Je m'appelle Anna, j'ai quarante ans, et je suis chercheuse, au chômage longue durée sans indemnisation, ne pouvant pas trouver d'emploi hors de la recherche en raison d'un handicap. Je subis aujourd'hui les conséquences de trois réalités : 1) une errance diagnostique due au retard de la France sur mon handicap 2) la dégradation de la situation dans la recherche mondiale et la baisse énorme du nombre de postes dans la recherche française 3) le déroulement du concours chercheurs/chercheuses handicap du CNRS depuis 2019.
En 2024, j'ai été candidate malheureuse au concours chercheurs CNRS réservés aux candidat.e.s handicapé.e.s en 2024. J’ai saisi le tribunal administratif de Versailles pour contester le déroulement de ce concours et les motifs qui m’ont été donnés pour justifier mon non-recrutement.
Mon histoire
Avant d’expliquer le déroulement du concours plus en détail, je tiens à préciser que je suis au chômage depuis plusieurs années, sans indemnités depuis novembre 2022, et que ma carrière de chercheuse a subi l’impact d’une errance diagnostique sur la nature du handicap dont je suis atteinte depuis ma naissance. J’ai soutenu ma thèse il y a plus de douze ans, alors que mon handicap n’était pas diagnostiqué. J’ai réalisé ma thèse en devant gérer des problèmes de santé dont je ne connaissais pas la nature, et en devant expliquer que j'avais des problèmes de santé sans pouvoir mettre des mots dessus. Cela m'a valu de ne pas toujours être prise au sérieux, voire d'être moquée par mes interlocuteurs. Après ma thèse, ma santé m’a contrainte à faire une pause de recherche de plusieurs années. J’ai même dû renoncer à me rendre à une audition du CNRS pour laquelle j’avais été convoquée en 2014, pour des raisons de santé. Grâce à des amies, j'ai pu entamer une démarche de diagnostic et mettre un nom sur mon handicap, qui est très bien connu et étudié à l'étranger, mais que la France a très longtemps persisté - voire persiste toujours - à étudier et analyser de travers, avec des grilles de lecture inadaptées. Ce diagnostic m'a permis d'envisager un retour à des activités de recherche, et j'ai voulu tenter de rattraper les années perdues en me présentant aux concours de recrutement de chercheurs.
Les années écoulées depuis ma thèse et les limites posées par ma santé à ma productivité scientifique m’écartent de facto du recrutement par le concours chercheurs de droit commun, quelle que soit la qualité scientifique de mon projet. Il faut dire que, dans mon domaine, il y a entre 150 et 200 candidatures pour quatre ou cinq postes chaque année. Malheureusement pour moi, dans mon domaine de recherche, il n’y a pas d’autre organisme que le CNRS qui embauche des chercheurs fonctionnaires, sans charge d'enseignement associée à la charge de recherche. Mon handicap fait que l’emploi le plus compatible avec ma santé est un emploi stable, en CDI ou comme fonctionnaire, dans le domaine de la recherche. Je ne peux pas enseigner, ce qui complique encore plus ma situation financière. C’est d’une ironie grinçante quand on connaît l’état de la recherche en France et dans le monde entier, et je n’ai pas choisi de me retrouver dans cette impasse. Il serait beaucoup plus confortable pour moi d’être capable d’exercer d’autres métiers sans que ma santé en souffre. Et à cette situation de santé particulièrement difficile, le concours handicap du CNRS ajoute un poids supplémentaire.
Le concours chercheurs handicap dans son fonctionnement actuel
La partie visible de ce concours commence chaque année en février ou en mars. Le CNRS publie une liste de postes mis aux concours, un à trois par instituts, avec un thème de recherche et un nom de laboratoire. Il s’agit d’une « liste des laboratoires identifiés par les instituts du CNRS susceptibles d’accueillir un chercheur ou une chercheuse en situation de handicap » et des « thématiques de recherche dans lesquelles doivent s’inscrire les projets de recherche » des candidat.e.s. Si on s’en fie à cette formulation, les personnes candidates dont les recherches n’ont rien à voir avec cette thématique de recherche sont de facto exclues du processus de recrutement cette année-là.
La première question qui se pose à la lecture de ce processus est de savoir qui choisit les laboratoires et les thématiques retenues, et sur quels critères. La deuxième est de savoir si un.e candidat.e qui postule de ces thématiques a ses chances.
Voilà ce que j’ai réussi à percevoir du concours. En ce qui concerne le processus d’identification des laboratoires à inscrire sur la liste, les laboratoires reçoivent chaque année – entre septembre et décembre de l’année N-1, pour une publication des postes et un recrutement l’année N un mail de la direction adjointe scientifique de la section dont dépendent ses membres pour savoir s’ils déposent une demande de fléchage/coloriage. Les laboratoires qui veulent en obtenir font parvenir le CV du ou des candidats avec un résumé de leurs travaux, et éventuellement un classement entre les différents candidats qu’ils proposent, si leurs domaines de recherche sont différents.
Ce que je n’ai jamais réussi à savoir, c’est quels sont les membres de la commission qui établit la liste des laboratoires et des thématiques retenues, et quels sont les critères qui président au choix. En me renseignant après la notification de refus au concours 2024, j’ai appris qu’il était important que la direction du laboratoire se batte pour convaincre la direction de l’institut qui flèche les postes. Autrement dit, le plus important ne repose pas sur la qualité du candidat et son parcours, mais sur autre chose, qui ressemble plus à un rapport de forces. Or, selon les mots mêmes du CNRS, le concours CNRS handicap doit se dérouler en « conformité avec les concours chercheurs de droit commun ». Cela suppose normalement que les listes de postes ne soient qu’indicatives et qu’il soit possible de recruter des candidat.e.s dont le laboratoire et la thématique n’ont pas été retenus lors de la première étape officieuse, puisque le concours de droit commun ne fait intervenir que le coloriage, pas le fléchage, et uniquement pour une petite partie des postes.
Mon expérience du concours en 2024
C’est là qu’intervient mon expérience du concours 2024. Mon laboratoire et la thématique que je proposais n’ont pas été retenus dans la liste publiée en février. Néanmoins, comme en 2023, j’ai envoyé mon dossier aux deux sections de l’institut dans le champ desquelles s’inscrivent mes recherches. L’une d’entre elles, dont relève également un laboratoire retenu sur la liste, m’a convoquée à une audition. À la fin de cette audition, qui s’est très bien déroulée et m’a valu des compliments que la section ne fait pas à toustes les candidat.e.s, d’après une amie bonne connaisseuse de la section, j’ai attendu les résultats sans jamais les recevoir officiellement (je ne les ai toujours pas reçu officiellement fin juin 2025). En me renseignant, j’ai appris, via un email m’expliquant la situation, que le jury disciplinaire qui m’a auditionnée a fait remonter ma candidature avec un avis positif pour un recrutement auprès de la commission inter-sections et inter-instituts chargée d’établir la liste des lauréats, mais que celle-ci a rejeté ma candidature, car « la chose la plus décisive pour le recrutement » est l’inscription sur la fameuse liste.
Ce motif de refus m’interroge beaucoup. Est-ce qu’il signifie que l’établissement de la liste de postes a valeur contraignante, et que la procédure du concours réservé aux candidat.e.s handicapé.e.s se déroule selon une procédure différente du concours de droit commun ? Est-ce qu’il est légal de faire venir un.e candidat.e à une audition dans laquelle il ou elle s’investit pour avoir sa chance, avant de lui dire que tout s’est en réalité joué bien avant son audition ? Forte de ces questions, j’ai pris un avocat et effectué un recours gracieux auprès du CNRS. En l’absence de réponse deux mois après l’accusé de réception de ce recours, j’ai saisi le tribunal administratif pour qu’il tranche sur ces questions, que je ne suis pas la seule à me poser puisque je sais ces questions contestées de toutes parts. Depuis cette saisine du tribunal, j’ai appris qu’il y a déjà eu des recrutements hors liste de laboratoires et de thématiques. Si c’est le cas, pourquoi le motif de l’importance de la liste de postes par rapport à l’audition m’a-t-il été opposé ?
Cependant, la justice administrative est un domaine de la justice qui n’échappe pas à la lenteur des délais. Mon recours a été déposé en février. Il est peu probable que l’audience ait lieu avant 2026, voire même au second semestre 2026. Sauf retournement de situation au CNRS – ou soutien (tombé du ciel) d’un mécène à mes recherches en cours –, je serai toujours sans revenus à ce moment-là, pour les raisons expliquées en début de billet. Les suites du concours 2024 n’ont pas arrangé ma santé (euphémisme). Comme je sais les modalités actuelles du concours CR handicap très contestées au sein du CNRS, j’ai choisi de témoigner publiquement de la réalité de ce concours, et d’en profiter pour dire quelques mots conséquences du handicap sur les carrières de recherche quand le principe qui régit la recherche est « publish or perish ». Parce que c'est la triste réalité du handicap : on peut avoir fait une thèse de doctorat, être capable de continuer à se former en continu mais ne pas être capable d'exercer beaucoup d'emplois, pour des raisons liées à un handicap chronique.