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Billet de blog 19 mars 2021

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Pourquoi désolidariser le calcul de l’AAH du revenu du conjoint?

L'État et la société ne souhaitent pas nous voir ailleurs que chez nos parents, en institution, ou seul. Mais pas non plus en couple. Ou seulement, en couple sous haute surveillance. L’État souhaite que cette ségrégation perdure, que notre destin ne croise pas celui des personnes valides, sauf dans un cadre de domination structurelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans les années 1980, des mesures ont été prises pour créer des minimas sociaux et convenir de règles les encadrant. Le débat fut houleux au Pays des droits de l’homme. Et des politiciens ont su se battre pour faire reconnaître qu’il était de la responsabilité de l'État de compenser par une allocation son manquement à ses devoirs envers ses citoyens.

 En effet, le gouvernement n’est légitime que s’il remplit son devoir d’organiser sa société afin que chacun et chacune puissent y vivre librement et y prospérer (Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). Le chômage de masse s'installant, le gouvernement a donc répondu à cette obligation en créant une allocation, le RMI (Revenu Minimum d’Insertion). Le RMI, aujourd’hui connu sous le nom de RSA, est donc bien un droit et non une “aide”.

 L’État a reconnu, en 1988, que tous n’étaient pas dans la possibilité de s’insérer sur le marché du travail, et encore moins de façon équitable. Mais que, pour autant, cela ne constituait pas une raison suffisante pour laisser ses concitoyens crever sur le trottoir sans assumer un minimum ses responsabilités et chercher à pallier les dysfonctionnements organisationnels générant ces situations.

 La nature des divers frais (soins médicaux, impossibilité d’accès à l’emploi, aménagements...) engendrés par le handicap justifient que l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés) soit une allocation spécifique et plus élevée. Il est aussi nécessaire de reconnaître les barrières systémiques (défaillances structurelles, sociales et politiques) discriminant les personnes handicapées.

 L'État se doit garantir le même accès pour tous à l’éducation, la formation, les lieux et services publics et… à l’emploi.

 Structurellement et socialement, être handicapé vous confine à la pauvreté. Dans beaucoup de cas, uniquement parce que l’État ne mène pas de politiques suffisamment efficaces pour remédier au problème. Il est donc responsable de cet état de fait et doit alors remplir son devoir en versant une allocation aux personnes qui subissent les effets de cette discrimination.

Et pourtant, le montant de l’AAH reste sous le seuil de pauvreté alors même qu’il est question d’une compensation liée à l'impossibilité partielle ou totale de travailler du fait de conditions de santé le plus souvent durables, voire permanentes.

 Quand vous êtes handicapé, si vous résidez chez vos parents, on reconnaît les besoins liés à votre handicap ainsi que les défaillances sociales qui ont pour conséquence votre chômage ou votre “inemployabilité”, quel que soit le salaire de vos parents. Même cas de figure si on vous envoie, bon gré mal gré, dans une institution à qui on versera votre AAH. Encore une fois, même cas de figure si vous vivez seul.

 Mais si vous êtes en couple, là... non. Vous restez une charge pour les impôts (0.5 part sur la fiche d’impôts), mais votre AAH disparaît progressivement dès que votre conjoint commence à toucher un salaire au-delà du SMIC.

 Dans ce cas spécifique, les réalités inhérentes à votre handicap, les défaillances structurelles de la société et de l’État qui vous exclut ne sont plus reconnues et l’État se décharge de sa responsabilité sur les conjoints. Conjoints auxquels nous ne sommes pas nécessairement liés par contrat (PACS ou mariage), et qui n’ont, par ailleurs, aucune obligation légale vis-à-vis de nous.

 Le message est clair : l'État et la société ne souhaitent pas nous voir ailleurs que chez nos parents, en institution, ou seul. Ils ne souhaitent pas non plus nous voir à l’école, à l’université, au café, dans la rue, au travail, dans les boutiques, au cinéma, à la télé, dans les transports… mais pas non plus en couple. Ou seulement, en couple sous haute surveillance et/ou avec des personnes de notre “rang” (précaire, aux minima sociaux, et notamment à l’AAH).

L’État souhaite que cette ségrégation perdure, que notre destin ne croise pas celui des personnes valides, sauf dans un cadre de domination structurelle.

 Quand on ne croise jamais une seule personne handicapée dans sa vie, on ne fraternise jamais avec.

 Ainsi, on ose encore nous dire, la conscience tranquille, qu’abréger nos souffrances en nous tuant est un acte charitable ; ou encore, qu’il est mieux pour nous que nous restions sous la protection des parents ou d’une institution et d’éducateurs spécialisés (parfois je me demande peuvent-ils être spécialisés à part en coercition, mais passons). Et, puis autant carrément féliciter nos conjoints et nos familles pour leur courage de nous supporter en l'état.

 J’entends que cela soit complexe à envisager, d’encore ponctionner les caisses publiques pour des personnes qui ne vous semblent pas méritantes au sens économique. Complexe aussi de concevoir, dans le cadre d’un minimum social, que l’on puisse ne pas prendre toutes les ressources d’un foyer dans le calcul, que cela paraisse injuste au premier abord. 

J’imagine même que, pour certains, il soit surréaliste qu’une personne handicapée puisse être plus heureuse indépendante que vivant avec sa famille ou en institution, tout en conservant l’intégralité de ses droits, libertés et pouvoirs de décision. Les familles sont auteurs de violences sur les personnes handicapées dans 70% des cas et 30% des violences vécues ont lieu en institution.  

 Je comprends également que, selon vous, ça n’est pas le moment, “avec tout ce qui se passe”. Déjà en matière de handicap, ça n’est jamais le bon moment, il n’est jamais question que d’effets d’annonce et il y a toujours plus urgent. Mais en réalité, en matière de droit humain, c’est toujours le moment. Car il s’agit de ça : de droit humain.

 Il n’est pas ici question de chercher à alourdir la facture des caisses publiques, même si mécaniquement c’est ce qui risque de se produire. Ce n’est pas non plus une mesure cosmétique ou une lubie d’extrémiste.

 Il est bel et bien question d’un droit à vivre libre et à prospérer dans la société comme n’importe quel autre être humain. D’un droit à la dignité. Et un droit, ce n’est pas de la charité. Il n’y a jamais eu d’astérisque aux Droits de l’Homme et du Citoyen (CDPH 7) et il n’y en a toujours pas.

Fred A. nohecate Angie Breshka

Ressources :

 1 https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/outils/les-discriminations-liees-au-handicap-et-a-letat-de-sante 

2 https://organisation.nexem.fr/assets/rapport-2019-de-lonu-sur-le-droits-des-personnes-handicapees-cf23-32135.html?lang=fr 

3

https://www.csa.fr/Informer/Toutes-les-actualites/Actualites/Rapport-annuel-2019-la-representation-du-handicap-a-l-antenne-et-l-accessibilite-des-programmes-de-television-aux-personnes-handicapees 

4

http://presse.blogs.apf.asso.fr/media/01/01/1824062542.pdf 

5

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/22/etre-handicape-accroit-le-risque-de-subir-des-violences-surtout-pour-les-femmes_6046912_3224.html 

6

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/06._texte_de_la_convention_internationale_relative_aux_droits_des_personnes_handicapees.pdf 

7

https://www.youtube.com/watch?v=oyXnj2ygViU 

8

https://www.fondationdefrance.org/fr/solitude-et-handicap-ou-maladie-chronique-la-double-peine-une-etude-de-lobservatoire-de-la 

9

https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-066.pdf

10 https://www.youtube.com/watch?v=EKAq2SpTQ0Q

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