Par Anissa Crayneste et Clémentine Renard
Cet article est une version courte d'un article plus détaillé en ligne à cet url : http://lmsi.net/Debat-ou-proces
S'étant retrouvées à un débat sur la laïcité qui a tourné en procès de ceux-celles qui ne sont pas considéré-e-s comme des "vrai-e-s Français-e-s", nous ressentons le besoin de dénoncer l'utilisation de la laïcité pour servir un racisme qui ne dit pas son nom.
C'était dans un service public culturel. Une auteure de théâtre a été invitée pour parler de sa pièce traitant de laïcité et en débattre. Dès le début de son intervention, elle fait un lien avec les "attentats" de 2015 : on passe de la laïcité aux "attentats" de 2015 revendiqués par Daech, sans explication. Elle annonce ensuite que l'Islam pose problème : on passe donc directement des "attentats" à l'Islam. L'assemblée approuve et justifie le fait que l'Islam a bien un problème avec la laïcité puisqu'aucun-e musulman-e n'est présent-e dans la salle. On passe alors de l'Islam à l'ensemble des Musulman-e-s. Comment sait-on qu'il n'y a pas de musulman-e-s? Une femme du public s'exclame : "J'ai une amie d'origine marocaine qui est musulmane et qui ne porte pas le voile en France, à part sur sa tête ça ne se voit pas qu'elle est musulmane". A croire que ça se voit sur la tête des gens : on est passé des Musulman-e-s à ceux-celles qui ont l'air musulman. Et avoir l'air musulman c'est donc avoir une "tête d'Arabe". C'est-à-dire qu'on vise majoritairement les immigré-e-s et descendant-e-s d'immigré-e-s post-coloniaux.
Résumons : on était venu pour parler de laïcité et on s'est retrouvé au milieu d'un déchainement de propos sans queue ni tête, basés sur des amalgames et des préjugés sur les Musulman-e-s et ceux-celles qui sont considérés comme tel-le-s.
Nous avons demandé à définir les termes mais aucun ne l'a été. Tous paraissaient être des évidences.
Alors tentons de définir !
Le principe de laïcité est basé sur la loi de 1905 (Loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat) qui stipule que l'Etat n'a pas de religion, ceci pour que chaque citoyen-e soit libre d'exprimer ses croyances. Or, une nouvelle conception de la laïcité prend de plus en plus de place : ce n’est plus l’Etat mais chaque individu qui devrait être neutre, c'est-à-dire ne pas exprimer ni montrer sa religion. C'est sur cette définition que se basent la majorité des médias et les dernières lois faisant référence à la laïcité (La loi de 2004 interdisant le port de "signes ostentatoires" à l'école et la loi de 2012 interdisant d'avoir le visage couvert dans l'"espace public"). Or les pseudo-polémiques politico-médiatiques autour de la laïcité qui ont amené à ces lois visaient principalement les Musulman-e-s (des filles portant un foulard à l'école, quelques femmes portant un voile intégral). Pour des cas particuliers, on fait des lois ! Ne peut-on pas se demander si cette nouvelle conception d’un principe censé assurer la liberté de cultes et de croyance aux individus, ne sert pas à stigmatiser particulièrement les Musulman-e-s ? N'est-on pas en droit de se poser des questions quand les processions catholiques dans les villes et villages ne posent aucun problème alors qu'on s'indigne dans les journaux et les télés des personnes priant dans la rue parce que leurs lieux de cultes sont trop petits ? C'est, entre autres, ce qui permet de passer directement de la laïcité à l'Islam avec un consentement général.
Et le lien entre les attentats et les Musulman-e-s ?
L'Islam est une des trois religions monothéistes présente dans le monde entier et regroupe des courants et des pratiques très divers (comme c'est le cas pour les autres religions). Alors pourquoi, dans le discours ambiant, explique-t-on que les attentats commis en France ou à l'étranger, revendiqués par des personnes se disant musulmanes, ont pour cause l'Islam, sous-entendant que tou-te-s les Musulman-e-s ont une responsabilité dans ces actes meurtriers ? Et ce sont les mêmes (journalistes, politicien-ne-s, intellectuel-le-s, chroniqueur-se-s,...) qui nous disent de ne pas faire d'amalgames ! Demandons-nous à tou-te-s les Chrétien-ne-s de répondre des actes de Vladimir Poutine ou des prêtres pédophiles ? A tou-te-s les Juif-ve-s de répondre des actes de l'Etat d'Israël ?
Ces conceptions erronées dominant le discours politico-médiatique conduisent aux glissements de sens qui font que l’on passe facilement de la laïcité à l’Islam et de l'Islam à tou-te-s les Musulman-e-s (voire à ceux-celles qui ont l'air musulman), quels que soient leurs croyances, leurs pratiques, leurs pays d'habitation.
Ces amalgames ont aussi conduit des personnes présentes à se référer à un ailleurs supposé : « Quand je suis allé en Iran, on m’a obligé à mettre un pantalon. Alors ils font ce qu’ils veulent chez eux, mais chez nous il y a d’autres règles. » En parlant de cet ailleurs supposé, on s'éloigne encore de la conversation qui avait déjà déviée sur les Musulman-e-s de France. Puisque « nous », « Français-e-s » nous acceptons « leurs » mœurs dans « leurs » pays, que nous sommes respectueux-ses des coutumes dans les pays visités, « eux-elles » doivent accepter les « nôtres » en « France ». Ce qui amène à penser que les Musulman-e-s en France ne sont pas chez eux-elles, mais en visite, autrement dit qu’ils-elles ne seraient pas Français-e-s. L'idée est claire : il y a un choc entre un « eux » supposé (venant d’un ailleurs « obscurantiste ») et un « nous » supposé (les Français-e-s, les Occidentaux-ales « civilisé-e-s »). Mais, en fait, ce n'est pas vraiment des Musulman-e-s de France dont il est question. Le-la Musulman-e est plutôt une figure fantasmée, qui permet de repousser les immigré-e-s et leurs descendant-e-s puisqu’on a vu qu'on est vite passé des Musulman-e-s à ceux-celles qui en ont l'air. Allons plus loin : il s'agit ici de sous-entendre que les personnes originaires des anciennes colonies ne sont pas « réellement » françaises même si elles sont nées en France (de même que leurs parents, voire leurs grands parents) et qu’elles ont la nationalité de ce pays. N’oublions pas que pendant l'époque coloniale, les Algérien-e-s étaient des "Français-e-s musulman-e-s" ne bénéficiant pas des mêmes droits que les Français-e-s. Donc on fait reposer l'identité française sur des croyances dans un pays laïque ?! N’y aurait-il pas comme un relent d’imaginaire colonial ?
Finalement cette "nouvelle" laïcité ne sert-elle pas à exprimer des opinions racistes tout en s'en défendant ? L'existence des races biologiques ayant été remise en cause, l’idéologie raciste se base aujourd'hui sur des soi-disant différences de cultures : il y aurait des cultures figées propres à des groupes de personnes selon une ou plusieurs caractéristiques. Ici, on se réfère à l'"apparence musulmane" des personnes (et dans ce débat, aux immigré-e-s post-coloniaux et à leurs descendant-e-s) pour en déduire certains types de comportements. Tout ceci en se basant sur des préjugés : ces personnes ne seraient pas adaptées à la culture française et ses soi-disant valeurs (notamment la laïcité). On va jusqu'à se demander si leur présence en France est bien légitime. En dévalorisant cette partie de la population française, on vient renforcer l'idée de la supériorité de la soi-disant culture occidentale.
Alors même que les immigré-e-s et leurs descendant-e-s et plus largement les non-blanc-he-s représentent une grande partie de la population française depuis des décennies et font partie de la France, ils-elles sont toujours considéré-e-s comme des citoyen-ne-s de seconde zone, n'ayant pas les mêmes possibilités d'accès à l'emploi, au logement, à la santé, à l'éducation, etc. La rhétorique des "problèmes culturels" n'est-elle pas un moyen de masquer des dysfonctionnements de la société française (comme les inégalités socio-économiques et les discriminations) et donc de ne pas les combattre ?
Au contraire, ces débats ne font que les renforcer : ils continuent de stigmatiser une partie de la population : les classes populaires, les Musulman-e-s, les non-blanc-he-s. Tout ça renvoie à « ce qui n’est pas vraiment français » et accentue la fracture entre un « eux » et un « nous », alimentant les peurs et les haines.
Il est urgent de se poser les bonnes questions, de mettre définitivement un terme aux amalgames pour atteindre une société en paix, où liberté, égalité, fraternité ne seront pas que des mots !