Grimace du vieux singe
Y à des choix dans la vie et les choix, moi, ça me paralyse. Je suis la nana sympa qui donne raison à tout le monde. Je sais, je suis pauvre en théorie.
Chez Bertrand le barman du « petit zinc », il y a trois choix : le blanc, le rouge, le rosé.
Une option : Une mousse.
Là-bas, Je ne me pose pas de questions, si le monde va un peu moins bien ou de pire en pire.
Jean est au blanc, je vais au blanc
Paul est au Ricard, c’est par sur ma liste, mais j’adopte le Ricard
Pierre est à la bière, je passe à la bière
Voila, j’évite les tensions. Une peace and love de comptoir.
Je bois et j’écoute, au bout d’un petit moment les mots font comme des vagues dans ma tête et tout se déverse dans un vaste océan sur lequel je plane tel le goéland.
C’est mon surnom ici : Jo Anne tanne le gros élan
C’est un peu long, mais on m’appelle rarement, vu que je suis toujours là.
Les vagues, le bar comme un esquif.
Je regarde bosser Bernard, la main sur le percolateur, l’autre à la bouteille, l’autre encore à la ramasser de la monnaie, une sorte de Shiva exécutant une danse sacrée
Au milieu des vagues, d’autres mouettes, demandent « la même chose ».
Alors je dis : la même chose.
Dans la nature, il faut savoir rester en clan.
Depuis quelques jours, Bertrand, à chaque tournée, ajoute «à la tournée des héros ! »
Ce qui nous donne une raison de plus pour les ajouter, héroïquement.
On vide les verres, on crit « victoire « et on est vachement content de nous. J’ignore comment en vingt quatre heures nous sommes passés d’alcoolo à héros national, mais faut profiter.
Bertrand a une télé allumée dans le bar, ça alimente la réflexion. À l’info, il parle d’un imam qui affirmait que le rock rend singe à ses oilles.
Là l’imagination l’iman, je sais que je danse comme un phoque mais faut pas pousser.
En fait c’est du troquet que je suis sortie parfois à quatre pattes, mais aucune bête ne peut avoir une telle descente.
Je repense au dernier singe que j’ai vu pensif, devant une horde d’enfants, une classe. Un bel orang outang, aux yeux marrons rêveur : étions-nous l’avenir du singe ? pensait il en les voyant dodus, criards, se poussant des coudes, coincé dans leur anorak, une chupa chups plantée dans chaque bec.
Le vieux singe ne semblait pas emballé, devenir un employé de banque ou d’assurance, niquer la montagne en 4x4 , bronzer à Ibiza la main sur un i pod, incapable de jouir seul du moment.
Le vieux singe prit une orange et se concentra, l’éplucha philosophiquement, non, l’avenir du singe ne passait pas par l’homme. Il était bien trop pressé d’abimer tout ce qui passe, la mer, le ciel, les oiseaux et sa propre espèce.
Il réfléchissait à un autre mode d’évolution, quelque chose à tenter mais avec beaucoup d’essais.
Sur le rock, il n’a aucune idée, de toute façon il préfère Bach, enfin, c’est ce qu’il a fini par me dire.
Doucement le bruit du troquet revient dans ma tête
A la télé, les avions envoient des missiles.
Les pilotes écoutent ils de la musique quand ils sont en mission ? Comme ce vieux film, l’éclate de la walkyrie sur un village en flamme de napalm.
Walkyrie, Hitler, la race des surhommes. Décidément, il faut se méfier des hommes qui se méfient des singes : La solidarité dans l’épluchage des puces, la liberté de faire l’amour, la vie dans les arbres, l’importance des câlins.
« Seul un psychopathe peut détester à la fois l’amitié, l’amour et les arbres » Ca ma pris d’un coup, à déclarer ça tout haut dans le bastringue. La phrase, l’illumination de l’orateur du cinquième ballon !
N’empêche que mes potes étaient vachement d’accord, on a refait une tournée, parce qu’on se sentait vachement supérieur, sur le moment…