Stains
c’est une ligne
un train
que l’on prend
résigné
même sans savoir
déjà même
sur le quai
gare du nord
banlieue nord
nous sommes là
familles multiples
hommes et femmes variés
manteaux fatigués
sacs usés
seul le cri des enfants
rappelle la force
de l’espoir
a coté
le silence du vieux
une canne à la main
égrainant son chapelet
le regard lointain
si lointain
RER Gare du nord
ici la vie s’engouffre
pas vraiment pour le meilleur
pas forcement pour le pire
mais nous savons déjà
idée du désastre
direction la plaine Saint Denis
La Courneuve
Stains
peu importe
c’est toujours
les mêmes terrains vagues
le ciment effondré des usines oubliées
le plâtre, les gravats
la tristesse de l’abandon nous étoufferait
si ce n’était
cette signature
des fils des villes
d’invisibles tagueurs
ont fait renaitre des murs
au milieu des herbes folles
des noms
des visages
ici naissent
sauvagement
comme un cri
ici la vie est crue
ici la vie est dure
la vie est dure à abandonner
et le vent souffle sur les plaines
encore un train qui passe
en dessous les périphériques tranchent les villes
une poussière monte au ciel
repousse le soleil
ici la lumière est blanche
un peu bouchée
presque lointaine
des boulevards donc
saignent les villes
trop peu de bus
et le trafic est infernal
de zones industrielles
en zones commerciales
une banlieue de discount
promotions sauvages
publicités cruelles
qui achèvent
de sertir le paysage
d’onomatopées géantes
aux couleurs acides
aux couleurs cyniques
victoire du plastique
un peu plus loin
dans le train
une petite fille tient la main de son père
habillée comme un bonbon
de gaze et de satin rose
ici les petites filles sont en polyamide
ça brille terriblement
et c’est gai
sa mère en sari lui rajuste un ruban
un ruban rose, bien sur
à coté une femme en noir
a coté une africaine en boubou
à coté je traine mon jean
non
je traine en robe
une fleur à la main
c’est dimanche
et nous allons les voir
c’est une maison rouge
plus exactement une moitié de maison
aléa des droits de succession
tombola des héritages
une maison du début du siècle
je veux dire
du XXème siècle
de celles que l’on construisait
pour une vie sans fioriture
préparée pour le nécessaire
ponctuée de noëls et de baptêmes
peu d’excès
ici tout est compté
le pain, les mots, les fins de mois
une toute petite maison
entourée d’œillets d’inde
une allée en gravier
un fil pour le linge
un fil de mémoire
l'Ariane d'un petit clan
en face
la vie compacte
de celles construites rapides
épidémies des trente glorieuses
ahurie, inconsciente
pressées
les familles empilées
les vies compilées
alors
avec la lune
est venue
la révolte
aux rythmes
des grandes marées
vagues aveugles de colères
océan d'amertume
des voitures brulent sous les étoiles
mais aujourd’hui la journée est calme
les enfants jouent sur les balançoires
les ballons rebondissent
une grand mère derrière ses rideaux les regardent
Ajuste ses lunettes
ne comprend pas tout
les tours qui poussent
les tours qu’on rase
les grandes marées
les jeux des enfants
ces migrations d’oiseaux
ces migrations d’hommes
la volonté de vivre
alors
elle soupire
et reprend ses mots croisés dans son fauteuil
c’est dimanche
elle a acheté des gâteaux et elle attend son fils
elle a tant de journées à la fenêtre a raconter
tant de jours
tant de vies
tant d’histoires.