En inscrivant les devoirs et obligations, ce qui devrait être, le droit est une représentation d’une réalité qui n’existe pas – encore -. . Tous les textes juridiques, conventions et traités, sont in fine des textes enchâssés dans la langue, la culture, les institutions et surtout le climat politique de celui qui les formule servant à soutenir les intérêts et objectifs de l’auteur. Lorsque le droit détermine qu’un comportement donné est sanctionnable, et sanctionné, cela contribue à la boussole morale d’une société.
À plus grande échelle, le droit international contribue à la boussole morale de la communauté internationale. Composé à la fois d’instruments « softs » et d’autres contraignants. Certains textes voient leur force et efficacité plus assurées que d’autres. Toutefois, l’aspect contraignant des textes n’affecte pas la façon dont ils contribuent au narratif global, à l’écriture de représentations.
Toute situation géopolitique est (ré)écrite dans le but de soutenir certaines actions stratégiques. Toutefois, le rôle de la représentation est d’autant plus flagrant lorsqu’on se penche sur le sort de la Palestine. De la déclaration de Balfour au résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU qui oublie d’inclure Israël, chaque texte contribue à un narratif où la Palestine voit son territoire diminuer sans coupable apparent.
Indépendamment du caractère contraignant des résolutions, elles contribuent au narratif de la communauté internationale. Chaque résolution commence par une série de faits menant à la conclusion subdivisée en mesures qui doivent être prises. Lorsque ces faits sont biasiés ou influencés par les intérêts d’un ou plusieurs état(s), c’est le narratif global qui est influencé.
Si la communauté internationale devait être considérée un orchestre, le Conseil de Sécurité pourrait être considéré le chef, donnant le rythme aux restes des participants sans réellement jouer d’un instrument lui-même. Le Conseil de Sécurité a un rôle politique essentiel qui examine des situations politiques et établit si un seuil de risque a été franchi.
Le rôle premier du Conseil de Sécurité est de déterminer si un différend menace « le maintien de la paix et de la sécurité internationales »[1]. Cet examen est considéré comme factuel, et non juridique. Le conseil de sécurité examine un conflit et détermine si le conflit atteint le seuil de « menace », ordonnant les nations à prendre certaines mesures et/ou autorisant l’emploi de la défense légitime.
Dés lors, les résolutions onusiennes contribuent à l’écriture d’une réalité, d’une vérité ; la description d’une série d’évènements menant à dite menace, et identifiant les acteurs pertinents. En reprenant les mots de Said, une représentation enchâssée dans la culture, les institutions, et le climat politique de celui qui les formule.
Mais qui les formule ?
Certes, le conseil de sécurité ne prend pas les décisions seuls.
Le conseil est composé de 15 membres, 5 permanents et 10 non permanents. Les membres permanents, les Big Five, sont la Chine, France, Russie, Royaume Unis et USA. Les membres non permanents sont l’Algérie, le Danemark, la Grèce, la Guyane, le Pakistan, le Panama, la Corée du Sud, Sierra Leone, la Slovénie, et la Somalie.
Si le Conseil de Sécurité de l’ONU prétend essayer de trouver un équilibre entre les continents, cet équilibre ne saurait être atteint si certains membres ont un pouvoir de véto et pas les autres.
Les cinq membres permanents, les big five, ont donc le dernier mot pour chaque résolution, affaiblissant donc le rôle de la diplomatie et des négociations – pourquoi négocier et trouver consensus quand on peut se contenter de refuser ? Ils pourraient s’abstenir, mais plus le temps passe plus les big five préfèrent poser leur véto, et particulièrement les USA[2].
Les résolutions ne peuvent donc être votées sans l’accord des Big Five.
Le Conseil de sécurité de l’ONU montre ses limitations politiques – et juridiques – depuis des années, un reste obsolète d’un autre âge, sans véritablement admettre défaite. Cet organe, fondé sur la promesse – et l’espoir – d’un « plus jamais ça » se montre de plus en plus la marionnette des Big Fives. Pas de résolution sans l’accord de ceux-ci.
Quand une résolution est votée, la communauté internationale a désormais une série de faits sur lesquels l’organe représentant la communauté internationale est tombé d’accord. Pays, organisations internationales, villes et autres acteurs peuvent justifier une série d’action basées sur cette résolution.
Dés lors, quand les résolutions du conseil de sécurité sont prises en otages certains états ; la Russie quand cela concerne l’Ukraine, les Etats Unis quand ça touche la Palestine, c’est la réalité qui est prise en otage également.
Ces 18 derniers mois, on a vu l’effondrement de du droit international, incapable de prétendre plus longtemps que nos traités font preuve d’efficacité. Gaza a été surnommée « le cimetière du droit international »[3], l’endroit où nos grands principes ne trouvent pas d’échos, où nos beaux traités sont des mots vides de sens.
La façon dont la communauté internationale – et particulièrement l’Occident – a évoque les horreurs à Gaza créé une dissonance. L’occident et le Conseil de Sécurité traitent les massacres Gaza comme si la situation n’avait pas de coupable – les horreurs doivent cesser, mais il n’y a personne à condamner.
La dernière résolution du conseil de sécurité mentionnant la Palestine date du 10 Juin 2024 - résolution 2735 -. La resolution porte sur le cessez feu et le subdivise en différentes phases. La première phase étant la libération des otages. Le 5e paragraphe de la résolution déclare « Rejette toute tentative de changement démographique ou territorial dans la bande de Gaza, y compris tout acte visant à réduire le territoire de Gaza ». La formulation vague et ambigüe sous entendrait presque que les changements démographiques n’aient pas vraiment de coupable.
La difficulté pour trouver des résolutions touchant aux souffrances des Palestiniens et/ou au rôle d’Israël illustrent le rôle du conseil de sécurité dans la création d’un narratif. Quand le conseil de sécurité ignore intentionnellement – et l’influence des états unis ne peut être sous estimées – la souffrance des Palestiniens, les résolutions dessinent un conflit dont les seules conséquences sont territoriales
Donc, quand des militants, journaux et les quelques – rares – politiciens, dénoncent le rôle d’Israel dans les horreurs – ils sont accusés de radicaux. Quand le l’organe exécutif global dont le rôle est d’établir l’existence d’une menace à la paix et la sécurité internationales est incapable de dénoncer l’état responsable de cette menace, le reste des institutions et gouvernements seront prudent de l’identifier eux même.
Dés lors, les états qui dénoncent Israel – en opposition au narratif produit par le Conseil de Sécurité sont vus/dépeints comme radicaux. Le conseil de sécurité est l’un des canaux produisant ce narratif parmi d’autres. Cependant, le rôle du conseil ne peut être sous estimé au vu des conséquences globales pour lesquelles il est responsable. Le conseil permet l’absence de réaction de l’occident face à un génocide.
Le narratif et la problématique de la représentation sont accessoires quand un génocide est en cours. Le rôle du conseil de sécurité dans l’impunité israélienne le rend pratiquement complice des crimes commis.
Néanmoins, le rôle de la représentation, du narratif, est crucial pour une force colonisatrice. Et le récit qu’Israël n’est pas responsable des crimes commis en Palestine lui offre cette impunité.
Said a également écrit : « Chaque nouvel empire prétend toujours être différent de ceux qui l'ont précédé […] Le plus triste est qu'il se trouve toujours des intellectuels pour trouver des mots doux et parler d'empires bienveillants ou altruistes »[4]
N’est-ce donc pas la responsabilité des intellectuels de remettre en question, critiquer, et s’opposer à cette représentation ?
[1] Art. 34 de la Charte des Nations Unies
[2] Veto, T. (2024). The Veto. Security Council Report. https://www.securitycouncilreport.org/un-security-council-working-methods/the-veto.php
[3] Béligh Nabli, & Johann Soufi. (2024, January 25). “Le cimetière du droit international que représente Gaza marque la fin d’un monde.” Le Monde.fr; Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/25/le-cimetiere-du-droit-international-que-represente-gaza-marque-la-fin-d-un-monde_6212970_3232.html
[4] Edward W. Said, Orientalisme, Editions du seuil, 2005, p. IV.