également créé un climat où le silence ou la rationalisation deviennent des stratégies pour éviter les conflits ou préserver la sécurité individuelle. Combinées aux mécanismes universels comme le biais de confirmation ou le filtrage attentionnel du SAR, ces caractéristiques culturelles et sociales peuvent expliquer pourquoi certains groupes perçoivent un acte anticonstitutionnel comme légitime, tandis que d’autres restent silencieux ou passifs.

Conséquences pour la légalité et l’avenir du pays

L’adhésion psychologique à un coup d’État a des effets durables :

  • Érosion de l’État de droit : l’illégalité devient tolérée et normalisée.
  • Polarisation extrême : les divisions politiques se creusent, rendant le dialogue impossible.
  • Instabilité institutionnelle : la majorité silencieuse hésite à s’impliquer, laissant le champ libre aux groupes dominants.
  • Risque d’abus répétés : la perception que de tels actes sont acceptables peut encourager de futurs coups de force ou violations constitutionnelles.

Ce phénomène montre à quel point la psychologie collective, les biais cognitifs et le filtrage attentionnel du système d’activation réticulaire (SAR), combinés à l’influence des réseaux sociaux, peuvent façonner la perception de la légitimité. Comprendre ces mécanismes est crucial pour analyser les crises politiques, anticiper les dérives et préserver la légalité, la cohésion nationale et l’intégrité des institutions.

Par Bastian Barrow et Andrea Berger

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.