Andrea C. Berger

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Billet de blog 25 octobre 2025

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Coup d'État à Madagascar : l’ombre lointaine de Donald Trump

Le coup d’État survenu récemment à Madagascar a surpris moins par sa survenue que par la réaction, ou plutôt l’absence de réaction, de la communauté internationale. Là où, il y a encore dix, vingt ou trente ans, les condamnations auraient été unanimes, fermes et immédiates, c’est aujourd’hui le silence et la prudence diplomatique qui dominent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce changement d’attitude ne tient pas seulement à la situation locale : il s’inscrit dans une transformation plus profonde des rapports de force mondiaux, amorcée sous l’ère Donald Trump.

L'ère Trump et la dérégulation de l'ordre mondial

Donald Trump n’a pas inventé la realpolitik, mais il en a radicalement banalisé la version la plus brutale. En rompant avec le multilatéralisme et en se désengageant des institutions internationales, il a imposé un modèle diplomatique décomplexé, sans véritable ancrage moral. Son admiration affichée pour les dirigeants autoritaires, notamment Vladimir Poutine, et sa gestion de la guerre en Ukraine, son soutien sans nuances à Israël dans la guerre à Gaza, tout comme le ton permissif envers certaines dérives autoritaires, ou encore sa manière d’affaiblir les alliances traditionnelles de l’Amérique ont modifié les équilibres internationaux.

Sous Trump, la politique étrangère des États-Unis s’est recentrée sur un principe simple : l’intérêt immédiat avant tout. Cette logique a engendré un certain “laisser-faire global” vis-à-vis des injustices ou des dérives politiques. Le monde n’est plus régi par un consensus de valeurs, mais par la tolérance du fait accompli.

Cette rupture a laissé des traces profondes. En remplaçant la diplomatie de conviction par la diplomatie du rapport de force, Trump a ouvert la voie à un désordre international où les repères s’effacent. Les puissances occidentales, affaiblies par leurs propres divisions internes et par la montée de la Chine et de la Russie, avancent désormais à pas comptés. Les conséquences arrivent jusqu’à Madagascar.

Madagascar : le prisme de l'influence russe en Afrique

L'attitude des puissances occidentales et de la communauté internationale face à la situation malgache ne se lit pas uniquement à travers le prisme de l'héritage Trumpien. Elle est également une réponse pragmatique, voire craintive, à l'évolution de l'échiquier des influences en Afrique.

Les derniers coups d'État au Niger, au Mali et au Burkina Faso ont montré la capacité de la Russie à s'insérer rapidement et efficacement, souvent en s'alliant avec les régimes militaires post-coups, en promettant une assistance militaire et en jouant sur le sentiment anti-français ou anti-occidental. Le régime militaire qui a perpétré le coup d’Etat à Madagascar l’a bien compris.

L'Occident craint qu'une condamnation systématique du coup d'État à Madagascar ne pousse le nouveau régime dans les bras de Moscou. La priorité stratégique devient le confinement de l'influence russe en Afrique, même au prix de délaisser la position historique de la défense inconditionnelle de la légalité constitutionnelle.

Le silence est donc une tactique, un choix du moindre mal. Les puissances occidentales préfèrent une période de flou politique, quitte à tolérer ce qui est perçu comme une injustice institutionnelle, plutôt que de créer un vide qui serait immédiatement comblé par un acteur stratégique rival. L'objectif est clair : ne pas laisser Madagascar aux mains de la Russie.

Madagascar, par sa position stratégique dans l’océan Indien et ses ressources naturelles, ne peut être négligée. Mieux vaut donc, pour les chancelleries occidentales, garder un dialogue ouvert avec les nouvelles autorités, même issues d’une rupture constitutionnelle, que risquer une dérive pro-russe. C’est le pragmatisme avant la morale.

La fin des condamnations immédiates

Ce silence n’est pas neutre. Il traduit la disparition d’une époque où l’Occident se voulait porteur de principes universels. Les démocraties libérales, ébranlées par leurs propres crises, populisme, montée des extrêmes, désillusion sociale, n’ont plus ni la légitimité morale ni la cohésion politique pour imposer un modèle.

Le cas malgache révèle ainsi un monde en transition : un monde où les valeurs démocratiques deviennent négociables, où les alliances se font et se défont au gré des rapports de force, et où la notion même d’“ordre international” semble vaciller.

En instaurant une diplomatie sans retenue, Donald Trump a ouvert la voie à une ère d’excès et de désinhibition politique, où les silences sont parfois plus éloquents que les discours. Le silence des puissances face au coup d’État malgache n’est pas une omission, c’est un signe des temps.

En définitive, l'héritage de Trump a favorisé un environnement international où la primauté des intérêts nationaux et des transactions l'emporte sur l'adhésion aux normes démocratiques. Ce contexte a permis à la peur géopolitique de l'expansion russe en Afrique de prendre le dessus sur les principes diplomatiques. Le silence face au coup d'État à Madagascar n'est pas seulement un manquement à la défense des valeurs démocratiques ; c'est le reflet d'un nouvel ordre mondial, plus cynique et moins régi par la morale constitutionnelle.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.