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Billet de blog 4 mars 2021

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Enseignement: le moment est venu de casser les codes

La période actuelle contraint à enseigner à distance, sans que la pédagogie mobilisée ne soit, la plupart du temps, adaptée à cette nouvelle donne. Et si le moment était venu de tirer profit de la situation pour remettre à plat les manières d’enseigner au profit du plus grand nombre ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La pandémie de Covid-19 et le Grand confinement ont contraint les établissements d’enseignement et autres pourvoyeurs de formation à dispenser des cours à distance, dans une majorité de cas sans que cette transition ait été préparée ni accompagnée. Résultat : l’enseignement à distance est souvent perçu comme une rustine, faisant ressortir ce qu’il a de pire à offrir, et surtout ce qu’il n’est pas.

Non, l’enseignement à distance n’a pas vocation à n’être que la transposition pure et simple, comme un copier – coller, de ce que permet le présentiel.

La classe virtuelle a ses limites et doit être utilisée à bon escient, ce sans quoi il n’en ressort que le pire. En termes cognitifs, j’ai souvenir d’avoir lu que 2 heures d’enseignement dispensées à distance sont l’équivalent d’une pleine journée dispensée dans une classe ou un amphithéâtre. On imagine sans peine l’état d’usure d’apprenants et de formateurs contraints de passer de pleines journées devant leurs écrans…

S’interroger sur les finalités des apprentissages

Enseigner à distance suppose de revoir intégralement la manière de structurer les enseignements, de concevoir la relation entre enseignants et enseignés, et de s’interroger, in fine, sur les finalités des apprentissages.

Le but de la manœuvre est-il de produire une armée de moutons conformistes, seulement capables d’absorber machinalement la parole qui leur est délivrée, ou des êtres libres de remettre cette parole en question, d’envisager d’autres hypothèses, de les tester, afin d’ouvrir de nouveaux champs de connaissances ?

Pour ce qui me concerne, la question est toute tranchée. La période actuelle - si l’on comprend bien que huit heures de classes virtuelles consécutives ne sont non seulement d’aucune utilité mais sont aussi totalement contreproductives - devrait tout d’abord permettre de remettre en question la manière de transmettre telle qu’elle a été communément admise en France.

Je me souviens pour ma part de trop longues heures de cours passées à « gratter », à remplir des feuilles de phrases dont le sens même parfois m’échappait, tant mon esprit voguait bien loin, tandis que ma main remplissait la feuille blanche, par automatisme. L’intérêt de la démarche m’échappant grandement, et mon bras se trouvant parfois fatigué de cette agitation vaine, j’interrompais l’exercice et tentais de me reconnecter aux propos du professeur. Je fus alors tancée pour mon audace et sommée de me conformer aux règles édictées.

Ayant eu par la suite la chance de séjourner en d’autres contrées où ces normes n’étaient pas gravées dans le marbre, je découvris deux choses qui firent chaud à mon cœur.

S’il existe des manuels scolaires, on peut supposer qu’ils puissent être utiles à autre chose qu’à financer des éditeurs : un enseignant de cet autre pays dans lequel j’ai longuement séjourné procédait d’une manière qui me semblait plus conforme à un réel apprentissage. Nous parcourions le manuel avec lui – puisque tout y était écrit, à quoi bon le recopier ? – ce qui laissait alors davantage de temps pour poser des questions.

Encourager le droit à l’erreur

Deuxième acquis de l’expérience, le droit à l’erreur était encouragé. Faire une erreur et en comprendre le sens permet de progresser, loin de la culture française où l’on parle de « faute », où se tromper est perçu comme un signe de médiocrité, inhibant en définitive la plupart des élèves – et des adultes qu’ils deviennent ensuite - désireux – et on les comprend – de ne pas passer pour des ânes et être ridiculisés.

Loin de cette vision hexagonale donc, il existe des cultures où l’erreur est perçue pour ce qu’elle est : comme une tentative pour progresser et comprendre, comme un facteur d’enrichissement, à condition bien sûr que les causes de cette erreur soient expliquées de manière à être dépassées.

Valoriser les élèves, leurs compétences, leurs réussites

La culture anglo-saxonne – puisque c’est bien elle que j’évoque en l’occurrence, et sans vouloir en faire un modèle absolu et indépassable, ce qui serait tout aussi ridicule – consiste aussi, en lien avec ce qui a été précédemment énoncé, à ne pas souligner systématiquement les défauts d’un individu, mais aussi et surtout ses points forts et ses réussites, autrement dit ce sur quoi il peut s’appuyer pour progresser encore. On en est très loin encore en France, où des compliments visant à valoriser telle ou telle qualité ou réussite sont trop souvent perçus comme de la vile flatterie, même par des adultes d’âge avancé…

Mettre en exergue les qualités, les points forts d’un individu, et l’autoriser à remettre en question ses maîtres, car il n’existe pas de sottes questions, mais seulement de sottes gens, parmi lesquels et avant tout ceux qui n’admettent pas cette controverse, du haut d’un piédestal visant bien souvent à masquer leurs propres vulnérabilités. C’est une logique de domination pure et dure, à laquelle il convient de faire la peau une bonne fois.

Aider les élèves à donner du sens à ce qui leur est transmis

Autre point essentiel que je souhaite évoquer, celui de la finalité des apprentissages. On parle souvent de nos jours des « objectifs pédagogiques » de telle ou telle formation, ce qui est très bien. Mais d’expérience, il me semble essentiel d’aller au-delà.

Lycéenne, je me souviens d’avoir été sommée de m’intéresser à des skieurs glissant sur des plans inclinés, pour calculer des forces de frottement. D’autres questions me taraudaient à l’époque bien légitimement davantage… Pourquoi les enseignants d’alors n’ouvraient-ils pas quelques portes, n’esquissaient-ils pas quelles perspectives, au-delà de ce simple exercice ? Si j’avais perçu l’utilité, la portée, de ces skieurs-là, je les aurais possiblement considérés d’un regard neuf.

Pour motiver les personnes, il est essentiel de donner du sens aux apprentissages, de faire briller leurs yeux en leur donnant un aperçu des champs immenses de compréhension du monde ouvert par chaque notion à acquérir.

Certains peuvent peut-être se contenter dans un premier temps de savoir que ces skieurs figureront au programme du baccalauréat, d’autres non. Il n’y a pas de jugement de valeur à avoir par rapport à ces différents profils d’élèves, mais de comprendre qu’il eut sans doute été pour tous plus motivant d’en savoir davantage sur ce que cela nous permettrait d’appréhender par la suite, les applications concrètes en découlant, les territoires encore inexplorés sur lesquels nous serions alors susceptibles un jour de poser le pied après en avoir fini avec ces skieurs.

Dans la même veine, la notion d’axiome, « proposition considérée comme évidente, admise sans démonstration » (cf. dictionnaire « Le Robert »), m’a toujours posé problème. Pourquoi n’en discute-t-on pas avec les élèves, plutôt que de les sommer d’admettre la proposition sans broncher ? Pourquoi décide-t-on qu’une proposition est évidente, sans démonstration ? N’est-il pas intellectuellement curieux de ne pas comprendre que cela puisse poser problème à certains d’entre eux ?

Une opportunité pour repenser la manière d’enseigner

J’en reviens maintenant à mon thème de départ : l’opportunité que peut constituer la situation actuelle pour repenser la manière d’enseigner.

Des expériences de « classes inversées » sont menées de longue date Outre-Atlantique. De quoi s’agit-il ? Les enseignants demandent à leurs élèves d’étudier par eux-mêmes un certain nombre de documents (ouvrages, extraits, vidéos, modules de formation en ligne, etc.). Les moments de regroupements entre élèves et enseignants sont alors utilisés pour poser des questions sur ces documents et aller au-delà, par exemple en discutant ensemble sur des cas pratiques.

La situation actuelle peut être une opportunité de repenser la façon d’enseigner en ce sens, à condition naturellement de s’assurer que chaque élève soit bien doté d’un ordinateur et d’une connexion à Internet suffisante.

Il est possible de créer des modules en ligne pour transmettre les contenus de cours. Sur cette partie-là, la présence en chair et en os de l’enseignant n’est pas nécessaire ; les regroupements – des classes virtuelles pour l’essentiel dans le contexte actuel – pouvant être utilisées pour répondre aux questions et faire des mises en situation.

Ne plus laisser les plus fragiles au bord de la route

Je connais l’objection classique des enseignants qui voient là une manière déguisée de leur ôter le pain de la bouche, en les dépossédant d’un certain nombre d’heures de cours.

Telle n’est selon moi la finalité de l’exercice, même si certains gestionnaires ont pu imaginer d’en profiter en ce sens. Les heures « perdues » d’enseignement purement transmissif du haut de chaires académiques ou autres, pourraient être plus utilement employées à l’accompagnement des apprenants les plus fragiles, que ces derniers soient migrants ayant peu de connaissances de la langue ou des codes en vigueur dans la société française, limités par quelque handicap (comme des « dys » par exemple), ou encore fragilisés par des traumatismes divers et variés, etc.

De mon point de vue donc, l’évolution actuelle pourrait donc permettre de donner plus d’autonomie encore à ceux qui ont déjà la capacité de s’en emparer, et d’accompagner davantage les autres, afin de faire en sorte que ces derniers puissent contribuer eux aussi à la société à la hauteur de leurs potentiels, plutôt que de risquer d’être abandonnés en chemin.

Anne Baudeneau

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