Andrea C. Berger

Chercheuse en sociologie politique - passionnée de Madagascar

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Billet de blog 26 octobre 2025

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MADAGASCAR : AU COEUR DE LA CRISE POLITIQUE DE 2025

Mon voyage de cette année, entre juillet et octobre 2025, fut mon dix-septième séjour sur la Grande Île depuis ma première venue en 1998. J’y ai connu trois crises politiques majeures en 2002, 2009 et 2025 dont deux coups d’État, en 2009 et en 2025, une crise moyenne en 2018.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis chercheuse en sociologie politique, et Madagascar est pour moi bien plus qu’un terrain d’étude. C’est un pays que je porte profondément dans le cœur, un pays dont la complexité politique et la richesse humaine me fascinent depuis plus de vingt-cinq ans.

Ces trois mois vécus au cœur de la tourmente m’ont permis de mesurer à quel point les logiques de crise à Madagascar se répètent, presque à l’identique, malgré les changements de générations, de contextes ou de dirigeants.

Une société sans culture de la manifestation sociale

L’un des constats les plus frappants que je tire de cette nouvelle crise est l’absence, à Madagascar, d’une véritable culture de la manifestation sociale. Toute contestation politique ou sociale finit par se transformer en chute de régime. Les Malgaches, dans leur immense majorité, ne font pas la distinction entre manifester pour demander des réformes et renverser un pouvoir.
Or, dans une démocratie stable, on ne démonte pas tout l’État dès qu’un désaccord survient : on manifeste, on débat, on négocie, on réforme. À Madagascar, malheureusement, l’émotion l’emporte sur la raison, et la colère se transforme vite en destruction. Les régimes en place n’aident pas à mettre en place cette culture de la manifestation sociale et ont une peur bleue de toutes formes de manifestations politico-sociales.

Gen Z : des aspirations légitimes mais instrumentalisées

La jeunesse malgache notamment la Gen Z aspire à un avenir meilleur : travail, électricité, eau, dignité, des attentes simples et justes.
Mais cette jeunesse, sincère et idéaliste, ne mesurait pas l’impact réel de son mouvement ni la direction que celui-ci prendrait.
Très vite, les jeunes ont été manipulés, utilisés comme instruments politiques par des forces plus anciennes, les fameux « dinosaures politiques », et par une partie de la diaspora, surtout celle installée en France, souvent très critique envers le régime Rajoelina.

On leur a fait croire qu’il fallait « tout détruire pour reconstruire ».
Mais cette idée romantique de la révolution a servi de piège, transformant un élan citoyen en un outil de déstabilisation.
Les jeunes, portés par l’exemple du Népal et d’autres mouvements mondiaux, ont été encensés au début, avant de découvrir qu’ils n’étaient que des pions dans un jeu qui les dépassait.

 Les réseaux sociaux : un poison pour une société vulnérable

Dans une société où le niveau d’éducation et d’occupation reste faible, les réseaux sociaux notamment Facebook se sont révélés être un poison mortel.
Les « fake news » circulaient sans filtre, les rumeurs devenaient vérité, les émotions remplaçaient la réflexion.
Jamais je n’ai vu un tel niveau de désinformation : les gens semblaient possédés, incapables de discernement, submergés par la manipulation numérique.
Cette perte collective du sens critique a profondément miné le tissu social et nourri la violence politique.

 Une lutte pour les places, non pour les idées

Lorsque j’ai quitté le pays, ce qui dominait le paysage n’était plus l’élan populaire, mais la lutte pour les postes et les privilèges.
Les visages ont changé, mais les pratiques demeurent, parfois pires qu’avant.
Comme en 1972, 1991, 2002 ou 2009, le scénario se répète : un peuple sincère, manipulé par des élites cyniques, finit par reproduire le cycle des crises sans jamais en tirer les leçons.

Une pauvreté nourrie par la politique

Les études et rapports sur les crises politiques malgaches montrent qu’après chaque épisode, le pays met dix à quinze ans à retrouver son niveau économique et social antérieur.
Cette instabilité chronique est l’une des causes majeures de la pauvreté persistante à Madagascar.
Et tant que la politique sera perçue non comme un service au peuple mais comme un moyen d’accéder à des privilèges, le pays restera prisonnier de cette spirale.

Je ne cesserai jamais d’aimer Madagascar. Mais aimer, c’est aussi dire la vérité : tant que les acteurs politiques et la société civile ne comprendront pas que la stabilité et la culture du dialogue sont les fondations du développement, le pays continuera de s’autodétruire à intervalles réguliers. Je repars toujours de Madagascar avec le cœur serré, mais aussi avec l’espoir têtu qu’un jour, ce peuple admirable parviendra à briser le cycle des crises et à construire enfin un avenir à la hauteur de ses rêves.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.