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Billet de blog 26 septembre 2025

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La creation artistique peut-elle se faire hors du champs politique ?

L’activité artistique ne consiste pas seulement à poser une œuvre sur un mur et le cacher, c’est de faire en sorte que ce mur soit vu d’un autre œil. Lors de l’élaboration de l’œuvre, celle-ci se laisse imprégnée par les échos du monde et il se peut qu’elle s’éloigne de l’objectif initial. Se dévoile alors l’expression de l’imperceptible fantomatique du soi à travers les événements du monde.

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Illustration 1
installation I CARE, I CARE, espace saint-michel, Angèle Saccucci, 2025 © Angèle Saccucci

Lundi 11 août 2025

Lettre ouverte

Aux membres de l’association des Amis de Saint Michel et à sa Présidente, Marie-Claude Séailles, au commissaire d’exposition d’Art-op, Christophe Bassetto, à la documentariste Angèle Savino et au photographe Simone G. Colombo.

«Ce n’est pas un signe de santé mentale que d’être adapté à une société malade» Jiddu Krishnamurti

C’est politique ou pas politique ? Ou  peut-on faire de l’art sans politique ?

Voici maintenant plus d’une semaine que l’installation Icare, I care est en place et comme mon protagoniste, j’étais là-haut et j’entame ma chute et peut-être même ma mort artistiquement parlant.

En préambule je tiens à remercier les membres de l’association « les amis de Saint Michel » de m’avoir permis de mener à bien mon projet en m’octroyant une bourse de 3000 €, pour l’achat des matériaux et quatre mois pleins de travail de façon, sans parler des heures passées à l’élaboration du projet. Je remercie mon ami Christophe Bassetto, soutien jusque-là indéfectible de plus de 10 ans de collaboration artistique. Je remercie également toutes les personnes qui ont donné de leur temps pour m’aider à concrétiser mon projet. Angèle Savino qui m’a guidé dans la documentation et pour finir Simone G. Colombo qui a fait une furtive apparition, et pour cause.

Nous sommes dans un temps où nos dirigeants s’éloignent de plus en plus de la mission pour laquelle ils ont été élus : le bien-être de tous. Distribuant par ici des avantages et pouvoir à une petite minorité, retirant par là des droits durement acquis pour la grande majorité. Contournements des lois, détournement d’argent public, magouilles financières, ententes lobbyistes, écocides, mensonges, insultes, traîtrises électoralistes et, pour finir, l’impunité.

Pendant que certains accroissent leur richesse et leur pouvoir, les autres peinent de plus en plus à vivre décemment. 

Quelquefois un individu, sacrifiant sa propre personne pour une cause plus grande que lui, ose se lever et dénoncer des agissements abusifs du pouvoir, politique, financier, industriel, etc., et ce, malgré les fortes pressions venant de toutes parts. Il gomme son intérêt personnel pour le bénéfice de toute une communauté. Cet homme est le lanceur d’alerte. Et c’est lui qui est au cœur de mon installation. 

C’est alors imposé à moi la figure d'Icare et de donner ma propre interprétation de ce mythe. Ivre de joie de voler vers la lumière (la vérité) et ce malgré les recommandations de son père (la loi, la puissance), s’étant approché trop près de la lumière, il entame  alors sa chute mortelle tel le lanceur d’alerte moderne. Les révélations et scandales ont pu éclater au grand jour grâce à leur courage et leur détermination. Des vies parfois brisées, des mises au ban de la société, des assassinats.

Est-ce politique ? Éminemment oui. 

Dénoncer les abus de certains pour leur enrichissement et bien-être personnel, oui !

Pour Icare, I care (en anglais, je me soucie, je tiens à), on m’a demandé : « Ce n’est pas politique au moins ? ». Afin de rassurer, j’ai répondu « Politique non, citoyen, oui ». Les premières craintes sont nées…

Surtout pas de prises de position tranchées, ménager la chèvre et le chou, caresser les commanditaires dans le sens du poil ! Les expressions populaires sont nombreuses pour traduire la situation.

Enfermée dans mon atelier, les échos des terribles actualités internationales sont devenus de plus en plus présents. J’ai mesuré à quel point mon travail était futile et vain : manipuler des plumes blanches et légères quand tout est si lourd. S’est immiscé le doute et le non-sens de mon travail. Déprimée, j’ai constaté mon impuissance face au réel. C’est alors que j’ai pris connaissance du travail d’Angèle Savino. Sa détermination à faire connaître la situation des indigènes Yukpa et en particulier du chef Romero Sabino, assassiné comme son père l’avait été ,pour la défense de son territoire au Venezuela avec son documentaire qu’elle peinait à terminer faute de moyens financiers. Je tenais enfin mon ancrage dans la réalité. Mon installation prenait du sens et j’ai pu enfin continuer le cœur plus léger. Mon installation allait servir à donner de la visibilité à ce combat, à recueillir des fonds. Mon travail servait à quelque chose… De là, l’idée d’organiser un repas vénézuélien lors d’une nocturne et les bénéfices seraient reversés pour aider Angèle concrètement. Cela pouvait passer, la  Venezuela c’est loin…

Il est vrai que j'aurais pu me contenter de l’effet spectaculaire de l’œuvre, de la pure beauté de l’objet.

Notre monde a aussi besoin de beauté, contemplée pour elle-même, sans enjeu ou objectif défini. Mais même là on ne peut s’échapper de l’activité politique : la contemplation nous permet de nous extraire d’un réel trop dur, elle nous permet que demeure le pouvoir de l’amour et la paix intérieure, nous laisse envisager un avenir meilleur en invoquant un message d’espoir en l’humanité. 

Est-ce politique ? Oui également.

La rencontre avec la photographe/vidéaste Simone G. Colombo allait me conforter dans ma décision d’intégrer son travail en marge de mon exposition. Il avait créé une série de cartes postales à partir de photographies prises en 2012 en Cisjordanie et Palestine. Le choix du format carte postale de souvenir de vacances (la vacance, un thème qui me parle tant...) s’est imposé avec la volonté du président américain de faire de Gaza « une magnifique Riviera », pur cynisme dans la complète négation du peuple palestinien. Nous étions là à voir se dérouler le génocide sous nos yeux, impuissants face aux puissants. Encore un ancrage dans le réel. Recueillir des fonds pour l’aide humanitaire à Gaza.

Est-ce politique ? Oui sûrement. Militant ? Oui, certainement.

 Mais c’est avant tout humain. Il s’agit avant tout de monopoliser notre part d’humanité dans l’horreur. Être en action, envoyer un message d’espoir à ceux qui ont tout perdu pour ne pas sombrer soi-même dans le désespoir. Ne pas les oublier.

Nous y voilà. 

« Pas de politique hein, Angèle ? » Une obsession pour la présidente de l’association.

J’ai imposé ces cartes postales dans mon exposition. Après tout, c’était mon exposition ! Le lendemain du vernissage, deux membres de l’association donnaient leur démission. Et sans que j’en sois avertie, on les a fait tout simplement disparaître. Colère, rage, profonde tristesse...

Cela a un nom, elle s’appelle la censure. Et elle prend encore plus de sens dans le cadre de mon exposition : 

Le lanceur d’alerte muselé par le pouvoir, dénoncé dans mon installation, sommé de se taire ou de mourir. Et, ironie du sort,  me voilà à mon tour dans la même situation. 

J’ai peut-être signé là mon arrêt de mort artistiquement parlant.

On ne m’exposera plus dans ce lieu prodigieux qu’est l’espace Saint-Michel et mon cher ami et soutien de toujours ne me proposera certainement plus rien.

Peut-être que le repas ne pourra plus se faire et ce sera encore une déconvenue.

Et je pose ainsi la question : faire disparaître un élément de l’exposition d’un artiste à son insu n’est-ce pas un geste politique ? Surtout lorsqu’il s’agit de son commanditaire.

Sans aucun doute, OUI !

Alors, voyez-vous, quelques décisions que l’on prenne ou actes que l’on choisit de faire, cela devient un acte politique !

Pour finir ce texte écrit pour le peuple palestinien.

Je persiste et signe

Angèle Saccucci, artiste plasticienne libre.

Et pourtant nous sommes là 

-Toujours-

à regarder

les yeux écarquillés, immobiles, 

flottants sur un liquide 

où s’effacent toutes ses pages noircies 

par les promesses du règne de la poésie 

-Toujours-

À entendre 

Des échos lointains 

D’un monde où le silence n’existe plus

Toujours nous sommes là à contempler le désastre encore à venir.

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