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Dans l'ombre des récits transmis de génération en génération, l'histoire de Mendrika* se dévoile. Ses cheveux, noirs comme l'ébène, encadrent un visage fin et gracieux, aux yeux légèrement étirés. Sa peau n'a pas pris la teinte du bronzage, fruit d'un héritage dont elle revendique l'importance: celui des descendants d'exilés à Madagascar. En feuilletant les pages d'un livre sur la guerre sino-japonaise, elle nous révèle: "Mon grand-père est un rescapé du massacre de Nankin."
La jeune femme prend alors un air sérieux, et poursuit son témoignage. Née à Madagascar et passée par les bancs de l'école malgache, Mendrika n'a jamais connu la Chine, si ce n'est à travers le récit d'exil évoqué par son grand-père. Elle nous raconte l'arrivée du patriarche sur les côtes de la Grande-Île à bord d'un navire marchand, après avoir fui le sac de Nankin en 1937. "Toute sa famille a été massacrée. Mon grand-père est le seul survivant." déclare-t-elle en émoi. "Depuis, il ne parle plus beaucoup" rajoute-t-elle avant de nous narrer sa rencontre, puis son mariage avec une malgache, qui conduira, une génération plus tard, à la naissance de Mendrika.
Embrasser une contrée lointaine
Selon une étude menée en 2009 par l'universitaire Catherine Fournet-Guerin, intitulée Les Chinois de Tananarive, les sources convergent entre 15 000 et 40 000 personnes d’origine chinoise dans le pays. Elle rappelle également leur participation à la main-d'œuvre coloniale, florissante à l'époque. Lucile Rabearimanana, historienne et professeure à l'Université d'Antananarivo, affirme enfin que les métis représenteraient plus de la moitié de la population d’origine chinoise. Néanmoins, il n'existe aucune donnée sur les descendants de rescapés politiques.
Dans les méandres de l'oubli, on vient alors à interroger le choix de l'exil volontaire ou involontaire à Madagascar. Serait-ce pour sa faune et sa flore uniques au monde? Ou pour ses plages paradisiaques et son climat idéal? Les raisons sont plus substantielles.
Ce matin du 4 février, Lina* accepte de s'entretenir avec nous. Son teint est basané, et sur ses épaules flottent les boucles de ses cheveux. Avec l'éclat d'un fier soleil, elle revendique un patrimoine génétique tissé de lignées malgaches, créoles réunionnaises, indo-pakistanaises et portugaises. Mais la jeune femme est également une descendante d'exilé.
"Mon grand-père a quitté le Yémen autour de 1910 et 1920." nous confie-t-elle. Si son histoire n'est pas celui du survivant ayant échappé à l'horreur de la guerre, elle conserve une signification essentielle. Issu d'une famille de nomades, il constate le manque d'opportunités au Yémen, et choisit de s'embarquer dans une aventure hasardeuse avec trois compagnons, embrassant ainsi l'incertitude de l'exil. Décision prise, aussitôt faite. Ils échouent alors sur les côtes de Mananjara. "J'ai vécu une phase durant laquelle j'ai essayé de comprendre ce voyage. Mais sans aucune traçabilité, les histoires restent partielles, et j'ai lâché l'affaire puisque personne ne pouvait m'en dire plus." rapporte Lina. Il s'est ensuite marié à une malgache. En outre, son intégration semble s'être achevée de manière positive: "Il parle très bien le malgache, d'ailleurs il est devenu un chef de la communauté musulmane." nous confirme-t-elle, avec une once de fierté sur son visage.
La question de l'intégration
La jeune femme, qui a quitté Madagascar à l'âge de 18 ans pour ses études, est aujourd'hui consultante dans un cabinet de conseil. Dix ans plus tard, elle revient sur ce récit qui a façonné son rapport au regard d'autrui. "Je me sentais complexée plus jeune. Au faciès, les gens te mettent dans une certaine altérité. Ils remettent en question tes origines, parce que tu n'as pas les cheveux lisses, et que tu n'as ni les traits indonésiens, ni les traits africains. Mais au final, j'ai pris du recul en arrivant en France, et j'ai réalisé que j'étais, avant tout, une citoyenne du monde." déclare-t-elle.
Par ailleurs, pour l'obtention d'un passeport, la consultante raconte avoir été cloîtrée dans le bureau d'un commissariat de police afin de justifier sa nationalité malgache, accompagnée des certificats de ses parents. Cependant, elle indique "Il ne faut pas jeter la faute sur l'administration. Ils font leur travail. Ce qu'il y a de malsain, c'est cette réglementation dans nos lois qui exige la demande d'un certificat de nationalité, lorsque notre nom n'est ni Andria ni Ra". Lina possède en effet un patronyme arabe.
Un cas notable dans cette question d'intégration concerne les enfants des tirailleurs sénégalais. Il n'y a pas de statistiques précises sur leur nombre, mais leur présence reste significative. Amadou Ba, doctorant en histoire à Paris VIII, a consacré une thèse à ce sujet. Il écrit: "Lors de mon séjour dans la Grande Île en 2006, j’ai rencontré de nombreux Malgaches qui portent des noms sénégalais, guinéens, maliens etc. (...) Ils sont désignés sous le nom de Soanagaly, Sonagaly, ou Senegaly, et sont le plus souvent confrontés à des problèmes d’insertion sociale ou d’intégration car ils symbolisent l’oppression."
La communauté indo-pakistanaise ou karana, dont la présence sur l'île remonte à l'an 1508 selon des écrits d'explorateurs portugais, affronte les mêmes difficultés. Ils sont essentiellement issus d'une lignée de migrants économiques, qui affluent en masse à partir du XIXe siècle, en raison de la situation précaire sévissant en Inde britannique. Bien que le dialogue soit entretenu de manière pacifique avec les autochtones, les échanges restent commerciaux. D'après le journaliste Jean Razafindambo, un bon nombre des membres de la communauté karana sont des apatrides. Victimes de préjugés, et bien qu'établis depuis plusieurs générations, ils doivent obtenir un permis de résidence pour demeurer légalement dans le pays.
Une histoire de migrations
Migrants économiques, descendants de rescapés politiques, enfants d'un patriarche que le hasard des vagues a ramené sur les rivages de l'Île rouge, la diversité est palpable. Mais ce qui rend le terme Malgache de souche obsolète, c'est que le peuplement de Madagascar a toujours été façonné par des vagues de migrations. C'est un fait indiscutable. Toutefois, reconnaître l'histoire et le parcours individuel de chacun contribue finalement à l'intégrer dans ce que le philosophe Edgar Morin appelle la communauté mixte de destins1
Anjara Andriambelo
*les personnes mentionnées ont fait le choix délibéré de rester anonymes
1 un concept qui reconnaît que les individus ou les groupes partagent un destin commun malgré leurs différences.