Monsieur le Président de la République,
Je tiens à vous écrire ce jour, en m’adressant au Chef d’ Etat, mais surtout à l’HOMME que vous êtes, Mr Macron, au sujet de l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap.
Pour ce faire, j’en viens à évoquer, vous en serez sans doute surpris, mon père. Pourquoi ? Je m’en explique :
Mon père, fis de l’immigration italienne, parti de rien, a su, au fil des années, gravir l’échelle sociale, se diplômant en candidat libre, devenir ingénieur, puis ingénieur directeur du personnel d’un Port Autonome. Il me disait souvent : « quand j’étais petit je disais à mes parents que je n’irais jamais crever au fond d’une mine ».
Cet homme, que j’admire, paix à son âme, a su transmettre à ses enfants la VALEUR DU TRAVAIL, le sens du MERITE, et surtout l’HUMANISME. Car c’était un humaniste, et qu’il s’impliquait concrètement dans cette démarche éthique et philosophique. La Connaissance partagée au service de l’Humanité…
C’est donc en ce sens que j’orienterai cette lettre.
Je ne me plais pas à évoquer ma situation personnelle, et pour cause, mais je pense que mon témoignage pourra être le reflet de la situation de beaucoup de mes collègues AESH, Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap, que vous appelez au gré de vos allocutions tantôt assistants de vie scolaires, auxiliaires, et j’ en passe… en cela il semble qu’il y ait dès le départ des informations qui vous manquent à notre sujet…
J’ai commencé à exercer en milieu scolaire il y a 12 ans, après un DEUG, après avoir exercé en tant qu’auxiliaire de vie sociale auprès du public en situation de handicap. J’ai choisi ce métier d’AESH, on ne me l’a pas offert comme un acte relevant de l’aumône pour me réinsérer, ou m’occuper…gare aux clichés.
J’ai traversé en maman solo toutes les étapes. D’abord EVS, emploi vie scolaire contrat aidé, puis AVS en contrat aidé, puis AED poste AVS en contrat CDD Education Nationale pendant encore 6 ans, à présent AESH CDI ...toujours pas titulaire, 12 ans c’est long… en accompagnant tout type de handicap, et je dis bien tout type, donc une expérience que vous ne pourrez que m’accorder.
Concrètement, j’ai vu s’aggraver le système d’accompagnement, je l’ai vu et je le vois partir dans tous les sens, j’ai vu ma situation se précariser d’année en année, VALEUR DU TRAVAIL ? MÉRITE ?
J’ai vu et je vois les parents des enfants en situation de handicap souffrir du système manquant cruellement d’humanité, jouer, comme nous, à Don Quichotte, sans réponses adaptées et concrètes, faisant face comme nous aux clichés tenaces…HUMANITÉ ?
12 ans de bons et loyaux services pour arriver au smic horaire et y stagner, sans reconnaissance de mon travail, toujours pas de fiche métier pour le métier d’AESH au Pôle Emploi, des agents Pôle Emploi décrivant notre métier comme consistant à du rangement de matériel scolaire…honteux !
Vous-êtes- vous renseigné ? Avez-vous recueilli via le terrain la réalité de l’accompagnement quotidien des enfants en situation de handicap à l’école ?
Comment tenir, Mr Macron, en complétant ce métier comprenant également du temps hors accompagnement non reconnu, avec un emploi périscolaire, ce que je fais, avec une plage horaire de 7H/19H, voire plus quand réunions le soir pour l’un ou l’autre des 2 emplois ? Et tout cela pour 1138 euros nets par mois ?
Comment se former, sans formation continue ? Comment survivre ? Comment sortir de cette MISERE, indigne humainement sans quitter son métier d’accompagnant, dont le rôle est primordial pour beaucoup d’enfants ?
Je m’adresse à vous, Mr, à l’Homme.
Il est devenu impossible de garder votre personnel qualifié AESH sans une titularisation, une reconnaissance financière de l’expérience et de l’engagement, de la qualité, des spécificités de notre corps de métier, nécessaire à l’inclusion.
SMIC horaire au bout de 12 ans, temps partiel alors que ce métier nous occupe à plein temps, pas de formation continue, beaucoup d’agents en monoparentalité…tous les ingrédients pour une précarité et une misère grandissantes !
1138 euros par mois pour survivre, se loger soi et son enfant, sans allocations familiales puisque celles-ci sont attribuées à partir de 2 enfants, pouvoir lui permettre de recevoir les soins médicaux dont il a besoin, le nourrir convenablement, l’élever décemment, lui ouvrir les portes de la connaissance, avoir le droit à être Humain, vivre, s’épanouir, avoir des projets…
Et nous, hommes, femmes, ne plus avoir à avoir honte de porter toujours les mêmes vêtements, pouvoir faire soigner notre dentition, porter des lunettes adaptées à notre vision, soigner nos cheveux, pouvoir accepter des invitations à dîner, pouvoir inviter des amis, sortir de chez soi, VIVRE !…
Tout est compliqué, anxiogène, rien n’est possible, jamais la notion de plaisir toujours la question de devoir, atteinte et entrave à notre DIGNITÉ, tout cela en oeuvrant chaque jour pour la dignité d’autrui.
Vous conviendrez, Mr, que cela relève de l’urgence. L’Etat se doit de nous reconnaître comme acteurs du bon fonctionnement du Service Public . Reconnaître notre métier, l’expérience, rendre le métier d’AESH attractif, n’es-ce-pas là un engagement que vous avez pris ?
« Ne pas crever au fond d’un trou, enterrés vivants. »
Beaucoup me disent, la grande majorité, d’ailleurs, que vous n’aurez jamais connaissance de cette lettre.
Dans ce cas, cela restera, comme pour toutes les autres Personnes qui vous hurlent leur désespoir, un moyen thérapeutique par l’écriture de faire se décharger, momentanément, la détresse humaine croissante que beaucoup d’entre nous subissent.
Merci, cordialement, Anne.