Nous entendons parler ces jours ci du « problème » catalan. Nous lisons dans la presse que les gouvernants des pays européens, lorsqu’ils sont questionnés sur ce « problème » commencent par dire qu’il s’agit d’un problème interne de l’Espagne, sont gênés par certaines informations leur arrivant, montrent leur préoccupation par la tournure prise par les évènements, parlent d’une solution négociée et finissent en général par faire des déclarations de soutien au pouvoir central en place à Madrid (voir les déclarations de Macron lors de la visite à Madrid, de Trump lors de la visite récente de Rajoy à la maison Blanche à la recherche d’un soutien international sur cette question ou encore la déclaration des chefs d’Etat européens à Tallin). Les Français, comme d’autres Européens, soucieux de comprendre ce qui se passe aussi près, chez leurs voisins en Europe, se posent des questions : que veulent ces séparatistes « fanatiques » ? Est-ce que le problème catalan est un problème de solidarité avec les autres peuples d’Espagne ? Les Catalans se croient –ils supérieurs aux Espagnols ? Peut – on encore être nationaliste en plein XXIème siècle au moment où nous avons tant de mal à construire l’Europe ? Faut-il vouloir se battre pour la culture et la langue catalanes alors que le castillan ou espagnol est la troisième langue parlée dans le monde ?
Tout d’abord permettez que j’appelle le « problème » catalan « révolution ». Le Larousse nous dit que révolution est le « changement brusque, d'ordre économique, moral, culturel, qui se produit dans une société ». Habituellement, une révolution est menée par le peuple ; il s’agit d’un mouvement populaire de revendication avec le but de changer des situations d’oppression, de lutte de classes, ou simplement des droits des citoyens, comme le droit de vote des femmes ou d’autres exemples que notre histoire nous a donnés. En effet, le mouvement que nous avons vu ce dernier mois en Catalogne est bien une révolution, car il s’agit d’un mouvement populaire qui prétend changer la situation de la société catalane. Cette révolution est pacifique. Face à la provocation autoritaire du gouvernement de Madrid, avec une judiciarisation à tout va par des juges et procureurs généraux liés au parti populaire (Jose Manuel Maza, réprouvé par le Congrès de Députés le 16/05/2017 est toujours en fonction de « Fiscal General del Estado », nommé par le roi), avec l’envoi d’escadrons de la Guardia Civil par terre et par mer (3 transatlantiques affrétés par le gouvernement central pour déplacer les militaires qui ont œuvré, et de quelle façon, partout en Catalogne), la réponse a été la musique, le chant choral dans les rues, l’offre de fleurs aux militaires et les réunions de parents d’élèves pour occuper les écoles menacées de fermeture judiciaire pour empêcher le scrutin du 1er octobre, avec des activités festives et de formation. Toute la société est sortie dans la rue expliquer au monde entier que les Catalans ont le droit de s’exprimer, et veulent le faire savoir peu importe qui est au pouvoir à Madrid. Les sapeurs-pompiers avec leurs échelles, les agriculteurs avec leurs tracteurs dans les rues, les étudiants avec les manifestations les plus importantes depuis la mort de Franco en 1975, ou encore les collèges des professions libérales (ordres de médecins, avocats, architectes, etc), entre autres. Il s’agit pour eux de défendre un droit fondamental écrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 de l’ONU (articles 19 et 20).
Est-ce que cette révolution pacifique est l’affaire d’une bande de séparatistes « fanatiques » ?
Sont-ils non solidaires et se croient-ils supérieurs au reste de l’Espagne ?
Pour répondre à ces questions il faut remonter à l’époque de la résistance au régime de Franco, particulièrement active en Catalogne et à la transition à la démocratie, tant saluée par la France et l’Europe en général. Le général Franco avait laissé un successeur désigné, le prince Juan Carlos, héritier de la ligne des Bourbons, qui deviendrait le roi Juan Carlos I à sa prise de fonctions. Son père le Comte de Barcelone ayant abdiqué, Juan Carlos a été le chef des armées et chef de l’Etat Espagnol, pendant la période constitutionnelle qui s’est couronnée par l’approbation par le peuple espagnol de la Constitution de 1978. Les Catalans, comme les autres Espagnols, ont approuvé cette Constitution, basée sur un Pacte Constitutionnel qui reconnaissait la pluralité de l’Espagne et donnait un parlement et un gouvernement autonome à la Catalogne qui l’avait revendiqué par droit historique et culturel, en même temps qu’il créait 16 autres régions autonomes, certaines de toutes pièces, peut-être dans un souci d’équité. Certains franquistes (bien représentés dans l’écriture du texte constitutionnel), forcés par une évolution vers la démocratie difficilement évitable à l’aube des années 80 en Europe, l’ont accepté comme mal mineur, et les antifranquistes, avides de démocratie à tout prix, l’ont accepté dans l’espoir de faire évoluer la société pacifiquement. Cette Constitution, tant défendue ces jours-ci par les continuateurs des partis émanant du franquisme, donnait aussi beaucoup de pouvoir au roi (40 sénateurs toujours nommés par la « Casa Real » avec un pouvoir bloquant à la chambre haute), donnait surtout tout pouvoir sur une possible modification ultérieure au gouvernement de Madrid, et s’était protégée contre les « valeurs républicaines » en excluant pour son élaboration tout parti politique qui les affichait (les partis politiques républicains étaient toujours interdits même au moment du vote de la Constitution). Dans cette période de post-franquisme, la « censure » qui contrôlait les publications de littérature catalane et les concerts tant interdits jusque-là a été levée et les livres de poésie et de prose catalane ont pu être édités plus facilement, les concerts de « nova cançó » n’étaient plus empêchés et les journaux et publications catalanes ont commencé à réapparaitre comme les escargots un jour de fine pluie au printemps. Le catalan, lourdement et officiellement poursuivi par le franquisme est lentement redevenu une réelle langue, instrument de communication. Il a été enseigné aux écoles (en même temps que le castillan) et a pu être normalement utilisé dans les universités y compris pour écrire des thèses. En ce qui concerne les finances, 100% des taxes générées en Catalogne partaient (et partent encore) à Madrid, qui rendait à la Catalogne un pourcentage, après déduction de ce que la solidarité avec le reste de l’Espagne imposait et ce, souvent en retard (forçant le gouvernement catalan à emprunter pour payer ses fonctionnaires ; ses propres ressources étant bloquées à Madrid, seul maitre de la collection d’impôts et de la cadence de sa redistribution).
Le 30/09/2005 le Parlement catalan approuve des modifications de la loi cadre régissant les relations entre la Catalogne et le gouvernement central de Madrid, « l’Estatut d’Autonomia ». Elles portent sur 3 aspects : le caractère national, la langue et la reconnaissance historique. Le texte est retouché, puis approuvé par le Congreso de Diputados d’Espagne et le Sénat à Madrid en mars et mai 2006 respectivement. Les Catalans l’approuvent par référendum (73% pour ; les partis républicains contre, car considéré insuffisant après les retouches de Madrid) en juin 2006. La participation a été de 48.85%, et il faut souligner que la « Commission électorale Centrale espagnole » interdit dans une décision sans précédent, ratifiée par le Tribunal Suprême, toute campagne à la faveur de la participation pour ce référendum en Catalogne.
Mariano Rajoy et le parti Populaire, alors dans l’opposition, ont rapidement commencé une campagne de collecte de signatures à travers toute l’Espagne et ont attaqué devant le Tribunal Constitutionnel les modifications approuvées de l’Estatut. Le Pacte Constitutionnel de la Constitution de 1978 était ainsi rompu. Le Parti Populaire a créé « l’ennemi de l’Espagne : le Catalan séparatiste ». Avertissant sur les dangers de ce nouvel ennemi ils ont certainement convaincu beaucoup de gens pour le combattre et ont gagné les élections suivantes. La décision de justice est tombée du Tribunal Constitutionnel, après beaucoup d’immixtions politiques sur sa composition, le 28 juin 2010. Elle annulait ce qui avait été préalablement approuvé par le Parlement de Catalogne, par le Congrès et le Sénat espagnols et par le peuple catalan, 4 ans après qu’il soit entré en vigueur. Le 10 juillet 2010 plus d’un million de personnes de tout âge et toutes tendances politiques ont défilé dans les rues de Barcelone pour dire qu’ils n’acceptaient pas cette décision de justice d’un tribunal politisé qu’ils ne reconnaissaient pas. « Non aux abus du Tribunal Constitutionnel » pouvait-on lire dans les pancartes de cette manifestation, ou encore « nous ne voulons pas être une colonie espagnole ». Ce n’était pas le manque de solidarité avec les peuples d’Espagne qui a réuni dans les rues de Barcelone en moins de 2 semaines les 20 % de la population totale catalane dans une manifestation historique. C’est la négation de ce que le peuple avait approuvé qui les mettait dans la rue d’un seul élan. Les Catalans se sont sentis attaqués dans leur dignité et ils étaient amenés à conclure qu’une vie dans le respect n’était plus possible avec l’Espagne, dont ils avaient été désignés l’ennemi à abattre par le parti maintenant au pouvoir à Madrid. Ce n’était pas les abus financiers de l’Etat et ses responsables, pourtant avérés extensifs par la suite, qui ont mobilisé les Catalans, mais l’attaque à leur dignité. Ils ne voulaient plus être l’ennemi. Ils préféraient être le voisin. Ils ne mettaient pas en cause la solidarité et ils ne se sentaient pas supérieurs, au contraire, ils se sentaient bafoués par le gouvernement espagnol et mal défendus par leur propres élus (le propre Président catalan Montilla a été récriminé à l’occasion de cette manifestation pour ne pas avoir su éviter cette décision de justice).
Peut – on encore être nationaliste en plein XXIème siècle au moment où nous avons tant de mal à construire l’Europe ?
Si l’on pense à la signification française du nationalisme, qui prône la défense des intérêts des français par l’exclusion et le rejet du traité de Maastricht, la construction de l’Europe peut être certes mise en difficulté. Cependant, comme nous l’avons vu, les nationalistes catalans défendent avant tout leur culture et la veulent reconnue. Ils sont convaincus (peut-être à tort ?) que l’Europe c’est le nouveau cadre où cette reconnaissance peut enfin arriver. Ils sont déjà des Européens (ils en ont le passeport) et ils sont surtout fervents défenseurs des idéaux du traité de Rome, croyant que seule l’Europe des cultures sera fortifiée dans sa diversité et riche par la connaissance et mise en commun de toutes les traditions. Le peuple catalan et en particulier les nationalistes catalans ont fait preuve d’ouverture vers les autres peuples et ont fait de la Catalogne une terre d’accueil. Ils savent qu’il s’agit là d’une des forces de la Catalogne et c’est pourquoi comptent dans leurs rangs beaucoup d’immigrés et d’enfants d’immigrés. Ils ne sont certainement pas exclusifs, mais bien au contraire ouverts sur le monde. Ils ne veulent pas construire des frontières, ils souhaitent pouvoir justement avoir la liberté de s’ouvrir vers les autres pays sans demander la permission au Gouvernement de Madrid qui a largement montré qu’il ne les comprend pas.
La France en a fini avec la monarchie des Bourbons avec une certaine violence en coupant des têtes. La même dynastie des Bourbons a été imposée (parfois par des guerres que la Catalogne a perdues) et réimposée à plusieurs reprises après chaque période de république. La dernière fois par le dictateur Franco en 1975 qui avait, à son tour renversé la dernière république d’Espagne. Un roi Bourbon dont sa version du 20ème siècle a tué des éléphants dans des parties de chasse douteuses, a entretenu une cour de favorites « royales » et a bâti une des premières fortunes d’Espagne en s’appropriant des pourcentages sur les négoces qu’il soutenait. Franco, dans son rôle de dictateur, maitrisait juges et armée. Il est peut-être bon de rappeler que la plus grosse affaire de corruption d’huile de l’histoire en Espagne, impliquait Nicolas Franco Bahamonde (frère du dictateur) et que cette affaire, jugée en octobre 1974, a été étouffée par le président du tribunal de Pontevedra, le juge Mariano Rajoy Sobredo (père de Mariano Rajoy Brey, actuel Président de ministres en Espagne). Certains responsables politiques du gouvernement espagnol actuel ont grandi dans la classe dominante du totalitarisme franquiste et sont habitués à réprimer toutes les révolutions par la force. Ils ne peuvent imaginer que quand la révolution vient d’un peuple pacifique qui fait de la dignité et la défense de sa culture et de son histoire ses valeurs premières, leurs armes n’aient pas les mêmes effets. Ils peuvent emprisonner des personnes sans charges ni ordre judiciaire valable (comme en Catalogne le 21 septembre 2017), mais leurs armes n’annihileront jamais tout un peuple, surtout dans une vraie démocratie. Comment leur faire comprendre ?
Àngel Argilés, 2 octobre 2017