Ses affiches et ses banderoles recouvrent la terre des Pharaons. Dans les moindres recoins du pays, sur les véhicules, les façades, et les toits, le sourire d’Abdel Fattah Al-Sissi nous accompagne comme un joueur qui mise tout sur le rouge. Et ses trois adversaires à la course présidentielle sont aux abonnés absents des ruelles.
Le verdict est sans appel.
L'Egypte a embrassé les premiers frissons politiques alors que l'élection présidentielle a commencé. Dans le pays le plus peuplé du monde arabe, avec près de 106 millions d'habitants, la population défile aux urnes depuis le 10 décembre pour trois jours d'affilée. 9 400 bureaux de vote, et 15 000 employés de la Justice sont mobilisés à cet effet. L'attente fébrile culminera lorsque les résultats définitifs seront dévoilés le 18 décembre.
Sans faire de mystère, le président sortant Abdel Fattah Al-Sissi se prépare d'ores et déjà à un troisième mandat, en dépit d'un bilan économique qui s'achemine vers un mécontentement populaire. L'ancien chef du renseignement militaire, puis ministre de la défense, était arrivé au pouvoir après avoir renversé l'islamiste Mohamed Morsi en 2013.
Une opposition mise en dérive
D'après l'Arab Reform Initiative, le maréchal "va gagner parce qu’il contrôle les institutions de l’Etat et le très redouté appareil sécuritaire, en plus d’avoir éliminé tout concurrent sérieux", refusant de reconnaître que son triomphe puisse être corrélatif à sa popularité ou à ses performances économiques.
Seuls trois candidats sont en lice pour ces élections. Néanmoins, l'analyste politique Sabry El Gendy voit cette concurrence d'un bon œil. Il déclare: "C'est la première fois qu'il y a autant de concurrents à la présidentielle. Ils sont tous à la tête de partis politiques et devraient jouir d'une certaine popularité." (France 24)
Et pourtant, rejoignant l'analyse émise par l'Arab Reform Initiative, diverses manœuvres ont été mises en place pour invisibiliser les adversaires politiques d'Al-Sissi de la campagne présidentielle.
Selon des propos recueillis par l'AFP, le chef du Parti populaire républicain Hazem Omar s'est prononcé en faveur d'une réduction du prix des denrées alimentaires cent jours après son élection, tout en renforçant le fonctionnement des services publics. Le candidat du parti Al-Wafd Abdel-Sanad-Yamama entend "Sauver l'Egypte". Finalement, le chef de file du Parti social-démocrate Farid Zahran pointe du doigt le bilan économique d'Al-Sissi, qui l'a pourtant nommé au Sénat en 2021.
Si ces trois candidats sont parvenus à obtenir les soutiens parlementaires nécessaires pour se présenter aux élections, en dépit de programmes que les experts jugent peu séduisants, c'est notamment en raison des pressions infligées aux autres dissidents politiques. A titre d'exemple, la candidature d'Ahmed Al-Tantaoui a été rejetée car les 25 000 signatures nécessaires n'ont pas été réunies pour l'accréditer. Dans une danse sombre et impitoyable, le régime orchestre une répression d'une grande envergure contre l'opposition, enfermant des milliers d'islamistes, de militants et des blogueurs sous l'égide de la "lutte contre le terrorisme". Une mélodie sinistre se joue alors qu'une loi de réglementation de la presse et des médias permet de surveiller de près les réseaux sociaux, scrutant chaque note discordante. Bien qu'un boycott des élections ait été revendiqué par les opposants, il a été dissout en faveur des dispositifs de dissuasion mentionnés plus tôt.
Le même résultat
La population égyptienne n'a alors d'autres alternatives que de se tourner vers le seul choix de substitution: Abdel Fattah Al-Sissi, au pouvoir depuis dix ans.
Même si le quotidien égyptien Al-Youm Al-Sabee désigne une élection "pluraliste et différente", quelque soit la méthode, l'issue est invariable. En 2014, le maréchal avait remporté 96,9% des voix et en 2018, un plébiscite de 97,1% (malgré une faible participation estimée à 40%, en baisse par rapport à celle de 2014). Un troisième mandat se profile désormais à l'horizon, et un second tour relève presque du miracle. En 2019, il avait introduit une réforme à la constitution lui permettant de briguer un troisième mandat rallongé de quatre à six ans et donc de rester au pouvoir jusqu'en 2030.
En octobre 2023, selon Trading economics, le taux d'inflation annuel en Egypte a atteint les 35,8%. Une dévaluation de la monnaie locale s'ajoute à ce bilan économique, loin d'être positif. Mais contre toute attente, c'est la guerre à Gaza qui a permis de maquiller ces conflits internes. Cette guerre a été une aubaine pour le maréchal qui redoutait une révolte populaire. En face de ses homologues occidentaux, il martèle depuis le 12 octobre qu’il ne laissera pas la “sécurité nationale égyptienne” être compromise par une infiltration des militants du Hamas.
Sous-évaluation des besoins primaires
Dans une interview diffusée sur France 24, des individus de la classe moyenne imploraient humblement de la nourriture, ainsi qu'une amélioration de leur pouvoir d'achat. Mais cette demande ne pouvait aller de pair avec les projets architecturaux d'Abdel Fattah Al-Sissi, pointés du doigt par la chaîne d'informations, et suivant une certaine logique pharaonique qui méconnaît le besoin vital de la population.
Anjara Andriambelo