Andrea C. Berger

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Billet de blog 30 octobre 2025

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Madagascar : la diabolisation d’Andry Rajoelina

La politique malgache a longtemps fluctuée entre espoirs messianiques et haines cycliques. A Madagascar, « l’homme de cœur », émotif, passionné, prompt à s’embarquer pour une cause, reste une caractéristique culturelle reconnue, la diabolisation politique est devenue une arme répétée et efficace entre les mains des détracteurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’histoire fournit trop d’exemples pour qu’on l’ignore : la diabolisation du Président Tsiranana en 1972, la diabolisation du Président Ratsiraka en 1991, la diabolisation du Président Ratsiraka encore une fois en 2002, la diabolisation du Président Ravalomanana en 2009 et, plus récemment, la diabolisation du Président Rajoelina où les réseaux sociaux ont joué un rôle accélérateur.

Il faut d’abord comprendre la mécanique : la diabolisation commence par la personnification du mal. Un dirigeant devient, aux yeux d’une partie de l’opinion, l’incarnation de tous les maux, « dictateur », « voleur », « meurtrier », « diable », « biens mal acquis », des mots-clefs martelés sur les places publiques, dans les chansons, les tracts, puis à la radio, à la télévision et désormais sur les timelines. La religion et la bible pas toujours très loin pour en rajouter une couche. Ces labels simplifient une réalité compliquée et permettent de rallier rapidement des foules émotives : on s’attaque à la personne plutôt qu’au bilan, on fait feu de tout bois, on mélange faits, rumeurs et interprétations. Cette méthode n’est pas neuve ; ce qui change, ce sont les canaux et la vitesse de propagation, d’où probablement la rapidité du récent coup d’Etat.

De ce « cœur » malgache naît aussi le besoin périodique d’un « homme providentiel ». Dans des périodes d’exaspération, la foule cherche le sauveur capable d’écraser la misère, on l’admire, on l’adule, on l’intronise presque comme un roi, on le crédite d’une carte blanche qui entraine presque naturellement un « abus de pouvoir », volontairement ou sous la pression des attentes. L’histoire montre cette alternance : figures proclamées providentielles, Ratsimandrava, Ratsiraka, Zafy, Ravalomanana, Rajoelina, Randrianirina, sont tour à tour portées aux nues. Parfois l’homme providentiel surgit d’une rue en colère, parfois d’un mouvement amplifié par les médias ; aujourd’hui, la rue numérique peut produire la même magie, et la même tragédie.

Les outils de la diabolisation ont évolué, pas la stratégie. En 1972 on utilisait chansons, tracts et journaux clandestins pour stigmatiser une classe dirigeante ; en 1991 ce furent tracts et radios clandestines ; en 2002 et 2009 les radios et télévisions accentuèrent la mise au pilori ; en 2025, les réseaux sociaux ont fait basculer la vitesse, l’empathie et la vindicte vers une viralité incontrôlable. La conséquence est la même : une déshumanisation progressive des équipes au pouvoir et la mise en place d’un climat propice aux règlements de comptes.

La délation publique se transforme souvent en purge symbolique, ou réelle. On rassemble les « collaborateurs », on les range dans un même panier, on expose patrimoines et noms, on répète des allégations sans attendre les procédures, on réclame des têtes. Les diffamations se multiplient, la haine se normalise. Pire : les rancunes anciennes sont réactivées. Ainsi, les tensions et blessures de 2009 ont été remises en avant en 2025, sans toujours prendre en compte les coûts économiques et sociaux d’une justice expéditive ou d’une déconstruction systématique des réalisations publiques. On efface les chantiers, on déconstruit, on détruit pour au final fragiliser l’État, parfois au bénéfice d’une catharsis immédiate mais coûteuse pour le pays.

Le cycle de vengeance aussi se répète : les victimes d’avant d’hier étaient les vengeurs d’hier, les victimes d’hier sont les vengeurs d’aujourd’hui, les victimes d’aujourd’hui seront les vengeurs de demain. À chaque tour, l’échelle des acteurs et des dommages augmente. Et ceux qui payent le prix le plus lourd restent les mêmes : la population, et d’abord la jeunesse, réservoir principal d’émotivité, mobilisable en masse, puis laissée exsangue quand la crise passe. Leurs noms étaient autres dans une autre période, la Gen Z d’aujourd’hui connaissent la radicalité accélérée des réseaux sociaux et sont souvent instrumentalisées pour des objectifs que peu comprennent vraiment. Quand la colère devient un outil politique, la jeunesse est à la fois bras et victime de ce mécanisme.

Que faire face à ce « bis repetita » ? Premièrement, réhabiliter l’analyse sur l’émotion : reconnaître que les Malgaches sont porteuses d’une chaleur humaine qui peut se retourner en impulsivité politique, et en faire une force de construction plutôt que de destruction. Deuxièmement, renforcer les institutions : une justice indépendante, des médias responsables, des mécanismes transparents de reddition de comptes diminuent l’appétit pour la diabolisation facile. Troisièmement, revenir à une pédagogie civique continue, l’éducation civique, le débat public serein et les contrepoids institutionnels sont les antidotes à la saintisation comme à la damnation instantanée. Enfin, la société civile et les élites doivent résister à la tentation de la purge rétributive et privilégier la réparation et la reconstruction. Sans cela, nous resterons condamnés à répéter les mêmes scénarios, en aggravant chaque fois les conséquences.

En conclusion, diaboliser un homme ou un pouvoir peut donner l’illusion d’une réponse rapide à la souffrance : un coupable, une catharsis, un remplacement. Mais la répétition de cette stratégie a un coût : elle affaiblit les institutions, polarise les sociétés, et use les générations futures. Si Madagascar veut sortir de cette prison cyclique, il faut transformer ce « cœur », source de charité et de courage, en un acteur de raison, capable d’exiger des responsabilités sans sombrer dans la vengeance. Sans cette conversion, les « bis repetita » continueront de dilapider le capital politique, moral et économique de la nation malgache, et la jeunesse, encore et toujours, en paiera le prix.

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