Depuis le 25 septembre, les analyses, tribunes et publications, nationales comme internationales, encensent la jeunesse malgache, la « génération Z », pour son rôle déterminant dans la chute du régime Rajoelina. On a salué son courage, sa détermination, sa capacité à se mobiliser pour « le changement ». Pourtant, une lecture sociologique plus distanciée et rigoureuse invite à un tout autre constat : celui d’une génération instrumentalisée, manipulée et, in fine, sacrifiée sur l’autel des ambitions politiques d’autrui.
Une jeunesse guidée plutôt que guidante
Au cœur du récit glorieux tissé autour de la génération Z se cache une réalité plus complexe. Ces jeunes, dont la légitimité des revendications initiales n’est nullement à remettre en question, réclamant une vie meilleure, l’accès à l’emploi, à l’eau, à l’électricité, à la dignité, ont été très rapidement happés dans un mouvement qui les dépassait.
Dès le quatrième jour de mobilisation, le discours a changé de nature : d’un cri social, il est devenu un mot d’ordre politique : « faire tomber le régime ». Ce glissement, rapide et savamment orchestré, montre bien que la spontanéité supposée de la jeunesse était, en réalité, encadrée et exploitée.
Les réseaux sociaux, catalyseurs et pièges
Les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans cette dynamique. Véritables caisses de résonance des frustrations collectives, ils ont aussi été l’espace privilégié de la manipulation émotionnelle et politique. Hypnotisés par des discours en boucle, séduits par des narratifs héroïques et des appels à la mobilisation, les jeunes citadins, déjà très connectés et souvent en quête d’identité collective, ont trouvé là un exutoire.
Mais derrière les hashtags et les slogans se cachaient des acteurs aux objectifs bien précis : conquérir le pouvoir et en jouir. Le « combat pour le peuple » s’est très vite transformé en stratégie d’accession au pouvoir pour une élite qui maîtrisait parfaitement les codes de la communication numérique.
Une crise orchestrée
La crise malgache de 2025 ne saurait être comprise sans replacer dans son contexte la succession rapide d’événements : la colère sociale, la mobilisation amplifiée par les réseaux, la participation inattendue de la Capsat, qui a agi comme un accélérateur du processus, et enfin la chute brutale du régime. Tout cela laisse entrevoir un scénario bien préparé, où la jeunesse n’aura été qu’un levier, un instrument politique au service d’intérêts particuliers.
Les illusions perdues
Aujourd’hui, quelques semaines après la prise de pouvoir des 5 Colonels co-présidents, la désillusion s’installe. Certes, le nouveau régime tente de se donner une image bienveillante envers la jeunesse : discours valorisants, nominations symboliques, programmes de façade. Mais dans les faits, le système politique demeure verrouillé par les mêmes acteurs, politiciens chevronnés, stratèges du pouvoir, figures connues pour leurs compromissions passées.
Les idéaux d’égalité, de transparence et de renouveau que portaient (ou croyaient porter) ces jeunes semblent s’être dissipés. L’espace public est à nouveau monopolisé par les « professionnels de la politique ». Les jeunes, eux, sont renvoyés à leur rôle de spectateurs par les chevronnés de la politique « bravo, mission accomplie, laissez maintenant les grands travailler ».
Le prix d’une crise
L’histoire politique malgache est jalonnée de crises aux conséquences lourdes pour la jeunesse : 1972, 1991, 2002, 2009… À chaque fois, les jeunes furent les premiers mobilisés, et les premiers perdants.
En 2025, l’histoire se répète. Les entreprises ferment, les emplois se raréfient, les plus expérimentés reprennent leur place dès que l’économie se stabilise, et les jeunes voient leur avenir s’éloigner encore. Leur engagement politique, sincère mais naïf, se paiera par plusieurs années de désillusion et de marginalisation.
Les véritables perdants
Les véritables perdants de la crise 2025 ne sont pas les dirigeants sortants, ni les puissants hommes d’affaires dont la situation reste aujourd'hui sujette à spéculation. Ce sont ces jeunes, cette génération Z, qui ont cru pouvoir incarner le changement, mais qui ont été utilisés comme instruments d’une stratégie politique dont ils n’étaient ni les auteurs ni les bénéficiaires.
L’histoire malgache, fidèle à sa logique du « fihavanana politique », finira probablement par recomposer les alliances et réintégrer les anciens. Mais pour les jeunes qui ont tout donné dans l’espoir d’un avenir meilleur, il ne restera que l’amertume d’avoir été, une fois encore, les grands perdants d’une crise dont ils avaient espéré être les héros.