Angel Argiles

Médecin Néphrologue - Directeur de Recherches au CNRS (actuellement honoraire)

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Billet de blog 13 octobre 2017

Angel Argiles

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L’Espagne est-elle vraiment un état de droit démocratique et décentralisé ?

Nous avons entendu et lu ces derniers jours que le droit à l’autodétermination des peuples, principe inscrit dans la Charte des Nations Unies ne s’appliquerait pas aux états démocratiques. Ce point est devenu central pour justifier les prises de position de gouvernements et presse européens vis-à-vis de la Catalogne. La constitution espagnole décrit un « état démocratique». L’est–il vraiment?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voir la presse espagnole, El Pais, ABC, La Razón, El Periódico et tous les autres (souvent maintenus par des subsides de l’Etat), inventer et amplifier des mensonges m’a enragé longtemps, jusqu’à ce que nous en prenions l’habitude. Voir que les journaux français, les grands Le Monde et Le Figaro en tête, et les télévisions, relayent ces mensonges et occultent les faits criminels découverts en Espagne que le Gouvernement actuel a menés dans ce pays impunément (non pas uniquement sur le problème catalan, mais aussi sur la corruption, par exemple) et qui démontrent qu’en Espagne les libertés essentielles ne sont plus garanties, m’attriste et m’inquiète. Voir la une de Charlie Hebdo « cagouler » et mettre des mitraillettes dans les mains de ceux qui ont fait la première révolution populaire pacifique avec un courage sans limite pour défendre les droits fondamentaux face aux violences d’Etat, et à la fois soutenir les positions d’un gouvernement espagnol sorti de la dictature franquiste utilisant des moyens interdits par la loi pour attaquer tout un peuple, tout en affirmant que ce gouvernement-là défend l’état de droit, m’achève. Ça m’achève presque, parce que la colère nous maintiendra en vie, comme elle nous avait maintenus avant le 20/11/1975, mort de Franco.

Détrompons-nous, l’Espagne ça fait longtemps qu’elle a arrêté de respecter sa propre constitution et elle a mis des tribunaux contrôlés par le gouvernement espagnol au-dessus des décisions du peuple en contradiction avec l’article premier de sa tant évoquée constitution de 1978 :

  • « 1.1. L'Espagne constitue un État de droit, social et démocratique, qui défend comme valeurs suprêmes de son ordre juridique la liberté, la justice, l'égalité et le pluralisme politique.
  • 1.2. La souveraineté nationale appartient au peuple espagnol, dont émanent les pouvoirs de l'État. »

Il commence à se savoir maintenant que le parti au pouvoir à Madrid a eu une démarche contre l’esprit et le texte de la Constitution, bien visible avec la décision de juin 2010 du Tribunal Constitutionnel (déjà commenté). Mais le gouvernement de Madrid n’en est pas resté là dans la persécution politique de la Catalogne. Il a poursuivi en empêchant le parlement catalan de mettre en application les lois que les représentants du peuple librement élus ont approuvées. Des lois de toute sorte, sur le droit de succession, sur l’éducation, mais encore sur la promotion de l’accueil aux immigrants que le « Parlament » Catalan avait souhaitée, et tant d’autres. Avec la maitrise du pouvoir judiciaire qu’ils ont nommé, ils ont bloqué le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif catalans. L’usurpation des fonctions et responsabilités octroyées par l’Estatut et la Constitution, à l’exécutif catalan a été flagrante. En reprenant le contrôle de la « Conselleria de Finances de la Generalitat », ils ont confisqué les compétences du gouvernement autonome, en déplaçant des milliers de policiers et Guardia Civil  de toute l’Espagne qui ont envahi les rues pour « maintenir l’ordre » ont confisqué les compétences sur la sécurité du territoire. Ce sont ces forces-là qui ont été responsables des premières et seules violences de toute l’histoire du « Processus » vers l’indépendance commencé par clameur populaire le 10 juillet 2010.

Il restait encore le contrôle des médias. Ceci a été aussi bien ficelé par l’attribution par le Président Aznar de toutes les Télévisions Espagnoles à des groupes financiers affins à la droite monarchique ou encore avec un passé franquiste (comme le Conde de Godo, ou l’Editorial Lara ou Planeta) et la subvention pure et simple de journaux en danger financier comme El Pais ou encore le catalan El Periódico qui ont changé de ligne éditoriale après l’intervention financière de l’Etat. Le contrôle des médias est tellement important et pesant que les journalistes Joan B. Culla et Francesc Serés ont démissionné de « El Pais » pour cause de « censure idéologique ». Joan Francesc Mira, Enric Sòria, Martí Domínguez i Manuel Baixauli les ont suivis ainsi que le critique d’art Josep Casamartina et enfin, une des premières plumes du journal vient d’être limogée: John Carlin. Tous en l’espace de 2 semaines.

Nous sommes face à un pays qu’une grande partie de la presse et les autorités françaises appellent démocratique (« ça fait toute la différence pour reconnaitre le droit des peuples à l’auto-détermination » on écrit). Drôle de démocratie dont le pouvoir exécutif nomme les juges, et les fiscaux généraux, qui parfois décident à leur place. Drôle de démocratie celle où outre le contrôle du pouvoir judiciaire et la presse, le gouvernement de Madrid bloque le législatif et l’exécutif catalans.

L’application de l’article 155 n’apporterait guère plus à la situation actuelle que la reconnaissance publique de ce que le gouvernement de Madrid fait depuis longtemps sans le dire. Et pour que cette application passe mieux, le Partido Popular a obtenu l’appui du Parti Socialiste Espagnol. Rajoy, maintenant secondé par Sanchez, menace d’appliquer le fameux article. Dans une preuve de grande générosité ils donnent la possibilité de ne pas le faire si les catalans renoncent à ce pourquoi ils se sont tant battus pacifiquement pendant des années contre un gouvernement central qui ne les a jamais écoutés et qui pour les faire taire a maintes fois outrepassé le limites fixées par l’état de droit démocratique. Rajoy et Sanchez donnent un « ultimatum » à Puigdemont jusqu’à lundi 16/10/2017 pour qu’il fasse marche arrière, qu’il capitule. Et ils menacent de nouveau : s’il ne le fait pas « il sera le seul responsable de l’application du 155 ». C’est ce que l’on peut appeler de leur point de vue le dialogue et la négociation. Le porte-parole du Partido Popular a laissé entendre que Puigdemont pouvait devenir un second Président Companys, exécuté par Franco après détention en France, et Mme Cospedal, ministre de la défense a assuré hier que « l’armée doit se tenir prête pour défendre le pays tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières » ; maintenant c’est la menace de l’exécution d’un conseil de guerre et de l’envoi de l’armée qui ont été utilisées. Curieuse façon d’appliquer la négociation ; nous pourrions y trouver ici une nouvelle forme de dialogue et négociation : la « négociation totalitaire », car en vérité Madrid n’a jamais voulu négocier ou simplement dialoguer et pas plus maintenant.

Cependant, M Puigdemont a été élu et a obtenu la majorité au « Parlament » avec un groupe dont la première des promesses électorales était de faire un référendum et si le résultat était positif proclamer la République Catalane pour commencer les négociations avec le gouvernement espagnol pour la déconnexion, dans le respect. Par ailleurs, il s’était aussi engagé, si le résultat était négatif, à convoquer de nouvelles élections pour redonner la voix à tous. Si M Puigdemont proclame la République et applique la « loi de déconnexion » (approuvée par le « Parlament » catalan et aussi arrêté par le même tribunal déjà commenté), comme il s’y était engagé, et Rajoy appliquait l’article 155 ou portait action contre lui, M Puigdemont deviendrait le premier élu dont la faute affichée pour son imputation serait justement la réalisation du mandat populaire que le peuple lui a donné et qu’il aura mené au bout en prenant les risques que nous connaissons tous. Malheureusement, nous sommes trop habitués à une bien moindre persévérance des élus dans la réalisation des engagements pris dans les campagnes électorales.

Nous avons justifié toutes les actions du gouvernement de Madrid, parfois peut-être par méconnaissance, mais aussi nous acquiesçons les violences contre les citoyens en train d’exercer leur droit le plus fondamental d’une démocratie, le vote, pour des raisons que je n’arrive pas à comprendre. Nous sommes tous complices en France, (Macron, que j’ai défendu, en tête), et en Europe, par le silence sur les abus du pouvoir ou par le soutien d’un Etat « affiché démocratique » et que notre presse et nos mandataires ont secouru après avoir sciemment occulté toutes les preuves qui démontrent qu’il ne l’est plus. Nous sommes tous complices de l’écrasement autoritaire d’un peuple qui nous crie d’une seule voix depuis des années, le cœur à la main, que sa volonté de construire une Europe basée sur le respect des cultures, défendue pacifiquement doit être écoutée. Voix que nous avons aidé enfin à faire taire. Pour le bénéfice de qui ? Qui en est sorti grandi ?

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