Petite, je furetais dans tous les tiroirs, les greniers, les caves, les serres, jusqu’au dessous de matelas.
Petite, j’apprenais le monde en le violant un tout petit peu, car vivant au cœur du silence des adultes, du silence ou de leurs cris, je n’avais pas d’autres choix que de forcer les serrures pour comprendre.
Quel âge ?
Je ne sais plus, un âge où je savais déjà compter les guerres, enfin je croyais.
Ma mère avait une écritoire à tiroirs, très nombreux, petits et grands, petites et longues lettres, fleurs mortes, dragées, une boucle d’oreille unique, ce stylo en vermeil et turquoise qui ne marcha jamais et que j’ai fini par chipé.
Je dépliais chaque trouvaille comme on dépouille un origami, juste pour retrouver la feuille originelle, la virginité d’une histoire.
A force de fouiner, je suis tombée sur une médaille militaire.
Médaille que j’ai agité sous le nez de ma mère, c’est chouette les médailles pour un enfant, c’est bien, enfin un héros familiale !
La médaille regagna immédiatement la boite, le tiroir, le meuble, le noir, le silence, l’oubli imposée à son histoire.
Ainsi, j’appris que mon père avait participé à une guerre que j’ignorais, puisque tout s’arrêter aux allemands dans mes livres.
J’appris qu’il y eu d’autres guerres, d’autres histoires.
J’appris que mon père avait participé à la guerre d’Algérie, de 1960-1962- pendant son service militaire.
C’est comme cela que j’appris le silence d’une guerre.
Un silence qui se transmet de génération comme une faille interne, sans doute, comme la faille qui a fait de nous deux des êtres instables, l’un comme l’autre.
Un bipolaire fouille toujours son passé, ses gènes comme on dit médicalement, le commencement des premiers cris.
Mais avant même j’appris qu’il existait les névroses de guerre.
Toute guerre est une araignée dans la tête.
Mon père pouvait être magnifique, je lui dois Tolstoï, Dostoïevski, le jazz, tant et tant.
Je lui dois mes premiers et nombreux musées.
Je lui dois nos guerres, nos face à face avec tout ce qui pouvait terminer en miette, en petit bout, en saccage de biens et de sentiments.
Le lui doit la colère, la violence des absolues, la violence.
Ce même homme m’emmenait au musée, ce même homme me fit l’apologie de la force alors que je quittais ma faculté de droit puis l’école du Louvre.
Antagonisme, je t’appris.
La culture et la destruction
La sagesse et la fureur
La folie et la vie
Et puis,
Depuis tant de visites chez le psychiatre a expliqué toute ses choses qui étouffent, le cœur qui s’arrête faute d’horizon.
L’errance obligée de l’enfant hors jeu, la flâneuse des rues.
Parfois je croise le regard, le regard de l’homme que la force enivre.
Fort de se savoir si méchant, si gratuit, si destructeur et qui jouit en écrasant le petit château de sable de l’enfant, avec ses trois coquillages et puis quelques algues pour faire encore plus beau.
C’est peu de chose
Peu de chose, en contact de ses hommes qui ne conçoive pas le pouvoir sans arme, sans geste qui blesse, sans geste qui viole les femmes et leurs âmes.
Je veux croire à la parole, je veux croire à Gandhi, je veux croire au mystique qui apprend au loup le gout des navets pour respecter loup et paysan.
Je veux croire à nos mots, à nos rubans dans le vent dansant.
Je veux croire à tous ces livres dont je m’entoure comme une barricade au monde.
Mais
Quelque part en moi
Puisque la faille est parfois en moi,
Je sais la violence, l’irrationnel, le gout de la douleur, le sadisme.
Je sais la faiblesse des petites mains.
Je sais que je demanderais à un autre, un autre bien loin de moi, un jour de m’aider.
De m’aider, moi ou d’autre.
Je ne peux donc haïr une armée républicaine.
Dans la mesure où cette armée entre dans le cadre du droit et des débats démocratiques .
Je laisse le 14 juillet aux armées.
Quand j’entends le bruit d’un char ou le vol d’un avion (bry est survolé par les avions du 14), je pense au bruit, à la panique de leur apparition dans un champ de guerre, à Guernica.
Puisque je vois une arme, je sais l’arme et sa peur.
Bien sur il y a un folklore gouvernemental.
Mais toute chorégraphie s’interprète.
Et le bénévole ?
A la rentrée, il existe une journée très intéressante instituée par les mairies : la journée des associations.
Dans le 12 eme j’ai découvert une association de recyclage de livres dans des prêts à domiciles.
C’est la journée des bénévoles, une journée qui manque de relais médiatique, une journée de la pensée civique, altruiste, une journée pour se rencontrer simplement alors que la solitude se niche dans chaque quartier.
J’aimerais que ces journées soient boostées, relayées.
Je pense bien sur aux désarrois du SAMU social privé de budget, aux désarrois plus grand encore des personnes sans hébergement, sans accompagnement l’été.
Je le sais, je l’ai vécu, l’été est long pour une personne désocialisée.
A par ça,
Le 14 je chante surtout « mon légionnaire » comme Gainsbourg, vu que je me remets (parfois) du bal des pompiers de quartiers, mais je pense aux lignes de Cendrars dans » la main coupé ».
A par ça,
Sur le trottoir cet après midi, un homme chantait le déserteur, tout seul dans son coin.
A par ça,
Je me promène toujours beaucoup.