J'ai rencontré A. il y a quelques années. Elle découvrait l'Europe en couchsurfing. Elle était iranienne. Nous avions passé de longs moments à discuter en famille avec elle puis elle est repartie et nous avons gardé le contact. Elle a travaillé pour différentes organisations internationales avant de se fixer dans un pays du sud de l'Europe. Les événements actuels en Iran nous ont rappelé à son souvenir et un soir après une longue discussion sur whatsapp, elle nous a fait parvenir ce texte.
Que se passe-t-il dans mon pays, l'Iran ?
Il y a déjà eu beaucoup d'analyses et d'explications sur la situation en Iran. Les réseaux sociaux sont submergés d'informations à ce sujet. Pourquoi vouloir encore écrire sur ce sujet? Ce n'est pas pour vous fatiguer avec encore une histoire sur l’Iran. Le but est de garder la main, de faire en sorte que la voix inouïe des femmes iraniennes et de toutes les femmes du monde dont les droits ne sont pas respectés soit entendue et que leur cause avance.
Pour ce faire, je vais parler de ma propre expérience en tant que femme née en Iran, qui y a grandi et y a été éduquée, y a vécu toutes les inégalités et a maintenant en elle toute cette colère refoulée mélangée à une profonde tristesse intérieure. A l’inverse de ce que j’ai pu faire en tant que femme en Iran, où je ne pouvais manifester pleinement que mes peurs. Peur de m'exprimer, peur d’exprimer ma véritable opinion en public, peur de porter ce que je voulais, peur de parler à des étudiants masculins à l'université, peur de faire la fête dans l'intimité de ma maison, peur d'être arrêtée pour avoir exhibée mes droits les plus élémentaires, peur de demander l'égalité de ces mêmes droits au moment du mariage, peur de prendre la parole face à un mari patriarcal, et même peur d'avoir peur…. et c'est précisément à ce moment-là que l'agresseur a facilement le dessus.
Quel est le résultat d'une telle société, où des générations entières ont été élevées dans la peur ? Quel est le résultat d'une société dont les enfants ont été élevés dans les mensonges et la nécessité de dissimuler leurs actes? A mes yeux, le résultat est un environnement psychologiquement malade, où vous ne pouvez pas dévoiler qui vous êtes vraiment. Une société où ceux qui ont une opinion opposée aux dirigeants ne peuvent même pas faire preuve d’intégrité, où ils ne peuvent pas être éthiques simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre et exprimer leurs émotions et leurs besoins selon leurs propres croyances et principes.
A partir du moment où vous sortez de chez vous, vous mentez dans tous vos actes si vous êtes contre les normes sociales que cette tyrannie impose à la société. Si vous buvez de l'alcool à l'intérieur de votre maison, vous devez le cacher lorsque vous sortez, si vous ne pratiquez aucune religion, vous devez le cacher, si vous organisez des soirées mixtes chez vous, écouter de la musique et dansez ensemble, vous devez le cacher, si vous avez un lecteur vidéo et que vous regardez des films étrangers à la maison, vous devez le cacher, si vous avez un/une petit/e ami/e avec qui vous sortez, vous devez le/la cacher, si en tant que femme vous avez une passion pour le chant, vous devez la cacher. Il y a tellement d'autres exemples d'activités simples de la vie quotidienne que nous devons cacher. Vous ne pouvez pas en parler hors du cercle de vos personnes de confiance, car vous avez toujours peur d'être arrêté ou interrogé.
Si vous vous demandez d’où vient tout ce gâchis maintenant, pourquoi il n'y a pas d'issue pacifique, en plus de la violence brutale du côté du gouvernement oppressif, la raison est que nous ne savons pas et nous n'avons pas appris à nous exprimer de manière saine, nous ne savons pas comment gérer une dispute, nous pouvons à peine supporter une opinion contraire, nous ne sommes tout simplement pas éduqués à gérer une opinion contraire, nous avons seulement appris à maintenir les braises sous la cendre on ne sachant pas jusqu’à quand nous pourrons tenir !
C'est de cela dont la société iranienne est fatiguée et qu’elle veut changer. J'espère que dans ce court billet, j’ai pu vous emmener pour un bref voyage dans mon pays. Mon but était de toucher vos cœurs et vos émotions pour que vous puissiez ressentir la douleur que mon peuple endure depuis 44 ans.
Deux précisions complémentaires :
Vous voulez peut être savoir ce qu’il en est de celles et ceux qui soutiennent certaines de ces idées, comme ne pas boire d'alcool, couvrir les cheveux des femmes ou ne pas mélanger les sexes dans les fêtes, etc. Ce que je peux voir, c'est qu'ils en ont aussi marre, parce qu'ils sont tout le temps la cible de l'autre côté et comme je l'ai dit, nous ne savons pas comment gérer l'opinion contraire et par frustration nous les attaquons simplement. Ils souffrent également de cette forme d’oppression.
Vous pouvez vous dire que si nous sommes musulmans, ne sommes-nous pas tous censés ne pas boire d'alcool et nous couvrir les cheveux ? La réponse est un simple non. En Iran la religion est comme un nom, vous devez en avoir une lorsque vous naissez et si vous êtes né d'une famille musulmane, vous serez automatiquement musulman. Et bien sûr, il y a un grand nombre de personnes qui sont nées musulmanes mais qui ne pratiquent aucune religion, comme dans toutes les autres parties du monde où vous pouvez par exemple naître dans une famille chrétienne, vous faire baptiser mais plus tard ne pas pratiquer.
Vous pouvez vous dire que si nous sommes musulmans, ne sommes-nous pas tous censés ne pas boire d'alcool et nous couvrir les cheveux ? La réponse est un simple non. En Iran la religion est comme un nom, vous devez en avoir une lorsque vous naissez et si vous êtes né d'une famille musulmane, vous serez automatiquement musulman. Et bien sûr, il y a un grand nombre de personnes qui sont nées musulmanes mais qui ne pratiquent aucune religion, comme dans toutes les autres parties du monde où vous pouvez par exemple naître dans une famille chrétienne, vous faire baptiser mais plus tard ne pas pratiquer.