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Billet de blog 6 mars 2016

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A L'ECOLE DU CRIME (introduction aux enseignements...)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

    Du crime de masse au crime passionnel, du terroriste djihadiste au tueur en série et au mafieux, l'ensemble des phénomènes et des personnalités constituant la criminalité est des plus sulfureux. Monde marginal, étrange, crapuleux, malade, défiant dangereusement les lois générales et de la raison. Ces caractéristiques n'ont de sens qu'en regard de celles qu'on leur oppose : le délinquant est jugé tel par le bon citoyen, le fou dangereux nommé comme tel par le sujet raisonnable et le peuple des bas fonds reconnu comme tel par la classe moyenne bien portante. Suivre conséquemment ce fil qui, dans le geste de nommer l'autre nous reconduit à notre propre condition, c'est poser d'entrée de jeu que réfléchir sur le crime c'est réfléchir aux partages fondamentaux qui le font apparaître comme crime : le délinquant et l'homme ordinaire, la raison et son autre, la loi, la norme et leur extériorité, le désir et sa bestialité. Faire cas de ces partages, mesurer leur effectivité aussi violente qu'hypocrite tant sur le plan des représentations que sur le plan des fonctionnement institutionnels, nous entraîne alors vers bien d'autres frissons que ceux inspirés par les violeurs en série ou les « fous d'Allah ». Les savoirs et les pratiques construisant le fait criminel sont portés par les figures du gouvernant, du juriste, du policier, du criminologue, de l'expert-psychiatre. N'importe quel geste, n'importe quelle attitude criminels renvoient à un système d'institutions et de connaissances auquel ils doivent leur nom et leur apparition. N'est crime que ce que la loi définit comme tel à un moment donné, portée par des circonstances gouvernementales particulières ; le tueur en série n'existe pas en soi, il est une création des profilers du F.B.I.. S'intéresser au crime ne nous fait donc pas effectuer une plongée dans un monde sauvage mais nous mène droit chez les gardiens de l'ordre public et moral. Point de mystérieux dehors de la société mais pénétration en son plein cœur. Le gant se retourne. Les voies de la marginalité sont celles des rationalités pénales et psychiatriques, et qui s’intéresse au crime finit forcément chez les flics... Prendre la mesure de ce paradoxe est essentiel pour réenvisager tant l'actualité politique, scientifique, culturelle du crime que nos réflexes les plus immédiats face à l'abondance quotidienne d'images et de récits sur ce thème.
   Cependant, le ressort essentiel de la vision policière consiste à nous déposséder de la question du crime. Elle nous devient étrangère car affaire de savoirs particuliers dont des experts sont détenteurs, car concernant des personnalités spécifiques appartenant au règne de l'animalité, du vice et de la maladie. Les moyens de répression et les institutions dédiées au traitement du crime ne concernent pas l'honnête citoyen au nom duquel pourtant tous les usages politiciens du thème criminel sont permis. Nous sommes démis de la possibilité de penser le crime en des termes tels que nous puissions nous y reconnaître et y être impliqués autrement que comme les agents sains d'un ordre juridico-policier. L'évidence avec laquelle cette dernière position nous est attribuée est éminemment dangereuse. Cet écart de nature, de culture toujours plus prononcé, toujours plus admis entre le bon citoyen et le transgresseur est ce lieu même qui sent le soufre.
Dès lors, la tâche qui s'impose est de travailler à « se rendre » le crime, à le redonner à la cité et à l'amateur c'est-à-dire « l'être pensant quelconque ». Tous les discours, savoirs et institutions élaborés à partir de l'objet « délinquance » sont dès lors sujets de litige. Aussi à l'école du crime, on prend tout, on s'embarrasse de tout et on recommence. On lutte pied à pied avec la culture dominante sur le crime jusqu'à faire surgir des contre-histoires réjouissantes, truculentes ou désemparantes. On se lance dans les récits de face-à-face entre les délinquants et les policiers lus et revus mille fois en ruminant les graves leçons de la Série Noire sur l'entente de fond entre tout ce beau monde. On va chercher contre la psychologie type du criminel (carences affectives, pyromanie, infantilisme) élaborée par les sciences criminologiques, le point de vue politique des infracteurs sur leur infraction. On prend très au sérieux notre goût du crime, l'appétence commune pour les images de sang répandu et on voit se décliner le complexe « fascination-répulsion » dans toutes ses hauteurs et ses bassesses. On affronte le grand danger, le cri « stupide et répugnant » de Vive la mort !, le crime comme nécessité et passion tyrannique du pouvoir. Mais tout autant, on suit les crimes insupportables au pouvoir : mémoire et actualité des soulèvements populaires ou individuels où le crime apparaît comme une prise de pouvoir de ceux qui n'en ont pas...
L'enjeu est élémentaire mon cher Watson : à qui profiteront nos crimes ?...
   Ainsi, le thème du crime ne s'épuise pas dans le décret d'un grand dégoût face aux emportements pour le crime qui se présentent comme goûts rebelles alors qu'ils doivent tout aux interêts policiers, face aux supercheries incessantes consistant à pointer les marges dangereuses pour masquer l'arbitraire de la rationnalité dominante et face au défoulement surexcité des passions de juger et de punir qui se donnent à voir et à entendre quotidiennement. Quelque chose résiste encore, un attrait pour le crime persiste. Il y a comme un irrésistible scintillement du geste transgressif, comme s'il était détenteur d'un sens que nous n'en finissons pas de vouloir éprouver. Plus ou moins impressionnante possibilité en chacun de nous, il appartient autant à l'ordre des choses qu'il figure l'évènement qui le bouleverse ; il recèle une intensité qui semble toujours dépasser son exécutant pour s'adresser à la communauté. Bien sûr, cet attrait ne peut se brandir sans précaution puisque les formes qu'il prend, les justifications qu'il se donne, peuvent tout à fait emprunter à la vision policière. De prime abord, il ne peut s'affirmer comme extérieur à elle. Mais assumer cette attirance vient de ce qu'une méfiance s'impose tant envers les fascinations confuses qu'envers les froideurs affichées. La critique des premières ne saurait aboutir à occuper la position de ceux qui se défendent de toute fascination envers le crime. Cette position s'impose en effet comme l'apanage du docte savant regrettant les affects malsains agitant la foule des ignorants, et à ce titre mêle autant de prétentions que d'illusions. On prendra donc en charge et au sérieux ce que le crime a de palpitant.
A suivre...

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